Hier, nous avons vu comment le processus CRISPR-Cas, qui permet à l’ADN de bactéries de découper et d’ingérer des bouts d’ADN viral pour se protéger contre ces virus, fut découvert.
Nous avons aussi vu que Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ont découvert comment détourner ce mécanisme de défense pour créer une méthode simple, rapide et peu coûteuse de découper certaines parties de notre ADN (dont des gènes). Par comparaison, l’autre principale technique d’édition de gêne coûte environ 5 000 $ pour chaque intervention. Avec CRISPR, ce coût tombe à 30 $. Les chercheurs vont donc pouvoir s’amuser avec notre ADN — et c’est autant une excellente nouvelle qu’un cauchemar pour les généticiens.
Comme je vous le disais, ce n’est pas la première méthode découverte permettant de découper une partie de l’ADN, mais c’est certainement la plus simple (jusqu’à présent) et celle qui soulève le plus d’enthousiasme au sein de la communauté scientifique… et de celle des investisseurs.
Pourquoi ? Parce que la technologie CRISPR-Cas pourrait, dans quelques années, nous permettre de réaliser d’incroyables progrès en matière de traitements contre des maladies comme le cancer, les maladies génétiques, le VIH ou encore, et avouez que cela fait rêver, contre les effets de l’âge sur notre ADN et notre corps…
Du CRISPR dans votre yaourt
Mais avant de rêver, gardons encore un peu les pieds sur terre. Car les premières applications des CRISPR, il y a de grandes chances que… vous les ingurgitiez si vous êtes adepte des yaourts ou du fromage industriel.
Souvenez-vous : hier, nous avions vu que la capacité de « vaccin contre les virus » du CRISPR avait été découverte par des chercheurs travaillant pour un industriel laitier danois. Logique donc qu’une des premières utilisations commerciales de ce mécanisme reste dans le domaine fromager.
Plusieurs entreprises se sont spécialisées dans la culture et la commercialisation de bactéries équipées du mécanisme CRISPR.
Bactéries qui sont utilisées par l’industrie agroalimentaire pour repousser la date limite de consommation de vos produits laitiers.
Miam.
Le mécanisme CRISPR sert aussi déjà dans l’agro-ingénierie. Pour résumer, commencent à apparaître des céréales, des légumineux ou des fruits modifiés génétiquement via CRISPR pour être plus résistants à certaines maladies, au stress climatique ou tout simplement pour augmenter leur qualité nutritionnelle. Re-miam.
CRISPR pourrait aussi servir d’arme de choc dans la lutte contre certains parasites, et donc certaines maladies. Je vais passer rapidement sur le processus pour ne pas vous bombarder d’une avalanche d’informations qui vous donnerait envie de fuir alors que le meilleur (le plus prometteur du moins) est à venir. Résumons donc rapidement le potentiel de ces recherches.
Prenons un moustique. Du genre de ceux qui propagent si facilement le paludisme. Imaginez que, par exemple, on modifie l’ADN de plusieurs centaines (ou milliers) de ces insectes via la méthode CRISPR pour les rendre moins virulents et, qu’ensuite, on les relâche dans la nature.
Normalement, au bout de quelque temps, croisement après croisement et génération après génération, vous obtenez une population de moustiques bien moins dangereux faisant ainsi chuter la propagation du paludisme.
Bien, voilà donc certains des champs possibles d’application de la technologie CRISPR. Mais, une nouvelle fois, ce n’est pas ce qui a suscité un tel enthousiasme au sein de la communauté scientifique. Un yaourt qui résiste mieux aux virus et à la pourriture, c’est bien utile, mais cela ne va pas bouleverser l’humanité.
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… Bref, je vous laisse découvrir le programme complet ici pour ne rater aucune intervention Et évidemment, vous pouvez télécharger votre invitation pour le salon en cliquant ici A la semaine prochaine ! |
CRISPR, la boîte à outil magique de l’ingénierie génétique
Mais ce qui peut le faire, c’est quand on s’attaque au génome humain.
