Imaginez l’impensable : que l’on puisse réparer vos gènes d’un défaut qui s’y loge. Que l’on puisse très précisément éliminer un gène défectueux, responsable d’une maladie génétique.
Imaginez aussi que l’on puisse réparer les défauts liés au processus naturel de vieillissement sur votre ADN. De quoi prolonger de plusieurs années notre expérience de vie.
Imaginez enfin que l’on puisse cibler très précisément les cellules cancéreuses, et les détruire complètement… Ou encore s’attaquer à des virus, comme celui responsable du VIH — et le détruire.
Tout ceci pourrait être possible dans quelques années grâce à une technologie au nom pas forcément très parlant, le CRISPR-Cas. Une technologie dont vous n’avez peut-être jamais entendu parler mais dont la découverte a déclenché une impressionnante vague d’enthousiasme au sein de la communauté scientifique.
Et évidemment, les investisseurs et les grandes pharmas ont flairé le potentiel et se sont jetés dessus.
Mais avant de nous intéresser aux perspectives médicales et financières de cette technologie, commençons par le commencement, à savoir sa découverte.
Le CRISPR, le palindrome de l’ADN
Tout commence en 1987 par une équipe de chercheurs japonais travaillant sur une bactérie dont vous connaissez très probablement le nom, Escherichia coli.
En trifouillant dans l’ADN de cette bactérie, ils remarquent de petites séquences d’ADN, répétitives, et séparées entre elles par d’autres petits bouts d’ADN servant de séparateurs. Ils constatent leur présence… et puis c’est tout.
Il faut dire qu’en 1987, le séquençage génétique n’en est qu’à ses balbutiements et que les bizarreries de l’ADN ne font pas encore partie des principales préoccupations des chercheurs.
Mais évidemment, l’histoire ne s’arrête pas là. Dans les années 2000, plusieurs équipes se penchent sur les cas de ces séquences répétitives, qu’ils finissent par nommer CRISPR, pour Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats, et font plusieurs découvertes.
1. Ces séquences se trouvent à proximité de séquences codantes de l’ADN, en clair des gènes. Et pas n’importe quels gènes mais du type de ceux qui produisent des protéines (des enzymes) capables d’agir sur l’ADN. Ces gènes ont été regroupés en un type appelé Cas (pour CRISPR associated).
2. Les séparateurs entre les séquences répétitives ne sont pas des bouts d’ADN natifs (appartenant à l’organisme — la bactérie dans ce cas — dont on examine l’ADN) mais de l’ADN provenant d’un virus. La présence d’un ADN de virus au sein de l’ADN de bactéries n’est pas étonnante (cela arrive souvent quand un virus contamine une bactérie) mais ce qui a attiré l’attention des chercheurs, c’est l’emplacement de ces bouts d’ADN entre les séquences CRISPR. Pourquoi à cet endroit ? Et pour quelle utilité ?
3. En 2007, la solution finit par être repérée… dans un pot de yaourt. Des chercheurs travaillant pour un industriel laitier danois découvrent que les yaourts contenant des bactéries possédant des zones CRISPR ont une durée de conservation plus élevée que les yaourts contenant des bactéries sans CRISPR.
L’explication est donc la suivante : ces bouts de code de virus permettent aux cellules d’identifier et donc de lutter contre les virus. En quelque sorte, en ingérant un bout de l’ADN de l’envahisseur-virus, les cellules apprennent à lutter contre lui. Cela ne vous fait pas penser au pratiques cannibales qui veulent qu’en ingérant le corps de l’ennemi ou de l’ancêtre, on s’approprie sa force ou ses souvenirs ?
Pour en revenir à nos yaourts, les bactéries possédant le système CRISPR sont capables de lutter plus efficacement contre les virus, et donc prolonger la durée de consommation des yaourts.
Jusque-là, ces découvertes sont très intéressantes mais elles ne permettent pas vraiment de comprendre l’enthousiasme — l’emballement même — qui accompagne la technologie CRISPR-Cas.
