La poule aux oeufs d’or
Les Français confirment leur confiance dans une agriculture et une alimentation bio : en 2015, 65% ont consommé régulièrement du bio (37% en 2003), le marché du bio s’élève à 5,5 milliards d’euros (croissance annuelle de 10%) et concerne 1,31 million d’hectares de terres (+17% par rapport à 2014). (Source : l’Agence Bio.)
La production bio n’est plus une niche réservée aux marchés paysans et aux boutiques spécialisées, elle est maintenant intégrée au marché de masse de la moyenne et de la grande distribution.
L’agriculture biologique intéresse parce qu’elle est rentable. La grande distribution s’est lancée dans le bio pour des raisons purement commerciales. Fortes d’un argument marketing de choix, « démocratiser le bio », les grandes compagnes publicitaires ont fleuri et proposent des bas prix et de grandes quantités de produits.
Nous sommes passés à une agriculture bio intensive importée massivement (50% des produits vendus dans les rayons).
L’Asie, l’Amérique latine, l’Afrique et l’Europe (Roumanie, Espagne), principaux fournisseurs de ces denrées, ne sont pas ou très peu consommateurs de bio. De plus en plus éloignée des paysans, loin des préoccupations sociales ou environnementales, la réglementation européenne* se réduit à un ensemble de critères n’imposant aucune limite à l’agriculture intensive.
* Le label officiel français du bio (label Agriculture biologique, « AB ») répond au cahier des charges européens de l’agriculture biologique : les pesticides et les engrais chimiques de synthèse sont interdits. La mixité des productions bio et non bio (dans une même exploitation) est acceptée. Les produits transformés contiennent au moins 95% d’ingrédients bio. Une contamination par OGM à hauteur de 0,9% des produits transformés est tolérée.
Prenons l’exemple frappant de la réglementation des élevages de poulets et des poules pondeuses. La France est le premier producteur d’œufs bio dans l’UE. Un élevage peut aller jusqu’à 75 000 poulets de chair par an, aucune limite pour les poules pondeuses. Avant l’alignement du label français sur les normes européennes (2009), 40% de l’alimentation des animaux devaient provenir de la ferme. C’est ce qu’on appelle le « lien au sol ». Aujourd’hui, l’éleveur bio peut acheter la totalité de l’alimentation aux coopératives agricoles : il s’agit d’une alimentation industrielle (soja bio importé de Chine, contaminé un temps par la mélamine, ou du Brésil, ce qui entraîne la déforestation amazonienne).
Les conséquences de cette réglementation
Les coopératives agricoles ainsi que la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) ont adopté une même logique commerciale et financière pour répondre à une demande de masse à moindre coût et en toute saison.
Pas de souci, l’UE autorise le recours à l’allopathie (tous les poussins sont vaccinés).
Les paysans sont englués dans l’endettement et liés aux coopératives qui fournissent poussins, bâtiments, nourriture, conseils techniques et produits allopathiques. Les paysans sont obligés de vendre leur production aux coopératives qui fixent les prix et interdisent la vente directe, sans compter que les prix sont tirés vers le bas.
Pas mieux pour les légumes et les fruits ! En théorie, les cultures hors-sol sont interdites en agriculture bio mais l’exemple de la province d’Almeria, en Andalousie montre à quel point la réglementation est contournée. Dans les années 80, est né l' »eldorado de plastique » (tomates, courgettes, aubergines et fraises toute l’année) : dans de vastes champs recouverts de serres, où est surexploitée une main-d’œuvre émigrée (surtout des femmes) sans droit vivant dans des conditions difficiles, les fruits et les légumes sont cultivés dans du sable recouvert de plastique, avec des nutriments bio délivrés par un système de goutte à goutte continu… Voilà d’où viennent les tomates bio de vos supermarchés, oui bio, le sable est « local », les nutriments sont « bio » et hop le tour est joué.
Un verre de vin pour faire passer tout ça ? Merci encore à l’Europe qui a tronqué le cahier des charges. Les grandes coopératives en profitent pour accaparer le marché. La production augmente, le goût se standardise. Par exemple, l’ajout de levures qui réduisent le temps de travail en cave et contribuent à la production de masse est autorisé. Toujours plus et toujours plus vite.
Un bio de moins en moins bio ! Il est réduit à une distribution d’aliments sans pesticides pour consommateurs occidentaux soucieux de leur santé.
Les conséquences sont multiples : la monoculture, la concurrence sauvage, la spoliation des terres ou l’exploitation de la main-d’œuvre. En mire se profile la disparition du monde paysan, sans compter que les terres lointaines de l’hémisphère sud converties au bio ne nourrissent plus la population locale.
