La première fois que j’ai rencontré Jim Cramer, c’était sur le plateau de son émission, Mad Money. L’émission n’avait pas encore été officiellement lancée : Jim voulait simplement profiter des répétitions générales pour tester l’idée d’avoir des invités. J’étais le premier. Je me suis si mal débrouillé qu’il a immédiatement abandonné l’idée (du moins initialement).
J’ai écrit pour thestreet.com, le site Internet fondé par Jim Cramer, pendant des années. Je leur ai aussi vendu une entreprise, Stockpickr. J’ai tourné des dizaines de vidéos avec Jim après ça, de sorte que j’ai fini par le connaître assez bien.
Avant d’aller plus loin, je tenais à signaler que cet article n’a rien à voir avec les recommandations boursières de Jim. Les articles sur le sujet ne manquent pas, positifs ou négatifs. Cela fait des années que je n’ai pas regardé son émission. Je ne suis pas abonné à sa lettre d’information, je ne suis pas ses recommandations et je n’ai pas lu son dernier livre.
D’autre part, ceci n’est pas un article lèche-bottes. Je n’ai rien à voir avec thestreet.com. Je n’ai pas parlé à Jim depuis plus de deux ans. Je n’ai aucune relation d’affaires avec Jim ou thestreet… et ce n’est pas dans mes intentions. En fait, je vais même dans la direction opposée en ce qui concerne mes articles sur la Bourse.
10 choses que j’ai apprises en travaillant avec Jim Cramer
1) Répondre aux e-mails
J’en suis apparemment incapable. Si ma propre mère m’envoie un e-mail, je peux mettre jusqu’à six mois pour lui répondre. J’avais même un jour de retard pour lui souhaiter son anniversaire. (C’était le 9 janvier. Je lui ai écrit un e-mail le 10 janvier. À ma propre mère !) Je suis nul en communication.
À l’automne 2002, j’ai écrit à Jim pour lui donner 10 idées d’articles à écrire. C’était pendant une période (décrite dans un autre article, ou peut-être un article que j’ai l’intention d’écrire mais que je n’ai pas encore rédigé) où ma seule solution, pour me sortir du creux dans lequel je me trouvais, consistait à trouver des idées pour d’autres et à les leur envoyer. J’ai envoyé des e-mails à 20 personnes avec toutes ces idées. Parmi les thèmes que je suggérais à Jim, il y avait : « 10 actions sous-évaluées » (il faut se rappeler que l’on était en septembre 2002 ; même TSCM était sous-évaluée), « 10 opportunités en convert arb« , « Comment trader les ouvertures en gap baissier », etc. (Au final, un seul destinataire m’a répondu ; j’ai fini par faire du trading pour son compte avant d’entamer une carrière de trader pour plusieurs hedge funds, suite à quoi j’ai lancé mon propre fonds de fonds. Voici 10 choses que j’ai apprises en tant que trader pour Victor Niederhoffer.)
Jim, de son côté, m’a répondu presque immédiatement : « C’est vous qui devriez les écrire ! » C’est ainsi que j’ai commencé à travailler pour thestreet.com : mon premier contrat de rédacteur. J’ai encadré le chèque de 200 $ que j’ai reçu pour mon premier papier chez eux (l’encadreur m’a dit : « Vous êtes sûr que vous ne voulez pas l’encaisser ? »). Et lorsque j’ai vendu Stockpickr à thestreet, Jim a signé le verso de ce chèque de 200 $.
Il faut que je fasse des efforts pour répondre aux gens qui m’écrivent. Jim répond instantanément à tout le monde ou presque. Je crois que la clé consiste à pouvoir répondre un simple « Merci ! » – juste pour signaler que vous avez lu ce que la personne avait à dire et que vous réalisez qu’il ou elle existe. Je me sens toujours obligé d’écrire une lettre personnelle détaillée à chaque fois que je réponds à quelqu’un, de sorte que les mails s’accumulent. Je viens tout juste de commencer à parcourir mes e-mails en retard. Après deux heures, j’en suis au 1er février. J’ai arrêté là. Pour l’instant.
2) Médias financiers = divertissement
Ne nous voilons pas la face. Jim est avant tout un amuseur public. Si vous animez une émission dans laquelle vous vous déguisez, criez après votre écran, jetez des chaises et posez souvent à vos invités des questions destinées à faire rire, je pense que l’on ne pourrait pas appeler ça autrement que du divertissement. Jim l’a dit lui-même à plusieurs reprises.
De toute façon, 99% des gens ne devraient pas acheter d’actions (c’est là ma propre opinion), et ceux qui en achètent effectivement devraient faire leurs propres recherches. Quant à Jim, c’est le meilleur animateur dans le secteur des médias financiers. Il suffit d’observer ce qu’il fait durant son émission. Il associe la pédagogie aux interviews, prend six voix différentes environ (il doit suivre des cours de coaching vocal, ou en a suivi par le passé, pour pouvoir faire tout ce qu’il fait durant une émission sans devenir aphone au bout de quelques jours), fait des recommandations sur divers secteurs, répond à des appels de téléspectateurs et exécute même des tours de magie (nous y reviendrons).
