Wall Street est tordue. Cela ne surprendra personne. J’ai vécu dans cette rue et j’y ai travaillé.
Wall Street commence à Broadway et continue jusqu’à Water Street. La rue fait une courbe.
Au niveau de Broad Street, elle commence à se couder. Si on se tient à un bout de Wall Street et qu’on essaie de regarder l’autre bout de la rue, ce n’est pas possible.
Elle est sinueuse, tortueuse, tordue. Les gens qui y passent rêvent de devenir riches. Certains pleurent parce qu’ils n’y sont pas arrivés. Et, si vous n’y parvenez pas là, alors vous ne le pourrez nulle part ailleurs.
C’est vrai. Parce que c’est là que se trouve l’argent. Et les gens peuvent devenir désespérés lorsqu’il s’agit d’argent. Tellement désespérés qu’ils feraient n’importe quoi pour en avoir.
À un moment de ma vie, j’ai investi dans une douzaine de hedge funds. Onze d’entre eux ont fini par être condamnés pour activités illégales. Je pense que quelques personnes sont aujourd’hui en prison.
Chaque nuit, je tremblais de peur parce que je commençais à me rendre compte de ce qui se passait. Jusqu’à ce que finalement je mette fin à tout cela.
Mes investisseurs étaient très inquiets de ma décision d’arrêter alors que tout se passait bien. Nous étions en 2006. En 2009, j’ai finalement pu récupérer mon argent. C’est ainsi, Wall Street tente désespérément de garder votre argent. Je pensais que Wall Street était le chemin le plus court pour en gagner. En fait, c’était le chemin le plus court vers le stress et le malheur. J’en suis sorti. Pour n’y plus jamais remettre les pieds.
Billions, la série diffusée sur Showtime depuis 2016, est la première qui, selon moi, décrit avec précision ce qui se passe réellement dans cette petite rue qu’est Wall Street.
Grosso modo, Billions raconte l’affrontement entre un gestionnaire de hedge fund, Bobby Axelrod, surnommé « Axe » (incarné par Damian Lewis), qui dirige Axe Capital – et un procureur fédéral, Chuck Rhodes (joué par Paul Giamatti).
J’ai moi-même été gestionnaire de hedge fund pendant quelque temps. Pas comme le personnage d’Axe dans la série – à bien plus petite échelle. Mais les principes sont les mêmes. Les gens investissent de l’argent avec vous (comme dans un fonds communs de placement) et vous pouvez faire TOUT CE QUE VOUS VOULEZ de cet argent afin qu’il rapporte encore plus d’argent.
Contrairement aux fonds communs de placement, les hedge funds sont peu réglementés. Ce qui signifie que de mauvaises choses peuvent arriver. Comme un Bernie Madoff qui a volé des milliards.
Les hedge funds sont appelée ainsi (« hedge » en anglais signifie « couverture ») parce que les premiers hedge funds (et Warren Buffett possédait l’un des tout premiers dans les années 1950) pouvaient à la fois acheter des actions et parier contre elles.
En d’autres termes, ils peuvent « couvrir » leurs risques en étant pour moitié en faveur d’une hausse du marché et pour moitié en faveur d’une baisse du marché. Et s’ils font les bons choix, alors ils gagnent à tous les coups et évitent de perdre de l’argent lorsque le marché recule.
Ceci étant, il y a un célèbre adage à Wall Street qui dit que « lorsqu’on ‘couvre’, on double la prise de risques et on gagne la moitié de l’argent ».
Dans la série, le procureur veut coincer le gestionnaire de hedge fund pour délit d’initié.
Le décor est planté. C’est l’histoire du bien contre le mal – où vous ne savez pas ce qui est bien et ce qui est mal, quelle devrait être la loi, ce qu’est le capitalisme, quelle est la psychologie de l’argent et de la réussite. Naturellement, le tout est pimenté d’un peu de sexe (sinon, à quoi bon vivre ?).
La définition de délit d’initié varie constamment dans la série. C’est ce qui la rend intéressante. C’est une zone grise.
Mais en résumé, si vous connaissez une information qui est privée (« l’entreprise A achète l’entreprise B »), alors vous n’avez pas le droit de vous faire de l’argent avec cette information.
AD Hotlist OPA interview « Combien de temps faut-il pour maîtriser le marché lucratif des rachats ? »
L’essence de la loi sur les marchés aux États-Unis est la suivante : chaque transaction doit comporter un risque. Si vous éliminez le risque, par exemple en payant pour une information que personne d’autre ne connaît, alors vous commettez une infraction.
Le délit d’initié doit-il rester illégal ?
Qu’il devrait le rester ou pas, c’est un fait établi qu’il est illégal. Mais examinons la question une seconde.
Je ne pense pas qu’il devrait être illégal. Lorsque l’on a fait un trade, les connaissances qu’on avait sont dorénavant injectées directement dans le marché boursier.