Il n’y a plus de place pour le savoir-faire paysan
Revenons à notre exemple du poulet. Certes, le label AB dans la réglementation européenne stipule que l’animal peut s’ébattre en journée, mais… sur 40 centimètres carrés. Les poulets sont souvent abecqués pour ne pas s’étriper. Ils ont le droit aux antibiotiques une fois par an et aux traitements contre les parasites sans limite. Plus aucune traçabilité garantie, plus aucune transparence sur le contenu de leur gamelle (nourriture importée). Comme son cousin industriel, le poulet estampillé AB se goinfre de soja importé, certes bio mais qui peut contenir jusqu’à 0,9% d’OGM.
L’éleveur bio est devenu un simple exécutant qui engraisse pendant 81 jours des volailles qui ne lui appartiennent pas, nourries par les géants de l’agroalimentaire.
Le consommateur est berné ! Au-delà des fraudes qui peuvent exister, la vraie menace est une entourloupe parfaitement légale : le bio industriel.
a) Les groupes industriels rachètent les enseignes du bio :
- Casino, par l’intermédiaire de sa filiale Monoprix, rachète l’enseigne Naturalia ;
- Danone rachète Stonyfield (2009), le spécialiste du yaourt bio américain ;
- les marques Bonneterre, Bjorg, Evernat, Allos, Tartex, AlterEco appartiennent à un des plus grands groupes européens de l’agroalimentaire (Royal Wessanen) ;
- Lima et Danival rachetés par le groupe Hain Celestial.
b) L’opportunité marketing de produits vidés de toute préoccupation sociale et environnementale remplace difficilement la conviction. Comme Richard Marietta, président de Nature et Progrès, vous pouvez constater que « l’hypermarché bio est devenu le laboratoire du commerce du futur », un labo où tout sera privatisé :
- 95% des légumes bios sont issus des semences de variétés hybrides (F1), c’est-à-dire fournies par Monsanto, Bayer et Syngenta, les trois grands groupes de la chimie mondiale ;
- les semenciers européens ont privatisé la couleur des tomates… Tout est brevetable, et donc payant : au-delà du contrôle du vivant par deux ou trois grands groupes, c’est aussi tous les petits producteurs qui risquent de disparaître.
c) Le commerce équitable n’est pas si équitable que ça : c’est avant tout un business loin des objectifs initiaux :
- si les petits producteurs voient s’améliorer leurs conditions de vie, on oublie de dire qu’ils ont souvent des ouvriers qui continuent de vivre, eux, dans la misère ;
- pour certains produits comme la banane, l’organisation donne son label à de grands propriétaires terriens qui s’enrichissent grâce au système des prix garantis ;
- rien n’encadre les marges de la distribution dans le cahier des charges de Max Havelaar : les intermédiaires ne diminuent pas leur marge parce que c’est du commerce équitable. C’est le consommateur qui paye.
d) La privatisation du vivant pour mieux régner est en marche et il ne tient qu’à vous de l’enrayer. Qui décidera qu’un produit est bio et selon quels critères : les intérêts financiers des groupes mondiaux ou vous ? L’État et ses discours de santé publique asservis à ces mêmes grands groupes ou vous ? Le Parlement européen soumis aux lobbies ou vous ?
La dernière décision en date de la Commission européenne est de modérer la réglementation bio en autorisant une dose « tolérable » de pesticides de synthèses.
Quel discrédit jeté sur le bio ! La réglementation est censée mettre le consommateur en confiance. Si cette tendance se confirme, c’est toute la filière bio qui risque tout simplement de péricliter. Le Parlement européen est historiquement le défendeur du consommateur mais là il se positionne du côté des producteurs avec les largesses nécessaires pour coller le label bio sur une production « presque bio ».
Heureusement pour cette fois, le processus législatif est long.
Voulez-vous vraiment de ce bio au rabais ?
Sans attendre, agissez ! En France, vous disposez de nombreuses alternatives.
Il est facile de comprendre l’intérêt de consommer local et de saison, on limite le gaspillage d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre associées au transport, à l’entreposage et au chauffage des serres. Les produits de saisons répondent à des besoins physiologiques bien déterminés. Les fruits et légumes gorgés d’eau permettent de lutter contre la déshydratation en été. Leur teneur en bêta-carotène contribue aussi à protéger la peau contre les rayons du soleil. En hiver, les légumes riches en matière sèche et amidon fournissent de l’énergie pour lutter contre le froid et les maladies hivernales.
Pour éviter la grande distribution et la multiplicité des intermédiaires faisant grimper les prix, essayez les circuits courts, qui aident au maintien des petites et moyennes exploitations en France :
- les AMAP (Association pour le maintien d’une agriculture paysanne) ;
- la vente directe sur les marchés de plein vent ou à la ferme : http://www.mon-panier-bio.com/distributeur/local/ou-trouver-panier-bio-france/;
- les groupements de producteurs ;
- les fermes cueillettes : http://cueillette-a-la-ferme.fr/texts/france) ;
- les groupements d’achat de consommateurs : Nature et Progrès par exemple (http://www.natureetprogres.org/nature_et_progres/natureetprogres.html) ;
- les sites d’information : https://laruchequiditoui.fr/fr, https://locavor.fr/.
