Un soir, un groupe de citoyens prospères venus d’une petite ville d’Allemagne se réunirent dans un restaurant du coin
C’était l’Evènement parmi les évènements.
Parmi les personnes présentes, on comptait le maire, le principal juge du village et un certain nombre de grands entrepreneurs.
Ils mangèrent, burent, rirent, se moquèrent du monde entier. Ils firent friser leurs épaisses moustaches. Ils burent davantage. Ils caressèrent leurs barbes et leurs egos respectifs dans le sens du poil. Ils se moquèrent plus encore et rirent de plus en plus fort.
À minuit, ces riches habitants étaient tous pleins comme des outres. Réalisant l’heure qu’il était, le petit groupe décida de s’arrêter en tête de la course.
Ils se levèrent. Se serrèrent la main. Caressèrent leurs barbes. Se saisirent de leurs manteaux. Rigolèrent encore un petit peu. Firent friser les extrémités de leurs belles moustaches. Quelques-uns des plus effrontés allumèrent probablement un cigare et demandèrent à ce que l’on remplisse à nouveau leur dernier verre.
Et, finalement, ils repartirent tous dans la nuit sombre et silencieuse.
Juste devant le restaurant se tenaient les stands déserts d’une fête foraine. La foire s’était installée dans la ville pour la saison. Et quel spectacle ! Même la nuit… surtout vu à travers la brume de leur ébriété.
C’est alors que l’un de nos génies boit-sans-soif eut une idée : « Voyons, nous nous amusons si bien… et nous avons toute la fête foraine rien que pour nous… pourquoi ne pas continuer à nous amuser ? »
Le joyeux ivrogne, loin d’être conscient du terrible enchaînement d’évènements qu’il allait déclencher, pointa le manège du doigt.
Tous se tournèrent et secouèrent la tête. Ils observèrent ce manège vide, seul, qui semblait supplier leurs cerveaux imbibés d’alcool de monter pour faire un petit tour.
« Que pourrait-il bien nous arriver, au pire ? » se demandèrent-ils les uns aux autres. « Que les forains nous attrapent ? » Ils partirent d’un grand rire moqueur.
« Ce village est à nous ! » rugirent-ils.
Sur ces mots, ils se dirigèrent d’un pas tanguant vers le manège. Ils s’installèrent. Certains montèrent sur les poneys. Certains essayèrent de se mettre en selle mais, trop ivres, décidèrent plutôt de s’asseoir sur les petites carrioles. L’un des hommes fit démarrer la machine avant de sauter à bord, lui aussi.
En route !
Ils ricanèrent comme des écoliers. Et rirent, et crièrent, et poussèrent des hourras, de plus en plus fort… et le manège continua à tourner de plus en plus vite.
Il n’y avait personne aux alentours, mais s’il y avait eu quelqu’un, il aurait pu entendre les cris, passant des aigus aux graves, de ceux qui hurlaient le plus fort pendant qu’ils tournaient, en équilibre instable sur leurs poneys respectifs.
« OOOUUhoooooooouOOOOUUhooooooouu. »
« Allez, c’est bon ! » cria l’un des notables, le teint verdâtre, après avoir fait plusieurs tours.
« Descendons de ce machin. J’en ai assez. »
« Oui, moi aussi, » dit un autre. Il n’avait pas non plus l’air très en forme. « Nous devrions l’éteindre. »
« Attendez un instant ! » brailla un autre. « Qui est… euh… comment… »
« Aïe aïe aïe aïe ! » dit un autre.
« Oh mon Dieu ! » dit un troisième.
Un silence pesant tomba lorsqu’ils réalisèrent ce qu’ils avaient fait.
La console de commande était… je vous le donne en mille… au bas du manège.
Et il n’était possible pour aucun d’entre eux de sauter pour descendre sans se faire vraiment mal. Ils étaient tous trop ivres. Et le manège allait trop vite.
Sans avoir personne derrière les manettes, ils se rendirent soudain compte qu’il n’était pas possible d’arrêter son train d’enfer.
Ils crièrent. Hurlèrent. Gémirent. Pleurèrent.
La scène valait le coup d’œil, à présent. Un groupe d’hommes adultes pris d’une grosse colère sur un manège.
Mais malgré leurs cris, personne ne vint à leur secours. Il n’y avait personne aux alentours. Tout le monde était au lit.
Ils étaient coincés. Pendant plusieurs heures, ils tournèrent, tournèrent, tournèrent et tournèrent encore.
Enfin, aux petites heures du matin, un citoyen vit l’étrange spectacle du country-club tout entier, pendus à leurs poneys, pâles comme la mort. Il appela les autorités.
A l’arrivée de l’ambulance, l’un des hommes était mort depuis longtemps, victime d’une attaque cardiaque. Trois autres étaient inconscients.
Des mois plus tard, si l’on en croit l’histoire, l’un des survivants était devenu fou et était entré dans une secte, et les autres s’étaient vu diagnostiquer toute une quantité de troubles psychologiques.