Plus des connaissances ont imprégné le marché, plus le marché est efficient. Plus il y a d’informations privilégiées dans une action, plus elle bougera sans accroc et plus elle reflétera les choses réelles qui influencent le cours d’une entreprise.
Je préférerais que le délit d’initié devienne légal et que l’État poursuive plutôt les fonds qui volent de l’argent réellement, comme ceux de Madoff.
Mais beaucoup de gens ne sont pas d’accord avec ça et, pour moi, c’est une lutte qui ne vaut pas la peine d’être menée.
La SEC (Securities and Exchange Commission) vs. le procureur fédéral
À Wall Street, tout le monde n’est pas du même côté. Au début de la série, nous voyons que la SEC possède des preuves à l’encontre de Bobby Axelrod, le méga gestionnaire de hedge fund qui gère des milliards de dollars.
Le représentant de la SEC montre les preuves à Chuck Rhodes, le procureur fédéral qui, à juste titre, le jette hors de son bureau.
Pourquoi le procureur ne veut-il pas tenir compte de ces preuves ?
Les preuves étaient celles-ci : avant qu’une importante opération boursière n’ait lieu, trois différents hedge funds émanant d’Axe Capital (c’est-à-dire : des gars qui travaillaient là-bas et qui ont ensuite lancé leurs propres fonds) ont tous fait le même trade au même moment et le timing était tel qu’ils ont gagné un maximum d’argent.
Vous ne pouvez faire cela que si vous savez quelque chose.
Le problème est que « savoir quelque chose » et prouver que quelqu’un savait quelque chose n’est pas la même chose.
Si la SEC leur demande des explications, ces trois hedge funds pourraient prendre peur et payer une grosse amende pour que l’affaire en reste là. Voilà comment la SEC reste en activité.
Mais avec le procureur fédéral, l’État doit prouver qu’une infraction a été commise.
Que les fonds ont obtenu l’information de manière illégale, que l’information provient peut-être d’Axe Capital et qu’ils ont tradé parce qu’ils avaient cette information. C’est là une autre paire de manches.
La SEC n’a pas assez de monde pour enquêter sur toutes les infractions à Wall Street.
Laissez-moi vous dire une chose : j’estime que 90% des hedge funds commettent des infractions à un moment ou un autre. Il existe des milliers de hedge funds. On ne peut pas tous les poursuivre. Les grands hedge funds sont importants pour une raison spécifique : ils savent comment ne pas se faire attraper.
La SEC aimerait donc beaucoup que le procureur fédéral utilise ses ressources pour poursuivre un gros hedge fund. Elle viendrait après la bataille et récolterait d’énormes amendes.
Le procureur Chuck Rhodes sait cela. Il ne veut pas être utilisé. C’est pourquoi il jette le représentant de la SEC hors de son bureau. Mais la graine a été plantée. Cela pourrait être le cas le plus important de sa carrière. Et comme avec beaucoup de procureurs, courir après de grosses cibles financières peut être un tremplin vers une grande carrière. Mais il ne veut pas faire tout capoter en engageant des poursuites trop tôt.
Un trade facile
Entrons chez Axe Capital pour voir comment se déroule une transaction.
Deux analystes approchent Axe. Ils ont une idée de trade très simple.
Voici ce qu’il faut savoir à propos de Wall Street. Si l’argent semble facile, alors c’est qu’il ne l’est pas. Personne ne gagne jamais d’argent facilement à Wall Street.
Je n’entrerai pas dans les détails de la conversation. Mais je vais décrire en gros ce qui s’est passé.
Voici l’idée de trade simpliste que les analystes ont eue.
L’entreprise A essaie d’acheter l’entreprise B pour 41 dollars par action. L’entreprise B s’échange pour 35 dollars.
Autrement dit, vous pouvez acheter « B » à 35 dollars et une fois l’affaire bouclée, à 41 dollars, vous aurez gagné 18% sur votre investissement. Si l’affaire se conclue rapidement, c’est là un rendement incroyable.
C’est ce que l’on appelle un « trade facile ». Combien de trades faciles ont lieu à Wall Street ? Pour ma part, je n’en ai jamais vu.
Bobby reçoit une information supplémentaire. Peu importe de quoi il s’agit. Mais il se rend compte que l’homme derrière tout cela est connu pour une chose : faire croire que les trades faciles vont bien se réaliser, piéger tous les day traders qui travaillent de chez eux qui n’en savent pas plus et vendre sa propre position contre un bénéfice avant que tout le monde se rende compte que la transaction n’aura finalement pas lieu.
[Lire aussi : 11 ou 12 choses que j’ai apprises sur la vie lorsque je faisais du day trading avec des millions de dollars]
Bobby explique donc cela et dit de ne pas jouer le trade mais de parier contre. Il dit plus exactement : « Vendez à découvert. »
La vente à découvert (short selling en anglais)
Vous pouvez acheter une action. Ou vous pouvez vendre à découvert une action. Lorsque vous achetez une action à 10 dollars et qu’elle atteint 12 dollars, vous avez gagné 2 dollars sur votre investissement. Si vous avez acheté 1 000 actions, alors vous avez gagné 2 x 1 000 = 2 000 dollars. C’est ainsi que la plupart des gens gagnent de l’argent à Wall Street.