Je suis souvent passé à la télévision, mais Jim est le meilleur – et de très loin. Il fournit bien plus de valeur que le simple « achetez IBM » qui règne encore sur la plupart des blogs financiers.
3) Ignorez les critiques
J’ai l’impression d’avoir été pas mal brutalisé. J’étais haussier en 2008. Je m’en suis tenu à ma ligne de conduite en 2009 et 2010, et bon nombre de mes recommandations ont fini par rapporter +100%. Mais j’ai eu du mal, au niveau personnel, à gérer mes détracteurs (voir 6 raisons de me détester, paru vendredi). Et ils venaient de partout. Des gens qui étaient vos amis un jour et qui, le lendemain, postaient de manière anonyme sur les forums pour vous détruire de toutes les manières possibles.
Jim a vu bien pire. L’article en couverture du magazine Barron’s, en 2007, a été brutal pour lui. Son incursion dans le talk-show de Jon Stewart, où Cramer ressemblait à un lapin pris dans les phares d’une voiture, incapable de se défendre et de dire : « Mais Jon, au plus bas des marchés, dans l’émission The Today Show, j’ai dit à tout le monde de sortir des actions. »
« Pourquoi n’avez-vous rien dit ? » lui ai-je demandé à 3h du matin le lendemain, par messagerie instantanée. À quoi il a répondu : « Qu’est-ce que ça peut bien faire ? » C’est peut-être bien la dernière fois que je lui ai envoyé un message instantané.
4) Les commentaires sont réservés au journalisme financier
Cramer a tout changé lorsqu’il a lancé thestreet.com et ajouté des commentaires d’investisseurs professionnels. À l’époque, l’argument « contre » (qui l’est toujours aujourd’hui) affirmait qu’il y a conflit d’intérêt lorsqu’une personne possède une action et en parle ensuite sur une plateforme destinée au journalisme sérieux.
Sottises. Qui est mieux placé pour parler d’une entreprise qu’une personne qui a de sérieuses ressources, les a utilisées pour faire des recherches minutieuses et en savoir autant que possible avant d’investir de l’argent durement gagné ? Ces 15 dernières années, le journalisme a changé, acceptant cette idée et repoussant les limites encore plus loin – mais à l’époque, c’était un sujet controversé.
5) Il faut tout savoir
J’étais à côté d’une télévision avec Jim un jour ; les cotations défilaient au bas de l’écran CNBC. Il a commencé à débiter à la vitesse de l’éclair des informations sur toutes les actions qui passaient, expliquant pourquoi chaque titre était en hausse ou en baisse d’un cent, 5 cents, etc. Il connaissait toutes les publications de résultats, toutes les actualités pertinentes du jour. Il ne connaît pas toutes les actions (voir ci-dessous), mais il sait tout ce qu’il faut savoir ce jour-là.
Cela ne signifie pas que vous devriez tout savoir sur les actions. Mais quel que soit le domaine dans lequel j’ai travaillé, j’ai toujours essayé de tout savoir sur la concurrence, la technologie, les subtilités et les nuances du secteur en question. C’est en faisant cela que Jim domine les médias financiers américains depuis 25 ans. Chaque fois que j’ai investi dans une entreprise privée, mon critère le plus important pour un PDG était le suivant : il devait avoir le même genre de « base de données de connaissances » sur son secteur que Jim a sur les médias financiers (NB : je dis bien « médias » et pas seulement « actions boursières »).
6) Exploitez chaque instant
Si je suis debout à 23h, Jim est disponible sur messagerie instantanée. Si je suis réveillé à 3h, Jim est disponible sur messagerie instantanée. Il est au bureau à 6h du matin. Il travaille jusqu’à son émission puis il rencontre des gens lors de ses dîners, etc. Il ne perd pas un instant. Vous ne pouvez pas lui proposer un déjeuner ou un café. Il vous ignorera. Il se consacre uniquement à ce qu’il doit faire pour améliorer son émission. Il est tout à fait conscient qu’il est en concurrence avec le reste du monde des médias.
De sorte que s’il peut intégrer 10 heures de travail supplémentaires à sa journée (mon estimation des heures supplémentaires qu’il fait par rapport à l’être humain moyen), cela fait 3 600 heures annuelles de travail en plus par rapport à vous ou moi. Parce qu’il travaille tous les week-ends. Je le sais à cause de tous les week-ends où je recevais des e-mails de sa part, me posant des questions sur les diverses actions qu’il préparait pour ses émissions de la semaine suivante.
