C’est incroyable à quel point je suis jaloux de Tony Hawk.
Il a trois mois de moins que moi. Il a été champion du monde de skateboard pendant douze années d’affilée. Il a gagné des milliards de dollars grâce à ses jeux vidéo.
Mais ce n’est pas pour ça que je suis jaloux de lui.
Chaque jour depuis ses 11 ans, il fait ce qu’il aime faire : du skateboard.
Il me désigna un skatepark au bout de la rue et me dit : « Je viens ici tous les jours très tôt pour faire du skate pendant quelques heures. »
Tous les jours !
Il ne faut pas être jaloux des succès des autres. Mais j’aurais aimé avoir une vie comme la sienne, c’est plus fort que moi.
La réussite et la compétence se complètent. Je regrette de ne pas avoir commencé à développer une compétence à l’âge de 11 ans. Mais… je suis encore jeune !
Quand j’ai su que j’allais interviewer Tony Hawk, j’ai donc commencé mes recherches. J’ai lu deux autobiographies. J’ai regardé un film et deux documentaires. J’ai demandé à tout le monde autour de moi ce qu’ils pensaient de Tony. Et j’ai visionné près de 200 vidéos de skateboard.
Voici tout ce que Tony Hawk m’a appris.
1) Professeurs
Quand Tony Hawk a fait ses débuts, il existait encore toute une génération de professeurs qui ont été capables de lui enseigner ses premiers tricks.
Pourquoi le champion du monde de marathon dans les années 1890 faisait-il à peine le temps nécessaire pour se qualifier aujourd’hui au marathon de Boston ?
Parce que les techniques d’entraînement se sont améliorées. Vous avez donc deux options : soit passer des années à concevoir les meilleures techniques d’entraînement par vous-même ; soit vous pouvez trouver des professeurs qui peuvent vous les enseigner en quelques heures.
Le Tony Hawk de 11 ans a observé tous ceux qui sont passés avant lui. Il a appris quelles étaient les mauvaises habitudes et comment les éviter.
Plus tard, lorsqu’il s’est lancé dans les affaires, il a appris avec les membres plus âgés de sa famille, qui travaillaient dans le commerce avant lui. À chaque étape de sa vie, il a appris grâce à des professeurs.
2) Immersion
Il y a le vertical skating, le street skating et plein d’autres sortes de skating encore. Il y a aussi la sous-culture du skating : la musique, les vêtements, l’esprit de rébellion.
Toute cette sous-culture est née parce que la Californie a connu une sécheresse. L’eau fut rationnée. Les piscines vidées.
Les jeunes avec leurs skateboards commencèrent alors à sauter illégalement de piscine en piscine. Ainsi naquit un nouveau style de skating, consistant à utiliser les murs et les courbes des piscines pour réaliser des tricks.
Finalement, on leur interdit d’utiliser les piscines. L’esprit de rébellion s’ancra dans toute la discipline.
Je pense que cet esprit de rébellion est l’ADN du skateboard. Combiné aux blessures en guise de trophées, cela explique pourquoi le skateboard attire tellement les jeunes… ainsi qu’un homme de 51 ans qui, après quarante ans de skate, continue à pratiquer tous les jours.
Pour le plaisir, certes, mais aussi parce que c’est ainsi que vous restez au top parmi des centaines d’entreprises qui aimeraient prendre votre place de marque phare de toute la discipline.
3) Pratique délibérée
Depuis la parution de l’ouvrage de Malcolm Gladwell Outliers, les gens croient à tort que s’ils pratiquent une discipline pendant 10 000 heures, ils y excelleront.
Anders Ericsson, qui est à l’origine de la théorie de la règle des 10 000 heures, m’a corrigé sur ce point : « Il ne s’agit pas simplement de pratique, mais de pratique délibérée. »
« Vous devez avoir un feedback le plus rapidement possible ; 10 000 heures avec un professeur, avec un feedback constant, c’est essentiel. »
Quel meilleur feedback que faire du skateboard ? Vous faites du skate, vous faites une erreur, vous tombez, vous saignez. Vous réessayez.
Si vous ne vous améliorez pas, vous allez vous casser un bras ou une jambe et vous devrez arrêter. Si vous apprenez de vos erreurs avec l’aide de professeurs, vous cesserez de vous blesser.
Avec une entreprise, c’est plus difficile. Il peut falloir des années avant qu’elle soit une réussite ou un échec. Le feedback n’est donc pas immédiat.
Pour vous améliorer dans une discipline, que ce soit dans les affaires, l’écriture ou autre, vous devez la découper en petits morceaux et vous pourrez ainsi apprendre rapidement à ne pas échouer.
