Un jour, j’ai eu une idée de business. J’en ai parlé à un ami, qui l’a trouvée géniale. Nous l’avons alors présentée à quelqu’un qui aurait fait un bon client. Lui aussi a adoré cette idée. Nous étions prêts.
Mais les bonnes idées doivent être mises en pratique correctement et par les bonnes personnes. C’est indispensable.
Je ne voulais pas la mettre à exécution moi-même et mon ami n’a jamais trouvé le temps de le faire. Un jour, nous sommes tombés sur notre premier client potentiel, qui nous a demandé si nous avions concrétisé notre projet. Nous lui avons répondu que ce n’était pas le cas.
Était-ce une si bonne idée ? Elle me semblait intéressante et plutôt bon marché à mettre en oeuvre, alors, qui sait ? Cela vaudrait le coup d’essayer.
Mais nous ne l’avons jamais fait et ne le ferons jamais.
***
L’autre jour, j’étais dans un Uber. J’ai dit au chauffeur que j’allais lui donner une note de cinq étoiles.
Je voulais juste être sympa. En fait, j’attribue toujours cinq étoiles aux chauffeurs Uber. Après tout, pourquoi pas ? Une fois que je suis sorti de la voiture, cela m’est assez égal, alors pourquoi ne pas lui faire ce plaisir ?
Il m’a répondu : « Merci. Je vous donnerai aussi une note de cinq étoiles. »
HEIN ?!
« Qu’avez-vous dit ? »
Le chauffeur Uber m’a jeté un bref coup d’oeil avant de se reconcentrer sur la route.
« Je vous donnerai aussi une note de cinq étoiles.
— Vous attribuez des notes ? Enfin, je veux dire, les passagers sont évalués ?
— Oui, Monsieur. »
PARDON ?
Cela me semblait injuste. Cette course me coûtait plus cher que le métro ou le taxi, ET EN PRIME, j’étais jugé ? J’avais l’impression d’être mis soudainement en accusation et de devoir comparaître devant un tribunal.
« Où puis-je voir ma note ? »
Il m’a montré comment faire. J’avais 4,87 étoiles sur 5.
« C’est bien ? ai-je demandé.
— Oui, parfait. Si vous aviez moins de 4,7, certains chauffeurs pourraient refuser de vous prendre. »
ARGH ! Donc à partir de maintenant, je dois veiller à conserver une bonne note si je veux pouvoir me déplacer. Qu’est-ce que cela veut dire ? Faut-il que j’arrête de regarder des vidéos YouTube quand je suis dans un Uber ? Si le chauffeur me parle, faut-il que je fasse la conversation ? Et si je n’ai pas le moral ? Ou si j’ai besoin de regarder des vidéos YouTube pour préparer un podcast ?
Je suis rentré chez moi et j’ai demandé à l’une de mes filles :
« Tu savais que les chauffeurs Uber nous évaluaient ?
— Ouais », m’a-t-elle répondu en me montrant sa note.
QUOI !? 4,9 ?
« Je ne comprends pas. Comment fais-tu pour avoir une meilleure note que moi ? Tu laves leur voiture entre les courses ? Tu gardes leurs enfants ? Tu leur demandes comment ils vont ? Parce qu’une chose est sûre, tu ne me poses pas la question, à moi. »
Mais elle ne m’écoutait pas.
D’une certaine manière, je me sens menacé à l’idée d’être noté.
C’est comme quand un restaurant reçoit un avis négatif : plus personne ne veut y aller.
Si l’on m’attribue une mauvaise note, plus personne ne voudra me conduire nulle part. Comment ferai-je alors pour me déplacer ?
J’avais l’impression d’avoir une nouvelle mission : rendre les chauffeurs Uber heureux.
***
Pendant plus de deux ans, j’ai vécu uniquement dans des Airbnb.
Je ne voulais rien louer, rien posséder. Je ne sais pas pourquoi. J’avais le sentiment d’avoir suivi le même chemin toute ma vie, et j’avais simplement envie de bifurquer pendant quelque temps.
J’ai jeté tout ce que je possédais. Toutes mes affaires tenaient dans un seul sac. Et je me suis installé dans des Airbnb. Souvent à New York, mais parfois aussi à l’autre bout du monde.
Cela ne me coûtait pas beaucoup plus cher que de louer un appartement. Mais certaines périodes furent plus agréables que d’autres. Cela dépendait de l’endroit où je me trouvais, de la durée de mon séjour, de ce que j’avais prévu de faire de mes journées…
Un jour, j’ai eu un désaccord avec un propriétaire. Je ne me souviens plus du problème exact, mais nous avons décidé de laisser Airbnb trancher.
En plein milieu de notre appel avec un agent de la plateforme, nous nous sommes rendu compte que nous pouvions chacun faire pression sur l’autre. Je pouvais lui laisser un avis négatif (ce qui risquait de compromettre sa capacité à louer son appartement, et donc à gagner de l’argent), mais lui aussi pouvait me fustiger dans son avis (ce qui risquait de m’empêcher de réserver des hébergements, un enjeu crucial pour moi car, à l’époque, je ne vivais QUE dans des Airbnb).