Mais souvent les hedge funds vendent à découvert une action au lieu de l’acheter. Vendre à découvert, sans entrer dans des explications techniques, signifie parier sur une baisse de l’action.
Par conséquent, si vous vendez à découvert 1 000 actions d’un titre à 10 dollars et qu’il passe à 8 dollars, vous aurez alors gagné 2 000 dollars. Si quelqu’un achète 1 000 actions à 10 dollars et qu’elle passe à 8 dollars, il aura alors perdu 2 000 dollars.
Voilà le gros problème.
J’ai un ami qui, un jour, a vendu à découvert 4 000 actions de Qualcomm alors qu’elle était à 80 dollars. Il me dit : « Qualcomm est trop haut, c’est complètement fou. »
Lorsque les gens utilisent le terme fou à Wall Street (comme lorsqu’ils hurlent « Tu es fou » à leur conjoint ou à leurs amis), ils sont généralement les premiers concernés. Ce sont eux qui sont fous – pas le conjoint, ni l’ami, ni l’entreprise.
Qualcomm est montée à 1 000 dollars.
Qu’est-ce que cela signifiait pour mon ami ? Cela signifiait qu’il avait perdu plus de 100% de son argent. Il a perdu 920 $ (1 000 $ – 80 $). Multiplié par 4 000 actions, il a donc perdu au total près de 3,7 millions de dollars.
Il n’avait risqué que 320 000 dollars (4 000 $ x 80 $).
Mon ami a tenté de se suicider. Seize ans plus tard, il travaille toujours comme courtier.
Vendre à découvert est très dangereux. Avoir des informations privilégiées est souvent une super technique (mais illégale) pour gérer le risque dans un trade.
Dans Billions, le trade décrit ci-dessus n’était pas illégal. C’était en fait très intelligent, mais le fait est que vous ne pouvez pas être intelligent tout le temps. Parfois, on a besoin d’un avantage supplémentaire.
La rétribution des hedge funds
Ce terme doit être expliqué pour comprendre pleinement ce qui se passe. Pourquoi les gestionnaires de hedge funds gagnent-ils des milliards de dollars pour leur propre compte alors que ce n’est pas le cas pour les gestionnaires de fonds communs de placement et les courtiers ?
Pourquoi même les employés de hedge funds gagnent-ils des millions alors que les employés de fonds communs de placement gagnent un salaire fixe entre 100 000 et 200 000 dollars par an (voire moins) ?
Voici comment un fonds commun de placement gagne de l’argent : vous y placez de l’argent et il prélève des honoraires modiques (entre 1% et 2%) sur votre argent. Une partie de cet argent va dans la poche du courtier qui a recommandé le fonds. Cet argent est utilisé pour payer les bureaux, les employés, la comptabilité, parfois le marketing, etc. Il peut donc rester très peu pour rémunérer les gestionnaires du fonds.
Un hedge fund est différent.
Si vous y investissez un million de dollars (et c’est souvent le minimum requis), le hedge fund vous fait facturer ce que l’on appelle le « 2 et 20 ».
Le « 2 » représente les frais de 2% que vous devez payer chaque année (donc 20 000 dollars par an si vous investissez un million de dollars).
Le nombre « 20 » désigne le pourcentage des bénéfices que s’octroie le gestionnaire du hedge fund. Ainsi, si un hedge fund d’un milliard de dollars rapporte 10% (soit à peu près ce que rapportent la plupart des fonds communs de placement les bonnes années), alors les bénéfices s’élèveront à 100 millions de dollars et 20 millions de dollars iront dans la poche du gestionnaire du hedge fund (20% de 100 millions de dollars).
Lorsque Paulson & Co, le fonds de gestion alternative de John Paulson, a gagné 6 milliards de dollars en pariant contre les hypothèques en plein milieu de la crise financière (parier contre les hypothèques étant quelque chose que les fonds communs de placement ne peuvent pas faire contrairement aux hedge funds), Paulson a gagné un bonus de 1,2 milliard de dollars sur ses revenus.
Lorsque, un an plus tard, il a perdu 15 milliards de dollars (je n’ai pas le chiffre exact, il est peut-être totalement faux mais je l’utilise comme exemple de ce qui pourrait arriver), il ne gagna pas d’argent cette année-là autre que les « 2 ». Mais il conserva malgré tout sa prime de 1,2 MILLIARD de dollars gagnée l’année précédente.
C’est pourquoi la principale compétence d’un gestionnaire de hedge fund n’est pas de sélectionner les bonnes valeurs (même si c’est important), mais de rester dans le jeu jusqu’à avoir enfin cette bonne année où il pourra gagner une énorme somme d’argent et en tirer un énorme bonus.
Suite de cet article, cliquez ici => https://investissements-personnels.fr/billions-dessous-wall-street-2/