Ils ont voté comme un seul homme. Le projet de loi a fait l’unanimité chez les parlementaires de gauche ou de droite. Voté jeudi 16 avril, il sera adopté de façon solennelle le 5 mai prochain.
« Le Conseil constitutionnel pourra regarder, en fonction du droit, si ce texte est bien conforme à la Constitution. » a toutefois annoncé François Hollande, dimanche 19 avril en direct de l’émission de Canal+, le « Supplément » au sujet de la nouvelle loi sur le renseignement.
Et pourtant, ce projet fait toujours l’objet de vives critiques de la part des acteurs du monde numérique depuis ses prémices, il y a maintenant un an. Le fait que le président de la République s’empresse de saisir la plus haute autorité pour adouber cette loi – il s’agit d’une véritable première – paraît d’autant plus suspect. La manœuvre consiste sans doute à faire taire les opposants à cette loi, qui la considèrent contraire aux libertés fondamentales.
Quel est l’objectif de cette loi sur le renseignement ?
Avec elle, au lieu de mener des écoutes ou de la surveillance sans véritable cadre juridique, les enquêteurs des services de renseignement pourront analyser les contenus des mails, les différents échanges via internet, mais aussi des conversations téléphoniques, en lien direct avec une enquête.
Autrement dit, la pratique existe déjà, mais n’est pas encadrée par une loi. Celle-ci concernera des domaines très (trop) vastes couvrant la protection :
- de l’indépendance et de la sécurité nationale,
- de l’intégrité du territoire, des intérêts économiques et scientifiques,
- ou encore des intérêts supérieurs de la politique étrangère.
Elle comprend également :
- la prévention de la criminalité,
- ou encore la délinquance organisée….
Mais surtout, c’est l’argument du terrorisme qui a été mis en avant pour la promouvoir et la rendre indispensable auprès des parlementaires et des citoyens.
Il faut dire qu’un sondage CSA publié dernièrement annonce que 63% des Français sont pour une limitation des libertés individuelles sur Internet afin de lutter contre le terrorisme. Les soupçons de radicalisation des candidats au « Jihad » via Internet et les cyberattaques, dont les médias et notamment TV5 ont fait l’objet dernièrement, ont certainement contribué à cette réaction. Et l’attentat déjoué contre une Eglise risque de renforcer cet état de fait.
Avec cette loi, qui va faire l’objet des surveillances ?
Là où le bât blesse, c’est que pour identifier quelques personnes suspectes, il est nécessaire de surveiller tout ce qui transite dans les tuyaux de l’internet français.
A priori, toutes les personnes utilisant Internet ou un téléphone sont susceptibles d’être surveillées. Pour détecter automatiquement et en temps réel des données de connexion suspectes, les services de renseignement vont donc installer chez les opérateurs Internet et les hébergeurs de sites et de services web français, ce que l’on appelle des boîtes noires.
Les boîtes noires surveilleront tout le trafic Internet, c’est-à-dire l’utilisation que je fais ou que vous faites d’internet.
Les algorithmes de ces boîtes noires sont censées détecter les flux émanant de supposés terroristes en détectant les connexions chiffrées qu’ils emploient habituellement pour communiquer entre eux. Sauf que nombre d’utilisateurs, dont moi, emploient des systèmes de communication chiffrée pour des raisons de sécurité sur Internet.
De même, tout comme la Hadopi n’a jamais changé les habitudes de piratage de contenus culturels des internautes qu’elle ciblait, ce n’est pas cette surveillance qui pourra réellement lever les meilleurs lièvres en matière de terrorisme. Ces derniers sont plus malins que cela…
Levée de boucliers
C’est pour ces raisons, et bien d’autres encore, que cette surveillance massive des données est fortement critiquée. Il faut dire que son application fait fortement penser à l’arsenal de surveillance collective mis en place par la NSA américaine. D’ailleurs, de nombreux organismes sont montés au créneau pour la rejeter.
C’est notamment le cas de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) qui voit d’ailleurs ce volet de surveillance d’un très mauvais œil.
Quant au Conseil de l’Europe, il souligne que la surveillance de masse est « inefficace et dangereuse pour la démocratie », dans un rapport appelant à la création d’une « Ethique du renseignement » qu’il vient justement d’adopter ce mardi.
Le texte conseille de ne pas donner les pleins pouvoirs aux services de renseignement, et surtout de prévoir de solides garde-fous.
Or dans le cas présent, ces derniers viennent clairement à manquer. Les autorisations de surveillance ne passeront pas par un juge, mais uniquement via le Premier ministre après l’avis d’une Commission nationale de contrôle.
Les experts du secteur dénoncent une loi liberticide
Pour l’association « Ni Pigeons, ni espions », qui rassemble plus de 600 signataires, dont de nombreux acteurs de l’Internet, cette loi de surveillance généralisée d’Internet est totalement inacceptable.
Les principaux hébergeurs de sites français (OVH, Gandi) ont même menacé de quitter la France si cette loi était appliquée telle quelle.
Inquiet d’éventuelles retombées économiques, le gouvernement les a entendus le 15 avril. Preuve qu’il n’était pas vraiment à l’aise avec son sujet, le Ministre de l’intérieur leur a accordé l’ajout d’un amendement apportant quelques garanties permettant de brider la collecte des informations par ces boîtes noires. Toutefois, sur le principe, ces hébergeurs condamnent toujours la loi en question.
De leur côté, sans en penser moins, les opérateurs Internet sont restés muets. Il faut dire qu’ils sont tous également opérateurs de téléphonie mobile et soumis aux décisions du gouvernement en matière d’attribution de fréquences de radiophonie.
Trop de données à déchiffrer, pas assez d’humains pour les analyser
Plus globalement, le souci de cette loi c’est que l’ensemble des données collectées aura bien du mal à être déchiffré puis analysé, par manque flagrant de moyens humains.
Au final, les menaces terroristes éventuelles ne seront pas plus identifiées qu’auparavant malgré la présence d’un système de surveillance de masse.
De façon plus philosophique :
Avec son système de surveillance massif et son contrôle total par le seul pouvoir exécutif, l’arme antiterroriste prévue pour protéger les citoyens vient quelque part dénaturer les valeurs démocratiques de la République.
Bien entendu, le gouvernement, tout comme le président de la République s’en sont défendus en expliquant que cette surveillance de masse sera ciblée.
Toutefois, ce que nous a appris l’affaire Edward Snowden, c’est que les gouvernements sont toujours tentés à un moment ou à un autre d’abuser de leurs pouvoirs de surveillance envers la population.
C’est bien pour cette raison que face à cette loi, la plupart des organismes de défense des Droits de l’Homme ont levé leur bouclier.
Et c’est aussi pour cette raison que le président de la République a choisi la voie du Conseil Constitutionnel pour tenter de prouver aux forceps qu’il n’y a pas vraiment d’entourloupe.
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