À la fin de l’année 2000, j’ai pris la pire décision de l’Histoire en matière de capital-risque.
J’étais associé dans une société de capital-risque appelée 212 Ventures. Quoi ? Vous n’en avez jamais entendu parler ? Investcorp nous avait confié 100 millions de dollars, Credit Suisse First Boston (maintenant Credit Suisse tout court) 5 millions, First Union (devenue Wachovia, qui a cessé d’exister en 2008) 5 millions et UBS 5 millions.
J’avais quelques partenaires, mais je ne mentionnerai pas leurs noms afin de ne pas les salir en racontant cette histoire parce que ce qui s’en est suivi était entièrement de ma faute.
On était à la fin de l’année 2000 ; un des associés (et mon partenaire en affaires), Dan Kelly, m’a approché et m’a fait une proposition.
Il avait travaillé avec un certain Jason Liebman en tant que banquier junior à la CS First Boston et tous deux avaient peut-être même partagé un bureau.
Dan est ensuite parti travailler pour une société de capital-risque de premier plan (ma société) et Jason a intégré une obscure société point com au moment où Internet était dans une mauvaise période. La société s’appelait Oingo.
Dan est entré dans mon bureau, je jouais au jeu d’arcade classique des années 80 « Defender ». Je passais 2 à 3 heures par jour à jouer à « Defender » et j’avais atteint ce qui était probablement le meilleur score, avec 120 000 points.
« Un de mes amis est vice-président dans cette société de moteurs de recherche, déclara-t-il. On pourrait certainement obtenir 20% de la société pour 1 million de dollars. Il a l’air aux abois.
—Attends ? Quoi ? » J’avais beaucoup de mutants à mes trousses et c’était assez difficile de défendre l’humanité, de gérer 115 millions de dollars et d’écouter un discours sur une société appelée Oingo, tout ça en même temps.
« Ils font une sorte de logiciel pour les moteurs de recherche. Je crois qu’ils aident les moteurs de recherche à trouver des pages en utilisant des synonymes en fonction de ce que l’on recherche. » Je stoppai ma partie.
« Des moteurs de recherche ? Mais ne sont-ils pas tous obsolètes ? Quel est le cours de l’action Excite ces jours-ci ? Tu as une idée ? Zéro ! » Excite était sur le point de faire faillite. Lycos était en train de disparaître à vitesse grand V.
Les actions de Yahoo! étaient au plus bas. Et maintenant c’était au tour d’une société de logiciel de moteur de recherche quelconque d’aller probablement tout droit à la banqueroute. Non merci. À l’époque, je prenais mes décisions très rapidement. Dan est revenu vers Liebman et a inventé quelque chose.
« L’opportunité n’est pas assez belle pour nous », a-t-il dit à Liebman.
Nous avons investi beaucoup d’argent dans des opportunités énormes comme celle-ci.
Finalement, Oingo a réussi à trouver de l’argent et à rester à flot.
En 2001, la société est devenue Applied Semantics. En 2003, une petite société de moteurs de recherche appelée Google l’a achetée. Applied Semantics a contribué à accélérer la mise au point de la technologie derrière AdSense, la régie publicitaire de Google.
Google avait besoin du logiciel développé par Oingo pour générer 99% de ses revenus lors de son introduction en Bourse. Google a payé 1% de la société en actions pour acquérir Applied Semantics, une participation qui équivaudrait maintenant à 1,5 milliard de dollars. Donc, si nous avions investi un million de dollars, cela aurait représenté plus ou moins 300 millions de dollars.
Parfois, je ne suis pas très intelligent.
Voici 10 choses insolites que j’ignorais à propos de Google.
1) La famille
Dans les années 90, le frère de Larry Page, Carl, a permis à eGroups, une entreprise point com qui a été acquise pour presque un demi-milliard de dollars en 2000 par Yahoo!, de se lancer.
Donc, même si cette histoire avec Google n’avait pas fonctionné pour Larry, il aurait probablement pu s’en sortir grâce au réseau et à l’entourage de son frère.
2) Backrub
À l’origine, Google s’appelait Backrub. On l’avait appelé ainsi parce que l’algorithme classait les pages en fonction du nombre de liens retours (en anglais, back links) qui pointaient vers votre page ou votre site.
3) Brevets
La généalogie du brevet Google est intéressante. Voici le lien vers le brevet déposé auprès du Bureau américain des brevets et des marques de commerce.
Il existe un autre brevet très comparable au brevet de Larry Page. Il a été développé par un ingénieur nommé Robin Li pendant qu’il travaillait pour Dow Jones & Company.
Les deux brevets faisaient appel à des idées similaires pour classer une page, pas nécessairement en utilisant le texte de la page, mais également en comptant le nombre de liens qui pointaient vers elle.
Sa société ne savait pas vraiment quoi faire avec ce brevet (appelé RankDex), Robin Li a alors quitté l’entreprise et est parti en Chine. C’est là qu’il a fondé une petite entreprise appelée Baidu (il en est toujours le PDG). Baidu est devenu le moteur de recherche le plus utilisé dans le pays où Google est encore à ce jour inaccessible, malgré la volonté pour le géant américain de revenir dans l’empire du Milieu.
Il est intéressant de voir que la même idée de base a inspiré Google et Baidu.
