« Mes amis, écrit le Dr Michael Munger, n’aiment généralement pas les personnalités politiques, trouvent la démocratie dysfonctionnelle et répugnante, et sont contre la brutalité et les excès répressifs des guerres à l’étranger, de la guerre contre les drogues et de l’espionnage de la NSA. Mais, leur solution, poursuit Munger, sans exception, est d’étendre le pouvoir de ʺl’Etatʺ. Cette idée me semble tout simplement folle – une conclusion si dénuée de logique que j’ai du mal à la prendre au sérieux. Jusqu’à ce que je comprenne que ce qu’ils souhaitent, c’est une sorte de licorne, un Etat doté des propriétés, des motivations, des connaissances et des capacités qu’ils imaginent.«
C’est vrai
Les étatistes, bâtisseurs de sociétés imaginaires de tous poils, savent au plus profond d’eux-mêmes que la société est bien trop complexe pour qu’un individu ou un groupe puissent la planifier. Au lieu de cela, pour satisfaire leur soif intarissable de salut pour nous tous, ils tentent de trouver une « lacune » dans la loi naturelle.
Ils essaient de créer l’Etat parfait, capable de résoudre tous les maux de l’humanité d’un coup de baguette magique. Un pansement à la taille de la planète.
Ils tentent, pour faire court, de donner naissance à une licorne (et, ce n’est pas du tout aussi amusant que ça en a l’air).
Notre foi dans les gouvernements repose entièrement sur ces éleveurs de licornes et sur leurs talents d’enchanteurs, ce qui est inquiétant. On s’imagine (et, ils s’imaginent) être des êtres bienveillants, omniscients, à l’amour universel, détenteurs d’une sagesse divine capable de sauver l’espèce humaine d’elle-même.
Le problème est que ces bâtisseurs sont loin, très loin d’être omnipotents. En réalité, ils sont même souvent les moins qualifiés pour le poste.
Voyez-vous, généralement, ces personnes souhaitent « aider », mais de loin, et ne s’inquiètent que très rarement de savoir si ce qu’elles font aide vraiment.
Ce sont des passionnées, oui… mais, qui oublient bien souvent le problème, une fois que les manifestations attirent moins, que les gens en ont assez de crier, que les policiers sont fatigués de donner des coups de bâton et que les médias partent couvrir le prochain bâtiment en feu ou le prochain blessé par balles.
Généralement, elles ne souhaitent pas non plus trop utiliser leur propre argent, ni la sueur de leur front, pour « aider » ceux qui semblent pourtant faire l’objet de leur passion.
Pour faire simple, l’étatiste pense bien faire. Et, c’est à peu près tout.
Des gouvernements à la Willy Wonka
Pour tout vous dire, le scénario idéal pour les étatistes serait, à ce qu’il semble, une chocolaterie magique, comme celle de Charlie, qui fonctionnerait aux frais des personnes les plus productives de la société et cracherait miraculeusement des confiseries délicieuses sur demande pour toutes les personnes qui les ont méritées.
La plupart des gens souhaitent bénéficier de tous les luxes auxquels le capitalisme leur a donné accès sans travailler dur, sans lois économiques ni aucun lien avec la réalité en général, car celle-ci tend à se dresser entre nous et du bon temps.
Ce que les gens veulent, hurle l’étatiste, la chocolaterie peut le produire. Il n’y a pas d’excès de largesses. Voyez tout l’argent qu’ont les riches ! Bien sûr que nous pouvons faire fonctionner la chocolaterie ! Ils accumulent les richesses, pourtant destinées au peuple ! Pensez-y. Si les riches n’existaient pas, nous serions tellement plus riches…
MANGEZ-LES !
Ce que ces Augustus Gloop ne réalisent pas, c’est que le gouvernement Willy Wonka est celui que nous avons aujourd’hui. Oompa Loompas inclus. Et il ne fonctionne pas. On nous promet des choses miraculeuses et merveilleuses, mais, ces promesses ne peuvent pas être tenues. Voilà pourquoi le gouvernement américain est aussi fou que la chocolaterie de Willy Wonka.