A notre ADN. A nos gènes, avec leurs erreurs, leurs mutations…
Vous l’aurez compris, si CRISPR soulève autant d’enthousiasme, c’est grâce aux thérapies géniques qui pourraient en découler. Puisque la technologie CRISPR-Cas est capable d’identifier précisément un gène et le découper, pourquoi ne pas l’utiliser pour éliminer les gènes défectueux de notre ADN ? Logique n’est-ce pas ?
Grâce à CRISPR, on pourra bientôt éliminer un gène, aussi simplement que je peux effacer un mot de la phrase que je viens d’écrire grâce au traitement de texte que j’utilise. Plusieurs équipes de chercheurs travaillent donc en parallèle depuis 2012 sur cette technologie et ont déjà prouvé sa validité sur des bactéries, des plantes, des levures ou des mammifères — dont l’homme.
Pour dire les choses clairement, les recherches sont parties dans tous les sens, soutenues par des déclarations retentissantes de médecins et de chercheurs voyant dans cette technologie la plus grande découverte depuis 10, 20, 30 ans… et par l’argent qui s’est mis à couler à flots. Des Etats-Unis à la Chine en passant par le Japon à l’Europe, la fièvre CRISPR s’est emparée de tout ce que la planète compte de laboratoires et d’équipes spécialisés en recherche génétique.
« Cette innovation est révolutionnaire. Pour moi, elle mérite un prix Nobel », a par exemple déclaré Ignacio Anegon, directeur du Centre de recherche en transplantation et immunologie, à Nantes tandis que, en avril 2014, la prestigieuse revue Nature titrait en une « Révolution dans la modification des gènes ».
Outre la multiplicité des équipes de recherche, l’effervescence se porte aussi sur la manière d’utiliser cette technologie. Certains veulent l’utiliser pour détruire un gène, d’autres pour le remplacer et d’autres encore pour stimuler son expression.
Certains résultats de ces recherches se sont avérés extrêmement concluants.
L’année dernière, une équipe du Massachusetts Institute of Technology (le MIT) est ainsi parvenue à corriger une maladie génétique du foie chez une souris en remplaçant le gène défectueux par son équivalent fonctionnel dans 5% des cellules hépatiques de leurs cobayes. Ces cellules « réparées » se sont ensuite multipliées et, en quelques semaines, constituaient 30% des cellules du foie, permettant aux souris de survivre sans traitement.
Autre avancée importante, celle menée contre la myopathie de Duchenne (DMD), une maladie dégénérative qui ne touche que de jeunes garçons (environ 3 500 nouveaux cas repérés chaque année) et détruit progressivement leurs muscles — dont le muscle cardiaque. La DMD est due à un dysfonctionnement des gènes produisant la dystrophine, une protéine indispensable au développement des muscles. Maladie mortelle donc pour des patients dont l’espérance de vie ne dépasse pas les 20 et quelques années, et contre laquelle il n’existe actuellement aucun véritable traitement.
Sur des embryons de souris, des chercheurs texans ont remplacé le gène défaillant par un gène produisant suffisamment de dystrophine.
Après gestation, des souris sont nées possédant jusqu’à 40% de gènes corrigés. De quoi leur assurer un développement musculaire normal.
Evidemment, le chemin sera encore long avant de pouvoir appliquer la même technique sur des humains, mais ces recherches vous démontrent l’incroyable potentiel de la technologie CRISPR. Mais aussi ses dangers.
Editer l’ADN… mais pour quels usages ?
Une compétition féroce s’est mise en place autour de la technologie CRISPR. Dans l’excitation, certains sont prêts à tout pour être les premiers à réaliser une avancée qui restera dans les annales. Ajoutez à cela que ces recherches ne sont pas toutes menées par des équipes très à cheval sur les questions de bioéthiques. Les chercheurs chinois ont ainsi acquis une assez sinistre réputation en la matière en n’hésitant pas à se lancer dans des expérimentations sur des cellules et même des embryons humains.
Or tout est une question de limite, comme toujours. Eliminer de votre ADN un gène qui augmente très significativement votre risque d’être victime d’un cancer du sein ouvre de telles perspectives qu’un tel traitement aura de grandes chances d’être validé par les autorités sanitaires.