Ou vous pouvez chercher un moyen de vous casser tous les jours un membre si vous tombez.
4) Devenez meilleur chaque jour
« Chaque jour, j’essayais de sortir de ma zone de confort, de prendre plus de risques, m’explique Tony Hawks. J’essayais d’apprendre de nouvelles figures chaque jour, tout le temps quand je grandissais. »
« Vous apprenez encore aujourd’hui ? » lui ai-je demandé alors que cela faisait dix ans qu’il avait remporté ses derniers championnats du monde.
Il réfléchit quelques secondes. « Oui », me répondit-il.
5) Apprenez à tomber
Littéralement.
Nous faisions l’interview à côté d’une piscine. Tony s’est arrêté quelques secondes pour en regarder le fond.
« Tu vois (il me montrait la piscine), ici il y a environ 60 centimètres. Mais il faut environ 1,50 mètre. Si quelqu’un faisait du skate ici, il s’écraserait directement sur le mur », m’explique Tony.
Il y a quelques années, il a mis au point une nouvelle forme de rampe, en spirale. Je l’ai vue en vidéo.
Il essayait de glisser sur la spirale mais il tombait à chaque fois. À un moment, il montre son genou en sang. Il avait 47 ans à l’époque.
Mais il avait disposé des matelas de réception en cas de chute. Il ne cessait de déplacer les matelas, plus bas, toujours plus bas jusqu’à ce que finalement, au bout de dizaines d’essais, il les enleva tous. Alors, il fut capable de glisser sur toute la rampe avec succès.
« Il faut apprendre à tomber, m’expliqua-t-il. Il faut apprendre comment effectuer un roulé-boulé en sécurité, comment glisser sur ses genoux, comment se protéger afin de pouvoir se relever et recommencer. »
Dans les affaires, il est tombé quelques fois mais s’est toujours relevé, presque aussi vite qu’en skate.
Pour devenir le meilleur skateur puis le meilleur dans le business du skateboard (il a vendu pour plus d’un milliard de dollars de jeux vidéo avec son nom dessus), il est devenu le meilleur en chutes.
Il a dû apprendre à analyser rapidement la situation et savoir immédiatement s’il y avait aussi de centimètres de distance.
Lors de notre première rencontre, je lui ai dit : « Je dois vous poser une question stupide. »
« Mais faites, je vous en prie », me répondit-il.
« Lorsque vous êtes en l’air, tête en bas et que vous effectuez une rotation, comment est-il possible que dix secondes plus tard, vous ne soyez pas mort ? »
« Il faut apprendre à tomber », me répondit-il.
Je pense que cette réponse est vraie dans tous les domaines de la vie.
6) Aimer ce que l’on fait
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, le skateboard a disparu.
Les skateurs craignaient d’être poursuivis en justice, avec la police qui commençait à se montrer plus stricte. Les assurances explosèrent pour tout lieu où se pratiquait le skateboard.
De moins en moins de gens participaient aux compétitions. Les skateurs les plus âgés changèrent d’activité.
On passa du pool skating (dans les piscines vides) au street skating.
Toutes les anciennes célébrités de la discipline disparurent de la scène. Les équipementiers firent faillite.
Tony Hawk, lui, ne voulait qu’une chose : faire du skate. Il continua à en faire tous les jours même s’il n’y avait plus de compétitions sérieuses organisées.
Il se mit à maîtriser le style plus nouveau du street skating même s’il était plus âgé que tous les autres street skateurs.
Il ne savait pas quoi faire d’autre de sa vie. Il se mit à éditer des vidéos pour le compte d’autres entreprises de skate.
« En 1993 ou 1994, je craignais que le skateboard ne revienne pas, raconte-t-il, mais je ne voulais rien faire d’autre. J’ai dû prendre une seconde hypothèque sur ma maison et j’avais un jeune enfant. J’avais peur. »
À cette époque, du fait de cette obstination, son entreprise de skateboard était l’une des dernières à perdurer.
Et à cette époque, parce qu’il continuait à faire du skate tous les jours, il ne cessait d’améliorer ses compétences tandis que les autres abandonnaient.
Puis les X Games arrivèrent sur ESPN. Le skateboard devint un sport officiel. Tony Hawk fut champion du monde. Les sponsors commencèrent à appeler. « Après ça, tout a décollé. »
Obstination + Amour = Abondance.
7) L’entourage
Les proches associés de Tony Hawk sont sa sœur et son frère.