Ce qui l’a fait passer de découverte scientifique intéressante à potentielle révolution génétique et thérapeutique, c’est l’étude des mécanismes qui permettent aux cellules équipées du système CRISPS-Cas de découper et d’intégrer des bouts d’ADN viral…
Et cette étude a été menée par deux chercheuses, l’Américaine Jennifer Doudna et la Française Emmanuelle Charpentier. Prêt pour l’étape 4 de l’histoire des CRISPR ? Alors, c’est parti.
4. Doudna et Charpentier ont identifié le mécanisme CRISPR-Cas : quand une bactérie est infectée par un virus, elle intègre donc des petits morceaux de son ADN comme séparateur dans les régions CRISPR de son propre ADN. Ces bouts d’ADN viral sont probablement découpés par les enzymes produits par les gènes Cas.
Mais ce qui est vraiment intéressant c’est l’utilisation que l’ADN des bactéries fait de ces bouts d’ADN viral. L’ARN (une molécule biologique proche de l’ADN et servant, généralement, de messager dans la synthétisation de protéines par le corps) intègre la copie de l’ADN viral.
Pour résumer, l’ARN CRISPR est équipé d’une « tête chercheuse » capable de repérer les virus.
Et cela ne s’arrête pas là, l’ARN CRISPR possède la capacité de se lier aux enzymes Cas (et tout particulièrement aux Cas9), ces fameuses enzymes qui peuvent découper l’ADN.
L’association d’un ARN CRISPR et d’une enzyme Cas9 se transforme en redoutable machine de guerre de l’organisme des bactéries. Cette combinaison est capable de repérer un virus et de trancher son ADN, le rendant incapable d’infecter les bactéries. C’est un massacre à la tronçonneuse chez les virus…
Et voilà comment, progressivement, les bactéries parviennent à se constituer un catalogue de virus et à accroître leur résistance.
A ce moment de ma démonstration, vous vous dites certainement : c’est formidable pour ces braves bactéries mais mon organisme étant tout de même un poil différent, je ne vois pas en quoi le CRISPR serait la prochaine grande révolution de la médecine génétique.
Soyez patient, cher lecteur, car il nous reste l’étape 5.
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5. La découverte suivante a de nouveau été faite, en 2012, par Doudna et Charpentier (une rumeur les présente comme de futurs prix Nobel de chimie, et comme vous allez le constater dans quelques instants, une telle récompense ne serait pas volée).
Elles ont voulu détourner le processus CRISPR pour l’utiliser à des usages utiles pour nous, humains. La bonne nouvelle, c’est que nous possédons aussi des zones CRISPR sur notre ADN, ce qui ouvre un grand champ de possibles.
Puisque l’alliance CRISPR-Cas9 agit comme 1. une tête chercheuse 2. un ciseau d’ADN, pourquoi ne pas tenter de programmer l’ARN CRISPR pour qu’il s’attaque à autre chose que des virus ?
Pour cela, deux possibilités démontrées par Doudna et Charpentier :
– remplacer les séparateurs constitués d’ADN viral par une autre séquence. Par exemple la séquence d’un gène défectueux. L’ARN ainsi synthétisé s’attaquerait au gène indiqué.
– créer de l’ARN CRISPR — facilement synthétisable en laboratoire — associé à la même enzyme Cas9. L’effet est le même que dans la première solution. L’ARN CRISPR et la Cas9 sont capables de repérer n’importe quel gène (ou presque) dans l’organisme et de le découper.
Cette découverte, et sa réalisation in vitro en laboratoire, a soulevé un enthousiasme absolument délirant au sein de la communauté scientifique. Ce n’est pas la première fois que les chercheurs découvrent un mécanisme capable de découper l’ADN mais CRISPR-Cas bat tous ces concurrents grâce à des avantages de très grand poids : la technique de synthétisation d’ARN en laboratoire est bien maîtrisée, rapide et elle est en outre peu coûteuse (environ 10 fois moins chère que les autres méthodes, comme celle des nucléases à doigts de zinc).
Quant à ce que nous pourrions réaliser avec cette méthode ? Eh bien, c’est ce que nous verrons demain !