Malgré tout, une telle intervention sur votre patrimoine génétique pose quelques questions. Car contrairement à un traitement traditionnel, la méthode CRISPR laisse une trace indélébile dans votre ADN, et dans celui que vous transmettez à votre descendance. CRISPR peut modifier (presque) toutes les cellules de votre corps, même vos cellules sexuelles (les gamètes). Vous allez donc transmettre votre modification génétique aux enfants que vous pouvez avoir après le passage des petits ciseaux du CRISPR. Cela fait réfléchir.
Et que dire des possibles interventions sur notre ADN pour des raisons ne relevant pas du traitement d’une maladie grave ? Pourra-t-on créer des embryons à la carte, en activant, supprimant ou renforçant certains gènes pour avoir des enfants, au choix, roux, blonds, aux yeux verts, plus grands, plus forts, plus intelligents, plus résistants ?
Potentiellement, c’est possible.
Immense espoir thérapeutique
Malgré ces (énormes) questions et l’indispensable réflexion et régulation à venir, je tiens à insister une nouvelle fois sur l’énorme potentiel qu’ouvre la technique CRISPR.
Quelques exemples de ce que nous pourrions réaliser dans quelques mois, années grâce à cette technique.
Outre la lutte contre les maladies génétiques ainsi que la réparation des gènes créant un terrain favorable au développement du cancer, l’édition de gènes pourrait permettre de lutter contre les virus (par exemple le VIH) en l’empêchant, génétiquement, de coloniser notre corps.
Ou encore de détruire les cellules cancéreuses en modifiant génétiquement nos lymphocytes, ces cellules chargées de protéger notre corps. Une équipe américaine est ainsi en train de mener très activement des recherches pour modifier génétiquement ces lymphocytes afin de les programmer à reconnaître précisément les cellules cancéreuses, et les détruire.
Si ces recherches arrivent à leur terme, la lutte contre le cancer entrerait dans une nouvelle ère. Vous le savez très certainement, les traitements actuels (chimiothérapie et radiothérapie) créent de véritables ravages dans le corps des patients traités, s’attaquant à toutes les cellules sans distinction entre les saines et les cancéreuses.
Ces traitements ont aussi des effets secondaires extrêmement lourds (dont de très fortes nausées) qui affaiblissent un peu plus les patients.
Les chercheurs espèrent que les nouveaux traitements contre le cancer reposant sur la technologie CRISPR seront beaucoup moins destructeurs mais aussi beaucoup plus efficaces. La moindre avancée dans ce domaine serait un pas énorme pour les chercheurs et les malades — et pour les sociétés qui développent ces médicaments.
A plus long terme, l’édition de nos gènes pourrait aussi agir sur les dommages que subissent notre ADN et notre corps à cause du processus naturel de vieillissement. Plusieurs études sont en cours (sur des animaux), en particulier contre la maladie d’Alzheimer.
Je pourrais continuer cette liste pendant encore longtemps tant la technologie CRISPR soulève d’enthousiasme et de recherches.
Et même si nous ne parvenons pas à faire aboutir les recherches actuelles en matière de traitement contre le cancer (ce que je ne pense pas), CRISPR fait et fera progresser la recherche à pas de géants. Ne serait-ce que parce que cette technique permet déjà une meilleure compréhension de notre ADN, de nos gènes et de leur expression. En utilisant CRISPR, les chercheurs sont en train d’affûter leur connaissance de notre corps, du déclenchement de certaines maladies, du processus de vieillissement. Une équipe internationale a ainsi tout récemment publié une étude sur le déclenchement et les facteurs génétiques favorisant le cancer colorectal.
Vous l’aurez compris, CRISPR s’est imposé comme un formidable outil pour comprendre le vivant, le modifier, le corriger… Les chercheurs le savent, vous le savez vous aussi maintenant… et les investisseurs en sont plus que conscients. Je reviendrai donc sur l’aspect financier/investissement de la révolution CRISPR dans une prochaine Quotidienne. Et autant vous prévenir tout de suite, les sommes en jeu et les conflits autour du brevetage de cette technologie sont à la hauteur des attentes : énormes !
[En attendant, pour en savoir plus, rendez-vous dans NewTech Insider. Ray Blanco surveille de très près la moindre publication, le moindre résultat, le moindre test utilisant CRISPR. Opportunités d’investissement et dernières nouvelles de la recherche sont à retrouver, mois après mois dans NewTech Insider]