« Cette histoire, » écrit l’auteur Bernard Lietaer dans son livre New Money for a New World, [Ndlr : Nouvelle monnaie pour un nouveau monde] « est d’autant plus absurde qu’elle est vraie ».
Et, bien qu’elle soit absurde, c’est une bonne métaphore pour le système monétaire actuel. Plus exactement, c’est parce qu’elle est absurde que c’est une bonne métaphore.
Et si je vous raconte cette histoire aujourd’hui, c’est pour une bonne raison…
Au cas où vous vous poseriez la question…
« Nous sommes tous les passagers d’une machine planétaire, qui est en pilote automatique et qui accélère, hors de contrôle, » écrit Lietaer.
Oui. C’est à peu près ça.
« L’argent fonctionne, pour l’essentiel, sans que nous en soyons conscients, et en opposition avec beaucoup de nos besoins actuels, ce qui est de plus en plus dangereux pour nous et pour la vie sur cette planète. »
Comme vous le savez, le système monétaire actuel n’est pas à notre avantage. Il ne nous aide pas à résoudre nos problèmes. Dans un monde où nous en avons beaucoup, peu de choses nous encouragent à « nous enrichir en faisant du bien. »
Malheureusement, cela ne nous rend pas plus riches. Cela ne nous rend pas plus intelligents. Et ce n’est certainement pas en train de nous rendre plus beaux.
Lorsque nous avons, au départ, créé la machine à dette utilisant le principe des réserves fractionnaires des banques, c’était très amusant. Nous étions tout comme ces ivrognes allemands : nous avons appuyé sur le bouton de démarrage, et avons sauté sur le manège…
Youpi !
Et puis, après un moment, beaucoup d’entre nous ont souhaité s’arrêter. Mais le manège continuait de tourner. Et nous nous sommes rendu compte que nous ne pouvions plus atteindre les commandes pour l’éteindre. Nous sommes devenus très pâles. Et toute l’affaire, soudain, est devenue moins drôle.
Ce qui est étrange, c’est que nous avons révolutionné et perfectionné chaque petite chose que nous avons touchée ou presque au cours des derniers siècles, à l’exception de notre système monétaire !
Nous avons effectué toute une série d’avancées technologiques, mais nous utilisons toujours des cailloux colorés et des coquillages comme monnaie d’échange.
En un peu plus d’un siècle seulement, par exemple…
Nous sommes passés d’une compréhension minime de la génétique à une cartographie complète du génome. Bientôt, faire cartographier votre génome coutera moins cher que tirer votre chasse d’eau.
Nous sommes passés du morse au langage binaire (et nous entrerons bientôt dans une ère d’informatique quantique… avec des années-lumière d’avance sur les suites de 1 et 0 utilisées aujourd’hui.)
Nous sommes passés relativement vite des calèches aux vaisseaux spatiaux.
Si vous avez un smartphone, vous avez dans votre poche plus d’informations que toutes les universités et bibliothèques de l’Histoire humaine… cumulées.
« Et pourtant, alors que nous pouvons envoyer des sondes sur des planètes éloignées, » écrit Lieter, « nous sommes menacés par la pollution de notre propre planète. L’espérance de vie est plus longue que jamais, mais le financement des retraites est de plus en plus problématique. Nous produisons plus d’aliments que nécessaire pour nourrir la planète, mais trop de gens ne mangent pas à leur faim. »
Lorsque l’on observe la situation au travers de nos « lunettes » monétaires actuelles, oui, ces problèmes semblent insolubles. Mais si on l’observe d’un autre point de vue, un autre paysage apparaît. [Plus d’info à ce sujet avec notre spécialiste ici…]
Nous en reparlerons demain. Nous verrons ensemble ce qu’est l’argent en réalité… D’ici là, restez à l’écoute !
À demain.
2 commentaires
Merci de votre article et je voudrais ajouter un point de vue. Est-ce que l’anxiété ou l’inquiétude est une chose qui nous fait du bien ? Alors pourquoi enseigner la performance et la compétition dès notre jeune âge ? Rien n’est plus dommageable, que de chercher à se comparer avec les autres afin de déterminer qui est le meilleur, qui est supérieur, qui est plus important. Et rien n’est plus destructif que de vivre cela en toute inconscience, par habitude apprise, par croyance imposée !
Des milliards de gens croient que la comparaison avec les autres est l’unique solution pour s’améliorer ou évoluer, alors cela crée dans nos habitudes et nos croyances, une vérité puissante, mais fausse. Non pas parce que c’est vrai, mais bien parce que de nombreuses personnes y croient et ne veulent pas que nous croyons en autre chose, car cela détruirait leurs systèmes qui contrôlent les gens. Pourquoi ne pas chercher à être une meilleure personne que nous l’avons été hier et non à se comparer entre nous ?
Qu’en pensez-vous ?
Cher Monsieur,
Merci pour votre commentaire.
Nous ne pouvons exister que si le regard de l’autre existe. Si l’autre existe, il y a de ce fait forcément comparaison. Cependant, il ne tient qu’à nous de nous mettre « en compétition avec nous-mêmes » pour devenir de meilleures personnes chaque jour.