Le don manuel : la forme la plus simple pour gratifier un proche, mais parfois la plus dangereuse
C’est probablement l’interprétation qu’il faut faire de cette intéressante jurisprudence de la Cour de cassation en date du 4 octobre 2011 (n°10-23.230). Dans cette affaire relative à un don manuel, nous avions un contribuable qui avait reçu en 2003 environ 300 000 euros d’une tierce personne, âgée et malade. Cette somme a été déposée sur un compte bancaire que l’assujetti bénéficiaire n’estimait être qu’une simple épargne de précaution ne lui étant pas réellement acquise et conservée par devers lui “au cas où”. Il n’avait du reste n’avait pas entamé cette somme ; à la suite du dépôt initial, un compte à terme a été ouvert et les liquidités placées dessus.
L’assujetti soutenait que l’argent reçu n’était pas réellement disponible et qu’il le gardait au cas où…
Plus tard, le contribuable fait l’objet d’un ESFP, acronyme ô combien désagréable puisqu’il s’agit de l’Examen de la situation fiscale des personnes physiques. Certes contradictoire, il faut savoir que cette procédure compte parmi les investigations les plus invasives que pratique l’administration fiscale sur un contribuable “personne physique”.
Au cours de cette ESFP, notre assujetti est amené à présenter divers extraits de comptes et se voit entres autres interrogé sur les mouvements bancaires y apparaissant. Il se retranche derrière la nécessité de disposer de cette somme pour assurer le fonctionnement de diverses affaires commerciales qu’il menait avec l’apporteur de ces fonds “dans l’hypothèse où il [le disposant] serait absent ou en indisponibilité“.
Explication sans doute un peu trop vague et qui n’a pas convaincu : le vérificateur se range alors derrière l’article 757 du Code général des impôts (CGI) et opère une taxation suivant le barème des droits de donation concluant qu’il s’agissait là d’un don manuel et donc à ce titre taxable.
L’administration taxe aux droits de donation ce qu’elle voit comme un don manuel
Mais notre assujetti ne l’entend pas de cette oreille : en effet, selon lui l’article 757 du CGI ne déclenche la taxation que par la révélation du don à l’administration. Le texte légal dispose que : “[Des] actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d’un don manuel, sont sujets au droit de donation”. Et “la même règle s’applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l’administration fiscale“.
Où la notion de révélation spontanée du don devient très élastique
Or en l’espèce, il est exact qu’il n’y a pas eu de reconnaissance judiciaire. Celle-ci aurait pu survenir si le disposant était décédé entre temps et qu’un héritier mécontent ait fait valoir cette sortie de fonds pour protéger sa réserve héréditaire. Il n’y avait pas eu non plus d’aveu, de révélation spontanée, puisque notre assujetti n’a jamais admis qu’il s’agissait d’un don mais simplement de ce que l’on pourrait qualifier de facilités de trésorerie au cas où. Après tout, à l’instar du Droit pénal, notre assujetti tentait de faire sien cet adage selon lequel “l’aveu est le plus court chemin qui conduit à la condamnation“. Il fallait donc nier, coûte que coûte !
Hélas, le juge suprême de l’impôt considère que le caractère spontané de la révélation ne prend pas forcément la voie d’un formulaire que l’on remplit et que l’on dépose au guichet de l’Enregistrement. En effet, de façon alternative mais avec la même efficacité pour le Trésor public qui va encaisser le montant d’éventuels droits de donation, la simple présentation des extraits de comptes lors d’une ESFP s’assimile suivant la présente jurisprudence en une déclaration spontanée. Le terme “déclaration spontanée” est donc pris dans son acception la plus large !
Donnez, donnez… mais déclarez sans prendre le risque que le vent tourne !
Quels enseignements faut-il en retenir ? Eh bien que si vous avez un don à faire, faites-le maintenant et déclarez-le dans la foulée : n’oubliez pas que la loi TEPA a accordé un abattement généreux de 150 000 euros en ligne directe, ce qui laisse de la marge !
Or cet abattement pourrait bien être remis en cause avec les élections. N’oubliez jamais que ce que le législateur fait, il peut le défaire ! A cet égard, on ne peut s’empêcher de repenser à cet amendement adopté par le Sénat lors du vote de la Loi de finances pour 2012 qui prévoyait de réduire les abattements personnels aux droits de mutation à titre gratuit (droits de donation et succession) à des niveaux ridicules de 5 000 euros au pire.
(Vous pourrez trouver l’intégralité du débat surréaliste qui s’est tenu au Sénat à l’URL suivante : http://www.senat.fr/seances/s201111/s20111118/s20111118007.html)
Certes, ce texte sénatorial n’a pas survécu à la navette parlementaire et s’est vu blackboulé par l’Assemblée nationale. Mais on doit l’interpréter comme un coup de semonce. Une révélation tardive d’un don manuel pourrait se trouver placée sous l’empire d’une prochaine loi de finances nettement moins généreuse !
[Saviez-vous que vos cadeaux peuvent être taxés ? Qu’il y a des limites précises au montant de ce que vous pouvez offrir ? Que le bénéficiaire peut être imposé en cas de problème ?
C’est pour répondre à toutes ces questions que Fabrice Coletto a réalisé un rapport entièrement dédié à la donation et les règles de fiscalités bien particulières qui l’entourent ! N’attendez pas pour découvrir ses conclusions car être généreux, c’est bien… Mais éviter de donner jusqu’à 60% de la valeur de votre cadeau au Fisc… C’est encore MIEUX ! ]