Nous sommes donc tombés d’accord : « Vous savez quoi, ce n’est pas grave. Oublions le passé. Et ne laissons pas de commentaire à l’autre. »
Ainsi, la peur nous a permis de régler calmement notre différend et de passer à autre chose.
***
Une autre fois, je voulais emmener ma fille en vacances.
J’ai d’abord cherché des informations sur le mont Rushmore. Je ne sais pas trop pourquoi ; en fait, cela ne m’intéressait pas vraiment de visiter ce mémorial.
C’est alors que j’ai réalisé quelque chose qui m’amuse beaucoup depuis.
Il est possible d’évaluer presque tous les endroits référencés sur Google Maps. Je pensais que seuls les restaurants étaient notés (via Yelp). J’ignorais totalement que les MONTAGNES pouvaient l’être aussi.
Le mont Rushmore compte 25 967 avis Google.
Sérieusement, qui visite le mont Rushmore et se dit « il faut que je laisse un commentaire sur ce site » ?!
Il existe trois raisons principales qui poussent les gens à donner leur avis sur un lieu :
- La vengeance: vous avez détesté un restaurant, vous le démolissez en commentaire sur Internet et le gérant ne peut rien faire pour s’y opposer. Une critique virulente peut même l’obliger à mettre la clé sous la porte.
- L’altruisme: vous voulez réellement aider les autres en écrivant un commentaire unique, plus précis.
- L’approbation: « J’espère que les gens m’apprécieront, me trouveront intelligent et aimeront mon commentaire. Si je reçois beaucoup de likes et que les autres m’apprécient, je me sentirai accepté. »
Ce qui m’a étonné, c’est que le mont Rushmore avait reçu aussi bien des notes de cinq étoiles que des notes d’une étoile.
Vous vous demandez qui peut bien attribuer une seule étoile au mont Rushmore ? Je vais vous donner au moins un exemple.
Une de ces critiques disait : « J’ai fait plus de 3 000 kilomètres pour arriver là. Quel dommage de voir cette montagne autrefois si belle complètement défigurée ! »
UNE SEULE ÉTOILE !
Tout d’abord, pourquoi avoir parcouru 3 000 kilomètres ? Vous ne saviez pas ce qui vous attendait ?
Avant de FAIRE les choses, il faut les CONNAÎTRE.
Ensuite, cette montagne n’a pas été DÉFIGURÉE. Elle a été MODELÉE, au contraire. C’est le principe même du mont Rushmore.
La liberté d’expression ne veut pas dire cracher son venin à tort et à travers sur n’importe quoi et n’importe où. Pourtant, c’est exactement ce que Google Maps nous autorise à faire.
Auschwitz a reçu 10 067 avis. Sérieusement, qui attribue cinq étoiles (ou une étoile) à Auschwitz ? Quel est le sens de ces évaluations ?
Les pyramides d’Égypte ont reçu 14 743 avis ! Des merveilles architecturales, construites il y a des milliers d’années grâce au dur labeur de plusieurs générations de bâtisseurs. « Pas de place pour se garer ! » UNE ÉTOILE.
Uber, Airbnb, LES PYRAMIDES D’ÉGYPTE, tous les restaurants… Nous vivons dans une société où tout le monde peut être noté par n’importe qui, pour n’importe quoi.
En Chine, on a même inventé le système de « crédit social », un score qui détermine les privilèges accordés à chaque citoyen de ce régime communiste très strict.
Je ne veux pas être noté. Pourtant, mon podcast a reçu des milliers d’avis. Mes livres ont recueilli, en tout, plus de 10 000 évaluations. Mes vidéos YouTube sont aussi commentées.
Lorsque je faisais des vidéos sur Yahoo Finance, ma femme me disait toujours : « Promets-moi de ne pas lire les commentaires. »
Mais bien sûr, je ne l’écoutais pas.
« Pourquoi y a-t-il toujours ce SDF sur Yahoo Finance ? »
« James Altucher est le pire des idiots. Il ne peut pas se faire couper les cheveux ? Je ne sais pas pourquoi je le déteste à ce point, mais je ne supporte pas sa tête. »
Toutes vos opinions, tous vos commentaires, tous vos avis sont généralement publics.
Le secteur des services traite ces données, les analyse, examine ce qui vous a fait plaisir par le passé et en tire profit pour vous proposer un meilleur service.
C’est ainsi que fonctionnent les publicités. Si votre femme cherche « Toyota » sur Google, vous verrez peut-être des publicités pour des voitures. Si vous cherchez « Tahiti », votre femme verra des annonces d’agences de voyage. C’est un monde nouveau.
Avec son lot de nouvelles opportunités, que j’explore chaque mois dans ma lettre Les Dossiers d’Altucher.