Sur le plan économique et social, les circuits courts favorisent la vie de quartier et la circulation de l’argent dans la communauté. Ils permettent de recréer un contact entre agriculteurs et habitants des zones urbaines et périurbaines et de soutenir les producteurs locaux. Ils offrent une transparence sur la provenance de la nourriture, les prix et leur mode de production. En France, le commerce sans intermédiaire concerne un exploitant sur cinq pour l’instant.
Intéressez-vous aux associations pour la défense des terres agricoles : il faut les préserver et alléger le parcours de l’agriculteur qui veut produire du bio. Ceci passe aussi par le développement de la biodynamique et de la préservation du savoir paysan. Terre de liens est une association qui collecte l’épargne populaire pour acheter des terres (http://www.terredeliens.org/). Kokopelli est un mouvement pour la défense des semences (https://kokopelli-semences.fr/).
Renseignez-vous auprès de votre municipalité qui sera à même de vous orienter vers les petits producteurs locaux qui font de la vente directe ou se limitent à un intermédiaire.
Bien antérieure à l’appellation de la certification bio, est née l’idée de l’agroécologie : l’idée qu’il faut renouer le lien entre l’homme et la nature.
C’est un vrai projet de société bien loin des préoccupations commerciales de l’agroalimentaire. Le bio ne peut pas se réduire à un label. Le bio ne doit pas reposer sur une approche opportuniste du marché. Il est à concevoir sur un plan environnemental, humain et sociétal. Le bio doit nourrir les populations locales au lieu d’aller alimenter la spéculation du marché international.
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Après la Seconde Guerre mondiale, il y avait 4 millions de fermes en France contre moins de 500 000 aujourd’hui. Vingt mille fermes disparaissent chaque année. Triste constat.
Les labels les plus répandus et avec des chartes différentes :
Bio Cohérence | BC est une garantie privée (certifiée par un tiers indépendant) créée suite au règlement européen jugé trop laxiste. BC ne labellise que des produits déjà estampillés AB, mais avec des critères supplémentaires : la mixité des productions est interdite, le seuil minimum de contamination par les OGM est limité à 0,1% et l’alimentation des herbivores doit être produite à 80% sur l’exploitation. http://www.biocoherence.fr/ |
Demeter | Demeter est une garantie privée pour les produits issus d’exploitations certifiées AB et utilisant les principes de l’agriculture biodynamique. La certification va plus loin que le label AB : les OGM sont interdits, les produits composés doivent comporter au moins 90% d’ingrédients Demeter, l’alimentation des animaux doit se faire à 2/3 avec des produits certifiés AB et 80% des aliments doivent être produits sur la ferme. http://www.demeter.fr/ |
Nature et Progrès | NETP est une marque attribuée à des produits 100% d’origine NETP ou BIO. Elle ne demande pas la certification AB à ses producteurs et repose sur un système participatif de garantie, animé par des producteurs et des consommateurs. NETP interdit la mixité, les traces d’OGM et l’huile de palme dans ses produits (même bio). L’alimentation des herbivores et des porcs doit être produite pour moitié sur la ferme. http://www.natureetprogres.org/ |
Ensemble Solidaires | Garantie créée par BIOCOOP qui assure des partenariats durables entre groupements de producteurs, transformateurs et distributeurs. Produits 100% bio, pas de cultures sous serres chauffées pour les fruits et légumes, élevages sur des exploitations de tailles limitées et production de races locales, animaux nourris avec 100% d’aliments bios, produits en majorité sur l’exploitation. http://biocoop.fr/ |
Fairtrade Max Havelaar |
Ce label privé a été créé par l’association Max Havelaar composée majoritairement de petits producteurs. Attention, il doit côtoyer le label « AB » sur l’emballage pour garantir la double certification. Qui dit « équitable » ne veut pas forcément dire biologique. Le label garantit tout de même que les producteurs s’engagent à prendre soin de leurs ressources naturelles et qu’ils n’utilisent ni pesticides ni OGM. http://www.maxhavelaarfrance.org/ |
Bio Equitable | Les bio BE sont issus du commerce équitable et sont certifiés AB. BE impose un engagement des importateurs sur des volumes et ce, sur une durée d’au moins 3 ans. Produits uniquement commercialisés en magasins spécialisés. http://www.biopartenaire.com/ |
Bio Solidaire | BS est en quelque sorte du commerce équitable nord/nord sur des produits AB. Il n’y pas de prime de développement mais plutôt un investissement de l’entreprise pour développer la filière. Le référentiel interdit le chauffage des serres et demande de respecter la saisonnalité. Il s’applique uniquement aux producteurs et opérateurs français. Produits commercialisés en magasins spécialisés. http://www.biopartenaire.com/ |
Pour aller plus loin
- Je vous conseille l’ouvrage de Philippe Baqué, La bio : entre bussiness et projet de société, (Agone, 2012) ;
- Le livre (existe aussi en DVD) de Marie-Monique Robin : Les moissons du futur, les défis de l’agroécologie (La Découverte, 2014)