4) Stanford
L’algorithme de Google s’appelle PageRank. On pourrait penser qu’il a été nommé ainsi en référence à sa capacité à classer les pages, mais Google affirme que ce nom est un hommage à Larry Page. Mais ce n’est pas ce qui est intéressant.
Ce qui est intéressant, c’est que Stanford détient le brevet. Ils avaient reçu pour 1,8 million de dollars d’actions et les ont vendues en 2005 pour la somme de 336 millions de dollars.
Fondamentalement, les universités devraient encourager les concepteurs réels des brevets qu’elles détiennent à créer des entreprises. C’est payant.
5) L’extinction
L’algorithme PageRank peut être utilisé pour déterminer quelles espèces sont critiques pour le maintien de l’écosystème. C’est en tout cas la conclusion de scientifiques du Sante Fe Institute et de l’université de Californie. Ce document décrit tout en détail.
En résumé, la sauvegarde d’une espèce A serait urgente si elle-même est nécessaire à de nombreuses autres espèces B qui risqueront, de fait, de disparaître si l’espèce A venait à s’éteindre. L’étude démontre comment utiliser la technologie de référencement de back links de PageRank pour déterminer quelles sont les animaux et les plantes les plus essentiels à l’équilibre écologique, afin de protéger ces espèces d’autant plus.
Intéressant.
6) La politique
À ma connaissance, Larry Page et Sergey Brin sont les deux types les plus riches du pays à ne pas financer de partis politiques, contrairement à la vingtaine de milliardaires plus riches qu’eux. Je suppose qu’ils ne veulent contrarier personne. L’année dernière, les dépenses de Google en lobbying ont été supérieures à celles de Yahoo, Facebook et Apple réunis.
7) Yahoo!
Au départ, Larry Page et Sergey Brin voulaient être des universitaires. Ils ne voulaient pas monter une entreprise. Ils ont développé leur moteur de recherche initial et ont ensuite essayé de le revendre.
En fait, ils étaient prêts à le vendre pour un million de dollars en 1997. Ils ont parcouru toute la Silicon Valley pour essayer de trouver des acheteurs. Ils sont allés voir Yahoo!, qui a refusé. Plus tard, en 2002, Yahoo a essayé de les acheter pour 3 milliards de dollars, mais Google a refusé.
8) La chance
La touche « J’ai de la chance » coûte probablement environ 110 millions de dollars par an à Google. Lorsque vous cliquez sur cette touche, vous accédez directement au premier résultat de votre recherche. En d’autres termes, vous sautez toutes les annonces grâce auxquelles Google gagne de l’argent.
Alors pourquoi cette touche n’a-t-elle pas été supprimée ? Les groupes de discussion semblent montrer que les utilisateurs se sentent plus à l’aise avec cette touche. Il est bon de noter que le premier tweet de Google était :
Ce qui veut dire « j’ai de la chance » en binaire.
9) Employé numéro 1
Le premier employé de Google était un type dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à aujourd’hui. Craig Silverstein. Il a travaillé à Google en tant que directeur technologique jusqu’en 2012. Je ne sais pas quel était son salaire mais, selon divers sites, il s’élevait environ à 950 millions de dollars.
En effectuant des recherches sur lui, j’ai découvert un site antisémite bizarre, dont je ne vous donnerai pas le lien. Sur ce site, il était connu sous le nom de « juif Craig Silverstein » et le site dénonçait la façon dont les juifs contrôleraient Google, Facebook, Wikipédia, etc. De façon assez ironique, il y avait de la publicité Google partout sur le site en question.
10) La beauté
De superbes photos sur Google Earth. Ce n’est pas nécessairement une chose insolite mais, selon moi, Google Earth est une oeuvre d’art.
Peu après que j’ai décidé de ne pas investir dans Oingo, Investcorp a absorbé 212 entreprises et a racheté nos contrats. Ils m’ont offert la chance de rester en tant qu’employé mais, je ne sais pas si c’est bien ou mal, je ne suis pas un très bon employé et j’ai décidé de voler de mes propres ailes.
Après avoir cessé tout rapport avec Oingo, Dan Kelly a quitté le navire avec moi et depuis nous travaillons ensemble. Jason Liebman, tout juste sorti de son expérience chez Applied Semantics, a utilisé Google Video pendant un certain temps et a influencé la décision d’acheter une petite start-up appelée Youtube. En 2007, Liebman a quitté Google et a lancé Howcast.com.
Quant au jeu « Defender », celui auquel je jouais dans mon bureau, un de mes partenaires dans la société 212 Ventures a mal supporté de perdre une partie, il était tellement frustré qu’il a cassé l’écran d’un coup de poing et est sorti du bureau en me disant : « Je vous souhaite bon vent. » Je ne lui ai plus jamais parlé. C’est dommage car je n’ai jamais vu meilleur négociateur.
J’ai décidé de ne pas investir dans Oingo, mais j’ai pris de nombreuses décisions bien pires que celle-là. Je n’ai jamais versé une larme en pensant à ce choix. Deux ans après avoir décidé de ne pas investir dans Oingo, j’étais quasiment ruiné et j’ai dû vendre mon bel appartement. C’était pire pour moi.
Je suis certain que ce qui m’est arrivé depuis aurait été beaucoup moins intéressant si j’avais investi dans Oingo. Ce jour-là, je me suis simplement promené le long de la rivière, pour la première fois depuis des mois, il faisait vraiment bon. Qui sait ce qui aurait été différent ? Dans quelle mesure ma vie aurait changé.