« On ne fait pas avaler 500 millions de livres de bonbons sans tuer quelques enfants. »
Nous n’avons pas besoin de restructurer la chocolaterie, bananes !
La chocolaterie est le problème.
« Les défenseurs des arguments en question, dit Anthony Celi sur le blog Libertarian Republic, sont souvent d’accord pour admettre que les règles du jeu ne sont pas équitables. Cela étant dit, au lieu de jeter le plateau, ces personnes souhaitent simplement remplacer certaines pièces. Changer certaines pièces du jeu, pour eux, équivaut à changer le jeu en lui-même. »
Or, selon le Dr Munger, « ils ne comprennent que très peu l’Etat qu’ils pensent pouvoir modeler ».
La gouvernance de la licorne
Malgré les nombreux torts de l’Etat en question, selon le bâtisseur de société imaginaire, il existe un équilibre de conte de fées, qui bénéficierait à tous. Bien sûr, il est aussi difficile à voir que le Yéti et aussi mystérieux que le Da Vinci Code, mais tant pis ! Allumez les bougies et les bâtons d’encens, il est temps d’invoquer cette chimère.
Tant qu’ils y croient, tournent les bons boutons, distribuent de l’argent à droite et à gauche et tirent sur les bons leviers, nous finirons par atteindre la terre promise : l’Etat parfait. Un beau jour.
Et, à terme, nous vivrons dans un monde où, peu importe à quel point votre idée est stupide, elle sera jugée à l’aune de votre impression lorsque vous la réalisez. Nous appellerons ce phénomène « la gouvernance licorne ».
« Croire que les gouvernements produisent de la richesse équivaut à croire que les licornes
produisent des arcs-en-ciel. »
Aujourd’hui, pour nous expliquer cet étrange style de gouvernance, nous accueillons le Dr Munger lui-même.
Il va vous parler plus en détails des aspects logistiques qui expliquent comment la gouvernance licorne est vraiment censée fonctionner (sans le faire) – et, comment utiliser le « test de Munger », en trois étapes, pour tuer les licornes dès qu’elles prennent naissance… dans l’esprit.
Avec son résumé en trois questions simples, ce sera aussi facile que d’appâter un écureuil avec du chocolat aux noisettes.
Voyez un peu…
La gouvernance licorne
Dr. Michael Munger
Notre problème est que nous devons nous battre contre des licornes.
Les licornes sont, bien sûr, des créatures fabuleuses, semblables à un cheval et dotées d’une corne en spirale sur le front. Elles mangent des arcs-en-ciel, mais peuvent se passer de nourriture pendant des années, si nécessaire. Elles peuvent transporter des charges énormes sans jamais se fatiguer. Et, leurs flatulences sentent les fraises fraîches et la rosée du matin : voyager dans une calèche tirée par une licorne est un véritable plaisir.
Pour l’ensemble de ces raisons, la licorne est l’animal de bât idéal, la clé pour améliorer la société humaine et partager la prospérité.
Vous me direz peut-être qu’il y a un souci dans mon argumentaire, étant donné que les licornes n’existent pas. Un problème assez fatal pour quiconque affirme que les licornes servent à quelque chose, n’est-ce pas ?
Mais, bien sûr que non. L’existence des licornes est facile à prouver.
Fermez les yeux. Maintenant, imaginez une licorne. Celle que je vois est blanche, avec une corne orange. La licorne est entourée d’arcs-en-ciel. Votre vision est peut-être légèrement différente de la mienne, mais, il est clair que lorsque je dis « licorne », l’image qui se forme dans votre esprit correspond à peu près à celle qui se forme dans le mien. Les licornes existent donc, et nous avons une idée commune de ce à quoi elles ressemblent.
Problème : l’Etat est une licorne
Lorsque je parle de l’Etat avec mes collègues de Duke, il ne faut pas longtemps avant que je me rende compte que, pour eux, sans exception ou presque, l’Etat est une licorne.
