CRISPR a soulevé un immense enthousiasme au sein de la communauté scientifique — ainsi qu’une dose certaine de doutes et de peurs (nous en avons parlé dans une précédente Quotidienne). Mais les scientifiques sont très loin d’être les seuls à s’être intéressés à cette technique d’édition de gènes, elle a aussi suscité un incroyable engouement chez les investisseurs.
Pourquoi ? Parce qu’elle peut potentiellement tout faire. Même guérir les dommages de l’âge sur nos cellules et notre ADN… du moins selon certains.
A plus court terme, et peut-être plus concrètement, l’édition génétique via CRISPR pourrait aboutir à la mise sur le marché de traitements contre certaines maladies génétiques, contre des virus comme le sida, ou encore contre certaines formes de cancers. En réparant, nettoyant, reconstruisant notre ADN, CRISPR ouvre une nouvelle voie pour la recherche.
Et si je vous parle de « mise sur le marché », c’est que celui-ci est primordial dès qu’on met les pieds sur les terres de l’édition génétique. Un nouveau médicament contre le cancer, c’est synonyme de plusieurs millions de revenus annuels pour le chanceux laboratoire qui en est à l’origine.
Et vous imaginez combien rapporterait un traitement capable d’éradiquer le sida ?
Très probablement des milliards.
Voilà pourquoi CRISPR suscite un tel enthousiasme parmi la communauté scientifique… et celle des investisseurs.
Bataille de brevets autour de CRISPR
Et voilà pourquoi s’est engagée une épique guerre de brevets autour de cette découverte. Tellement épique qu’il va certainement me falloir emprunter certains raccourcis pour vous narrer cette histoire. Que je pourrais résumer ainsi : à qui revient la paternité de CRISPR ? Et qui peut légitimement en revendiquer la propriété, via des brevets ?
Je vous le disais, l’histoire est fort complexe. Vous en trouverez un bon compte-rendu dans Le Monde. L’affaire principale oppose, d’un côté, la Française Emmanuelle Charpentier (actuellement en poste à l’institut Max Planck de Berlin) et l’Américaine Jennifer Doudna (professeure à Berkeley), et de l’autre Feng Zhang (chercheur au MIT) et des scientifiques de Boston.
La découverte de CRISPR (pour rappel, un processus qui permet à des bactéries infectées par un virus de découper un bout de l’ADN viral puis de l’intégrer à leur propre ADN, ce qui leur permet de développer une forme de résistance) date des années 1980 et n’est donc pas l’objet de l’épineux débat actuel. Ce qui l’est, c’est la démonstration que CRISPR peut être un outil d’édition génétique très efficace, rapide et peu coûteux, un copier-coller de l’ADN. C’est donc sur ce point que s’opposent Charpentier-Doudna et Zhang.
Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ont décrit dans un article publié en mars 2012 les possibles utilisations de CRISPR pour l’édition de gènes. Feng Zhang a, quant à lui, publié en 2013 un article reprenant le résultat de ses recherches d’édition génétique sur des cellules animales (de souris) et humaines.
Le potentiel financier de CRISPR étant à la hauteur des enjeux, aussi bien l’équipe de Berkeley que celle du MIT-Boston ont lancé les bases d’entreprises destinées à exploiter ces découvertes — une pratique courante aux Etats-Unis mais aussi en Europe.
Feng Zhang a ainsi participé à la création de la société Editas, Jennifer Doudna à celle d’Intellia Therapeutics, après avoir été impliquée dans celle d’Editas, et Charpentier celle de CRISPR Therapeutics. Oui, je sais, tout ceci est extrêmement complexe et il n’est pas étonnant que la justice américaine ait pour l’instant du mal à y retrouver ses petits.
Doudna et Charpentier ont déposé une demande de brevet dès mars 2012 mais, pour le moment du moins, Feng Zhang a pris une longueur d’avance en obtenant, grâce à une procédure accélérée, des brevets pour l’utilisation de CRISPR sur des cellules humaines, s’appuyant sur l’antériorité de ses recherches (qui dateraient de 2011).
L’université de Berkeley a répliqué en lançant une procédure d’interférence contre les brevets de Zhang, soutenant que les recherches menées par Doudna et Charpentier étaient, non seulement antérieures, mais aussi plus abouties. Le cas est toujours en discussion. Pour votre tranquillité d’esprit, et la mienne, je vous passe les moult polémiques, petites phrases et autres coups bas qui se sont multipliés ces derniers mois autour de cette affaire, mais si vous voulez avoir une idée de l’étendue de la controverse, je vous conseille la lecture de cet article (en anglais).
Derrière les brevets, la gloire et la fortune
Si la question du brevet autour de CRISPR s’est à ce point envenimée, c’est que les enjeux ne se limitent pas seulement à la recherche scientifique. Dans la balance, il y a aussi le potentiel prix Nobel qui pourrait couronner cette découverte et des millions, voire des milliards de dollars.
Si une société, par exemple Editas, obtient un brevet exclusif sur CRISPR, c’est pour elle le jackpot presque assuré. Par contre, si Editas perd ce brevet, alors que la société vient tout juste de se lancer en Bourse, cela risque d’être particulièrement sanglant.
Une des solutions possibles serait de renoncer à breveter la technologie CRISPR en elle-même, encourageant ainsi l’effervescence de la recherche. Une solution raisonnable mais qui se heurte à l’ampleur des enjeux. Les découvertes ont souvent besoin de se voir attribuer un inventeur, faisant passer dans l’ombre les dizaines ou les centaines de chercheurs qui ont contribué à ces avancées scientifiques.
Clairement donc, personne n’envisage de laisser CRISPR dans le domaine public…
[Avec l’aide de CRISPR, ce que cette petite société a découvert est tout simplement… STUPEFIANT ! Tous les détails ici !]