Il fait confiance à sa famille. « Nous savons tous qu’aucun de nous n’est meilleur que l’autre et que chacun de nous a son rôle. »
À ce jour, j’ai investi dans une trentaine d’entreprises. Je peux toujours dire quelles entreprises échoueront et lesquelles réussiront simplement par la dynamique qui existe entre les associés.
Un de mes amis m’a dit : « Si tu t’assois autour d’une table avec quelqu’un qui, selon toi, aura une influence négative, alors change tout de suite de table. »
Un autre de mes amis vient de licencier une personne à l’origine de rumeurs au sein de son entreprise.
Il faut toujours d’abord couper le membre infecté ; vous poserez les questions plus tard.
Ceci est la chose la plus importante dans vos relations amicales, dans vos relations de travail, en essayant d’être compétent dans le domaine que vous aimez : ne vous entourez QUE de gens biens.
La réussite est un sous-produit de la qualité des gens qui vous entourent.
8) Se réinventer
Pourquoi tant d’athlètes gagnent-ils des fortunes au cours de leur carrière puis se retrouvent sur la paille ?
Tony Hawk est devenu professionnel à 14 ans. Son deuxième chèque en tant que pro s’élevait à 0,85 dollars. À 17 ans, il gagnait plus de 100 000 dollars par an et s’achetait une maison. (Je suis jaloux à nouveau.)
Mais quelques années plus tard, être un professionnel ne lui rapportait plus rien.
Il se réinventa alors dans l’édition de vidéos de skate, puis dans le sponsoring. Ensuite, il passa du statut du particulier travaillant avec un agent qui faisait le lien avec ses sponsorings à celui de créateur de sa propre entreprise pour enregistrer son nom en tant que marque et vendre des produits.
Ensuite, en partenariat avec plusieurs sociétés de jeux, il est devenu le plus grand producteur de jeux vidéo sur le skateboard, vendant pour plus d’un milliard de dollars de jeux vidéo.
Etc. etc.
Chaque jour, tout comme il devait trouver de nouveaux tricks en skateboard pour rester le meilleur, il a dû trouver de nouveaux tricks dans le monde des affaires pour rester au top dans tous les domaines liés à la sous-culture du skate.
Il démarra des chaînes YouTube, il fit la promotion d’autres skateurs, il finança d’autres entreprises de skateboard, tout en restant au fait de la culture de ce sport.
« Je ne peux pas me sentir à l’aise avec les produits que nous commercialisons, m’expliqua-t-il, si je ne reste pas chaque jour impliqué dans ce sport sur le terrain. »
Tout au long du chemin, il reprit les compétences qu’il avait acquises pour devenir le meilleur au monde dans un seul domaine (le skateboard) et les appliqua pour devenir le meilleur au monde dans les affaires.
9) Rester toujours concentré
L’unique slogan dans ma propre entreprise est : « Le sujet avant l’argent. » Si quelque chose est hors sujet, alors à long terme, l’entreprise offrira moins de valeur, moins d’argent et son idée sera moins viable en tant que business.
Un jour, Tony Hawk visita une entreprise qui vendait sous une licence à son nom. C’est alors qu’il vit « Le papier toilette de Tony Hawk » dans les rayons.
Il racheta immédiatement le contrat, ce qui lui fit perdre de l’argent dans l’opération.
Dès lors, il est totalement resté fidèle à sa vocation. C’est pour cela qu’il reste impliqué dans chaque aspect du skating. Si quelque chose ne correspond pas à la culture du skate, il ne le fait pas.
Lorsqu’il aida Activision à créer le premier jeu vidéo sur le skate, il passa une année à s’amuser avec toutes les commandes jusqu’à ce qu’elles répondent exactement comme il le faudrait pour un skateur pro.
« Nous voulions que ce soit parfait », explique-t-il. Il se vendit 7 millions de copies du jeu la première année.
Cette même année, il inaugura sa célèbre figure, le « 900 » (deux rotations et demi en l’air) lors des X Games. Son nom devint connu de tous dans le sport comme dans le monde des jeux vidéo.
10) Passez le relais
Quelle que soit son affection pour son entreprise, son amour pour le sport demeure le plus fort, même en vieillissant et en continuant à se réinventer.
Il a créé une fondation. Il a construit plus de 500 skateparks ouverts à tous.
Alors que nous attendions que la soirée commence, il sortit son téléphone pour me montrer une vidéo.
Il l’avait prise dans le skatepark au bout de la rue, celui qu’il m’avait désigné et où il avait fait du skate plus tôt dans la matinée.
On y voyait un jeune qui glissait le long d’une rampe et se lançait dans l’air. Il la visionna pendant un certain temps.
« Regarde, dit-il et il fit une pause, regarde comment ce gosse, il déchire. »