Je viens de la tradition du choix public, qui tend à se fier aux arguments conséquentialistes plutôt qu’aux droits naturels : la distinction est donc particulièrement importante à mes yeux. Mes amis n’aiment généralement pas les personnalités politiques, trouvent la démocratie dysfonctionnelle et répugnante, et sont contre la brutalité et les excès répressifs des guerres à l’étranger, de la guerre contre les drogues et de l’espionnage de la NSA.
Mais, leur solution, sans exception, est d’étendre le pouvoir de « l’Etat ». Cette idée me semble tout simplement folle – une conclusion si dénuée de logique que j’ai du mal à la prendre au sérieux.
Jusqu’à ce que je comprenne que ce qu’ils souhaitent, c’est une sorte de licorne, un Etat doté des propriétés, des motivations, des connaissances et des capacités qu’ils imaginent.
Lorsque j’ai fini par réaliser qu’il s’agissait d’un dialogue de sourds, je me suis senti bête. Parce que c’est cette révélation – l’idée que les gens qui sont en faveur d’une expansion du gouvernement imaginent un Etat différent de ce qu’il est possible de créer dans le monde physique – qui est au cœur de l’argument avancé par les libéralistes classiques depuis au moins 300 ans.
Certains exemples aident à illustrer cet argument.
Edmund Burke met bien en lumière le problème de la licorne. Le problème, ce n’est pas que les gens sont mauvais ou que le système doit être réformé. A la prochaine élection, nous trouverons le Messie ! La prochaine réforme est la clé de l’utopie ! Non. Non, nous ne le trouverons pas, et non, ce n’est pas la clé.
« Vous me dites en vain que [le gouvernement] est bon, mais que je ne trouve à redire qu’aux Abus. La Chose ! La Chose elle-même est un abus. Observez, mon Seigneur, je vous en prie, la grande Erreur sur laquelle se fonde tout Pouvoir législatif artificiel. Il a été observé que les Hommes avaient des Passions ingouvernables, qui rendaient nécessaire de le préserver de la Violence qu’il est capable d’infliger aux autres. Ils ont nommé des Gouverneurs pour cette Raison ; mais une difficulté pire et plus étrange se pose alors : comment se défendre face aux Gouverneurs ? »
Ou, comme l’écrivait Adam Smith dans La Richesse des Nations :
« C’est le système de gouvernement, c’est la position dans laquelle [les gens] se trouvent placés que j’entends blâmer, et non pas le personnel de ceux qui ont eu à agir dans cette position et dans ce gouvernement. Ils ont agi selon la pente naturelle de leur situation particulière, et ceux qui ont déclamé le plus haut contre eux n’auraient probablement pas mieux fait à leur place. »
Smith, dans ce passage, parle des employés de la Compagnie des Indes Occidentales.
Mais, l’idée est plus générale : l’échec d’un système d’organisation naît souvent des incitations, de la logique d’action ou des incohérences inhérentes à ce système. Les personnes qui y travaillent agissent probablement à peu près comme le feraient d’autres personnes si elles se trouvaient dans le même système. Ainsi, même s’il est vrai que l’on peut imaginer un Etat qui fonctionnerait différemment, il n’y a pas d’êtres humains réels capables de travailler dans ce système et d’offrir les performances que les étatistes imaginent.
Plus récemment, Ludwig von Mises et F.A. Hayek ont habilement décrit le problème des licornes. Dans Epistemological Problems of Economics, Mises déclare :
« Rares sont les gens qui s’intéressent à un problème social sans y être amenés par une envie de réforme. Dans quasiment tous les cas, avant que quelqu’un ne commence à s’intéresser à la science, il a déjà décidé quelles réformes précises il souhaite mettre en place. Seulement peu de personnes ont la force de prendre conscience que ces réformes ne sont pas praticables et d’en tirer les conclusions. La plupart des gens acceptent plus facilement de sacrifier leur intellect que leurs rêveries. Ils ne peuvent pas supporter l’idée que leurs utopies puissent s’abîmer sur les nécessités inaltérables de l’existence humaine. Ce qu’ils souhaitent, c’est une autre réalité, différente de celle de ce monde… ils souhaitent être libérés d’un univers dont ils n’aiment pas l’ordre. »
L’exemple le plus célèbre et le plus dévastateur d' »abattage de licorne » est sans doute celui d’Hayek, lorsqu’il dit dans The Fatal Conceit que « la tâche curieuse des sciences économiques est de prouver aux hommes qu’ils ne savent presque rien de ce qu’ils s’imaginent pouvoir concevoir ».
