Fabrice Coletto auteur du rapport spécial Des Cadeaux oui, mais pas au Fisc !
Si les cadeaux scellent un retour d’affection, l’expérience montre qu’ils peuvent déboucher sur une nouvelle discorde notamment avec les services fiscaux…
Voici une affaire pittoresque que les juges nancéens ont eu à traiter tout récemment (Cour d’appel de Nancy, 1ère chambre civile, 20 janvier 2015, n°13/03039). Il s’agit d’un contentieux familial relatif aux présents d’usage (article 852 du Code civil URL). Cet arrêt civil a aussi une portée fiscale.
Les présents d’usage ne constituent point des donations, et ne sont donc pas rapportables à la succession, ni taxables aux droits de mutations à titre gratuit (DMTG) dès lors qu’ils restent modiques. Mais comme le texte de loi ne donne aucune indication chiffrée permettant de définir la modicité, c’est à la justice que revient cet exercice.
Acte 1 : le retour du fils…
Une mère de famille, Louisette, avait eu cinq enfants, mais des vicissitudes de la vie l’avaient fâchée avec l’un d’entre eux, Etienne. Cependant, « le temps ayant ses vertus » dit-on, la mère et le fils se retrouvent en 2007. Et pour sceller cette réconciliation, la maman offre 20 000 euros à son fils.
Le début de cette belle histoire ressemble un peu à la parabole Biblique du fils prodigue pour lequel le père tue généreusement le plus bel agneau lors de son retour au bercail. Au décès de la mère de famille, la fratrie s’étrangle de colère : visiblement, le « plus bel agneau » a bien du mal à passer ! Tout naturellement, les cohéritiers réclament le rapport des 20 000 euros à la succession afin de rétablir l’égalité entre eux tous.
Leurs arguments ne sont pas infondés. Ils font valoir que ce présent d’usage allégué par le fils représente une bonne dizaine de pourcent de la fortune de la donatrice. Cependant, où s’arrête la modicité et où commence l’excès ? De cela, le Code civil n’en souffle mot.
Acte 2 : le prix du retour : 20 000 euros !
Les cohéritiers soutiennent que cette remise des 20 000 euros s’est accompagnée d’une déclaration spontanée au fisc…comme s’il s’agissait d’un don. Puisqu’un présent d’usage n’est pas un don, il n’est pas à déclarer ni aux cohéritiers ni à l’administration fiscale. Inversement, si l’on déclare spontanément la remise d’une somme au fisc, alors c’est bien qu’il s’agit d’un don manuel et que les parties l’ont voulu ainsi. Faute d’acte notarié stipulant expressément la dispense de rapport au décès du gratifiant, les sommes reçues sont à remettre dans la masse de calcul à la succession de celui qui a donné. CQFD !
Le fils qui avait encaissé les 20 000 euros se défend et soutient qu’il s’agissait bien d’un présent d’usage « pour symboliser leur réconciliation ». Et qu’en vertu de l’article 852 du Code civil, ce geste n’est pas soumis à rapport successoral.
Faux, lui rétorque d’abord le Tribunal de grande instance (TGI) de Nancy. Le juge de première instance ayant relevé que la défunte n’avait qu’un petit revenu imposable de 11 137 euros et que le montant des 20 000 euros était excessif – quasiment 200% de ses ressources. Effectivement, vu sous cet angle, ça fait beaucoup !
Un montant trop élevé au regard de la fortune et des revenus ?
Voici notre affaire en appel. Un relevé de comptes du Crédit industriel et commercial de l’Est (CIC) indique que la défunte possédait 138 000 euros d’avoirs sur des livrets bancaires – ici le ratio mesurant un possible abus n’est plus de 200% mais 14,5%. Même s’ils approuvent la décision du TGI, les juges d’appel notent toutefois qu’un seul avis d’imposition du de cujus avait été versé au dossier.
Allant plus loin dans le raisonnement juridique, ils vont porter leur attention sur le contexte qui avait motivé la remise de cet argent et ainsi répondre à l’argumentation du fils qui soutient que ces 20 000 euros fêtent la fameuse réconciliation. Selon ces magistrats, en application de l’article 852 du Code civil « est considéré comme cadeau d’usage celui effectué à l’occasion de certains événements marquants de la vie familiale« , mais ajoutent-ils « un tel événement [la réconciliation, ndla.] ne fait pas partie de ceux à l’occasion desquels il est d’usage dans une famille de consentir un cadeau ». Et de conclure : « Le jugement [du TGI] sera donc confirmé en ce qu’il a dit que M. Etienne X. devait rapporter à la succession de sa mère le don manuel que celle-ci lui avait consenti à hauteur de 20 000 euros. »
On se rabiboche autour d’une bonne table…mais en tous cas pas avec un chèque !
Cette nouvelle jurisprudence est intéressante à plusieurs titres :
- d’abord elle se focalise sur l’évaluation de la possible exagération au regard des revenus du disposant ;
- ensuite parce qu’elle s’est intéressée au pourcentage admissible de valeur du cadeau au regard de la fortune de la personne qui le fait ;
- également parce qu’une déclaration fiscale qui n’est pas obligatoire en la matière pourrait implicitement révéler une libéralité rapportable et taxable…et non pas présent d’usage ;
- enfin et surtout car elle a contribué à caractériser un évènement familial qui ne rentre pas dans la famille des présents d’usage, en l’occurrence le « retour au bercail de la brebis égarée« .
Notre rapport spécial sur les présents d’usage vous donnera toutes les clefs pour utiliser cette technique à bon escient, dans le respect de la loi civile et fiscale, afin de vous assurer une sécurité juridique qui ne puisse un jour aboutir à la remise en cause de votre geste !