Tim Ferriss est célèbre pour sa « semaine de quatre heures », telle qu’expliquée dans son blog et son livre. C’est un style de vie ; beaucoup de gens le préfèrent. Pour Jim, c’est le contraire. Il veut être meilleur que le reste du monde dans son secteur, pas buller 100 heures par semaine tandis que tous les autres le dépassent. Je crois qu’il deviendrait fou s’il ne travaillait que quatre heures par semaine. Jim devrait écrire le livre La Semaine de 120 heures.
Pas pour Cramer. Et je doute que Tim Ferris ne travaille que quatre heures par semaine.
7) S’améliorer chaque jour
Jim m’a dit que c’était la devise de Bill Meehan, éditorialiste de thestreet.com qui a connu une mort tragique dans le World Trade Center le 11 septembre 2001. Je crois qu’il suit la même devise. Il lisait sans arrêt. Il essayait constamment d’améliorer son émission. Pour ceux qui ne me croient pas, regardez ces vidéos :
- sa vidéo de 1997 sur PBS ;
- ses toutes premières vidéos de Mad Money par rapport à ses émissions actuellement ;
- son premier jour sur MSNBC après le départ de Don Imus, dont Jim avait repris le créneau horaire pour la semaine.
Vous pourrez voir les différentes méthodes utilisées par Jim pour développer son style et son approche, et s’améliorer dans tous les domaines.
8) Tours de magie
Il est impossible de connaître toutes les actions sur le bout des doigts. À ma connaissance, il y a environ 10 000 sociétés cotées aux États-Unis. Jim reçoit des appels et des questions sur toutes les 10 000 ou presque. Mais il sait si une entreprise est encore en phase de test, si son analyse graphique est passable, etc. – et s’il ne connaît pas du tout la société, il peut toujours dire : « J’aime l’entreprise, j’adore ce secteur, mais vous savez que vous devez choisir le NUMÉRO UN dans ce secteur, WXYZ ! » (j’invente un exemple). Il a toujours une porte de sortie lorsqu’il ne sait pas quelque chose : c’est une technique utile, surtout lorsqu’elle est associée à sa « base de données de connaissances » en soutien.
9) L’auto-promotion
Jim est roi dans ce domaine. Un jour, CNBC essayait de me faire participer à l’émission On the Money. Cela faisait des semaines que je ne répondais pas à leurs appels. Finalement, Jim est venu me voir et m’a dit : « James, tu me mets dans l’embarras. Pourquoi est-ce que tu ne les rappelles même pas ? » J’ai marmonné deux-trois choses et il m’a dit : « Écoute, il faut faire ta promo. Personne ne va le faire à ta place. » Je suis toujours aussi nul pour promouvoir mes productions, mais j’espère que j’ai appris une chose ou deux.
10) Saigner
Je suis un grand fan de Confessions of a Street Addict, le seul livre autobiographique de Jim. J’apprécie ses autres ouvrages parce que je sais qu’il répond à un public pressé d’en faire des best-sellers. Mais son premier livre est le meilleur parce que Jim saigne à toutes les pages. Vous ne pouvez pas être écrivain si vous ne pouvez pas saigner, et Jim est un écrivain.
Au chapitre 7, il est quasiment suicidaire alors que son fonds est au bord du gouffre et que l’enfer se déchaîne en 1998 (ou peut-être 1997, je ne sais plus). Ou lorsqu’il dit qu’il a presque fait faillite lors de ses toutes premières semaines dans le secteur des hedge funds, son fonds ayant enregistré une baisse immédiate de 9% (il devait rembourser l’argent de ses investisseurs s’il baissait de 10%). Ou encore toutes les fois où thestreet.com semblait aller à la ruine juste après avoir été lancé (Jim n’est de loin pas un champion de la gestion d’équipe et il lui a fallu du temps pour construire un navire solide, surtout durant les turbulences qu’il a vécues avec son partenaire Marty Peretz).
Ce qui nous ramène aux médias financiers en tant que forme de divertissement. Vous n’allez pas changer des vies en annonçant qu’il vaut mieux acheter IBM que MSFT en ce moment. L’un grimpe de 8%, l’autre de 7%, et la vie de personne ne s’en trouve bouleversée. Mais les gens lisent l’histoire d’un homme qui est au bord du suicide, qui lutte pour maintenir en vie son entreprise, son mariage et ses amitiés alors que tout le reste semble s’effondrer, et vous pouvez regarder tout ça et dire : « Oui, je connais ça. Je suis tout pareil, et il est aussi cinglé et bousillé que je l’étais. »
Nous saignons tous. Nous sommes tous humains – douloureusement, même si nous essayons tous de le cacher derrière nos costumes-cravate, nos bureaux, nos opinions géniales durant les soirées en ville et nos réunions d’entreprise. Regarder Jim dans Mad Money, c’est parfois comme regarder un train sur le point de dérailler. Jim est un peu fêlé, un peu farfelu, mais c’est soit le genre de fêlure que nous voyons tous un peu en nous-mêmes, soit le genre de fêlure que nous aimerions tous avoir.