Le test de Munger
Lors de débats, je me suis rendu compte qu’il était utile de décrire ce problème comme « le problème de la licorne », précisément parce qu’on expose ainsi une erreur fatale dans l’argument des étatistes. Si vous voulez défendre l’utilisation de licornes comme animaux de trait pour les transports en commun, il est important que les licornes existent dans la réalité plutôt que dans votre imagination. Les gens comprennent immédiatement pourquoi dépendre de créatures imaginaires pourrait être un problème, d’un point de vue pratique, pour le transit de masse.
Mais, ils ne voient pas toujours pourquoi « l’Etat » qu’ils peuvent imaginer est l’équivalent d’une licorne. Pour les aider, je propose donc ce que j’appelle (sans aucune modestie) « le test de Munger ».
- Allez-y. Dites-moi ce que devrait être le rôle de l’Etat selon vous, et ce dont vous souhaitez qu’il soit en charge.
- Après coup, réfléchissez à votre présentation. A chaque fois que vous dites « l’Etat », remplacez-le par « les personnalités politiques que je connais réellement, qui font partie de systèmes électoraux dotés d’électeurs ou de groupes d’intérêts qui existent dans la vraie vie ».
- Si vous restez convaincu de votre idée, nous aurons alors quelque chose à nous dire.
C’est très amusant, croyez-moi.
Quand quelqu’un dit « l’Etat devrait être responsable de centaines de milliers de soldats lourdement armés, et avoir l’autorité d’utiliser cette force coercitive », demandez-lui d’éliminer la licorne (« l’Etat ») et de la remplacer par « George W. Bush ». Toujours aussi enthousiaste ?
Si quelqu’un dit « l’Etat devrait être en mesure de choisir les subventions et les impôts pour encourager les personnes à prendre des décisions en faveur de sources d’énergies différentes », demandez-lui de remplacer « l’Etat » par « des sénateurs venus d’Etats dont les revenus dépendent du charbon, du pétrole ou du bioéthanol ». Est-ce toujours une bonne idée ?
Qu’en est-il de « l’Etat devrait écrire les lois qui réglementeront les ventes de voitures électriques haute performance » ? Maintenant, avec le changement : « Les élus du Michigan et d’autres Etats qui produisent des pièces pour les moteurs à explosion devraient être responsables de la réglementation imposée à Tesla Motors. » Mince. Peut-être pas.
Dans mon expérience, nous passons trop de temps à lutter contre nos opposants et leurs licornes. C’est-à-dire que nous affirmons que la licorne/l’Etat est en soi mauvais(e) et ne peut pas être dressé(e) de manière compatible avec la liberté. L’existence mentale de la licorne en elle-même est la cible de nos arguments.
Le problème, bien sûr, est que la licorne qu’ils imaginent est sage, bienveillante et toute-puissante. Leur dire que leur imagination se trompe ne sert à rien. Tant que nous insistons sur le fait que nos opposants se trompent sur les propriétés de « l’Etat » – qui n’existe pas de toute façon, en tout cas pas sous la forme qu’imaginent les étatistes – nous perdrons l’attention de beaucoup de gens sympathiques qui sont principalement intéressés par les conséquences.
Pour paraphraser Hayek, l’étrange tâche du mouvement libertarien est alors de persuader les citoyens que nos opposants sont les idéalistes, parce que ce sont eux qui croient aux licornes.
Ils ne comprennent quasi rien à l’Etat qu’ils sont convaincus de pouvoir modeler.