Trop de gens me disent : « J’ai ma petite idée sur la manière de jouer en Bourse ! JE SAIS que je suis doué. Comment puis-je commencer à lever des fonds ? »
Je peux vous décrire le profil exact de ces gens-là. Il s’agit le plus souvent d’hommes âgés entre 16 et 33 ans.
Ces personnes vont être très malheureuses. Elles vont finir par avoir envie de se suicider.
Elles vont faire ce que j’ai fait et vont un jour envisager de faire des publireportages pour des pilules amaigrissantes, parce que même ça vaut mieux que de jouer en Bourse. Elles vont beaucoup pleurer.
Et je ne veux même pas admettre ce que j’ai réellement fait parce que cela tient de l’escroquerie. Comme toutes les autres escroqueries qui existent dans ce monde.
Mais je pense que beaucoup de gens luttent pour ce qu’ils ont choisi. Je vais donc vous dire ce que je fais.
Je me trouve au croisement de la 54e et de la 7e rue à New York alors que j’écris ces lignes. Et cela me rappelle des souvenirs.
Lorsque j’étais ado, mon acné était si forte que mon père m’amenait en ville pour consulter un dermatologue spécialisé près de son bureau.
Tous les mois, je subissais quasiment l’équivalent d’une chirurgie faciale pour faire sortir tout le pus des boutons qui constellaient mon visage.
Après la consultation, mon père m’emmenait à son bureau et me faisait faire des photocopies. J’étais très amoureux d’une des secrétaires mais mon visage était tellement écarlate qu’elle ne me regardait même pas.
J’avais 14 ans. Je me souviens de son nom. Charlotte. Salut Charlotte.
La photocopieuse était tout le temps en panne. Je ne savais pas la réparer. Puis nous allions déjeuner au Carnegie Deli.
Si vous n’avez jamais mangé là-bas, imaginez alors un sandwich long comme le bras, débordant de corned beef et de pastrami. Nous nous en partagions un.
Cela fait partie des meilleurs moments de ma vie. Mon père me parlait de ses théories, de son travail.
Vingt ans plus tard, alors qu’il était dans le coma, je passais au croisement de la 54e et de la 7e rue et regardais son immeuble.
À cette époque, je perdais de l’argent en Bourse et j’avais peur de finir ruiné à nouveau. J’aurais tout donné pour pouvoir lui parler encore une fois.
Je savais qu’il m’aurait dit quoi faire, comment m’en sortir. Comment le monde allait vers le meilleur.
Lorsque j’étais enfant, il savait tout. Il n’y avait pas la moindre chose qui lui soit inconnue.
J’ai fait du trading de manière professionnelle durant près de treize ans. J’ai quelques stratégies qui fonctionnent et je vais expliquer en détail ici même comment vous pouvez les appliquer.
Je n’ai pas utilisé cette stratégie à l’époque. Comme un imbécile, j’ai écrit un programme. Il a fonctionné pendant quelques années, j’ai gagné de l’argent pour le compte de beaucoup de gens et puis, petit à petit, il a cessé de fonctionner.
Je me trouvais donc en ville, mon père dans le coma et je pleurais parce que la seule fois où il m’a manqué, c’est lorsque je me suis trouvé face à une énorme perte potentielle et que j’aurais voulu l’appeler juste une fois encore.
Il était comme un enfant. Il regardait le ciel et voyait des nuages en barbe à papa.
Il volait dans le ciel et, avec ses mains de géant, il en détachait le sucre et en retirait des enseignements et des faits. Où les avait-il appris ?
Il avait étudié la musique. Il souffrait d’une dépression nerveuse, et devait deux ans plus tard subir une crise cardiaque.
Mais il connaissait les niveaux de production aux États-Unis. Il m’expliquait pourquoi c’était bien que l’euro fasse ceci, que la Chine fasse cela et il me remontait toujours le moral.
Lorsque je n’ai plus pu lui parler, je continuais à passer voir l’immeuble de son ancien bureau, me sentant apeuré et ruiné, souhaitant qu’il soit là pour me réconforter. Souhaitant pouvoir l’appeler une dernière fois.
À présent, je ne fais plus cela. Je me rends compte que je suis un imbécile. Je profite donc de mon imbécilité pour gagner de l’argent.
Il existe pléthore de sites web qui vous disent quelles sont les actions que possèdent les meilleurs investisseurs au monde. J’en ai même conçu un, stockpickr.com.
Mais on trouve aussi des sites comme gurufocus.com et, mon préféré, J3Sg.com. Vous voulez savoir ce que possède Warren Buffett ? Ils vous l’apprendront.
Qui sont les meilleurs investisseurs ? C’est nécessairement des gens qui conservent leurs positions pendant longtemps, sinon je ne peux pas dire s’ils vont opérer des trades à l’achat ou à la vente plus vite que je ne le ferai.
Warren Buffett fait donc naturellement partie de cette liste. Carl Icahn. Dan Loeb. David Tepper. Et une trentaine ou quarantaine d’autres.
Après m’être arraché les cheveux pendant des années, après avoir conçu des milliers de programmes qui modélisaient les marchés, la fin sonna pour ce type de trading.
Il y a une règle au poker. Si vous regardez autour de la table et que vous ne pouvez pas trouver le pigeon, alors c’est ce que c’est vous le pigeon.
J’étais le pigeon.
Mais parfois le pigeon peut voler plus vite que tous les autres. Du moins c’est ce que j’espère.
En 1984, je me rendais à la salle de jeux vidéo près de son bureau. Mon jeu préféré était Defender. Et j’aimais aussi beaucoup Asteroids et Galaxian.
Parfois je marchais 2 km jusqu’à Forbidden Planet, un magasin de comics et de BD qui existe encore aujourd’hui.
Plus rien d’autre n’existe. Mais lorsque je faisais un trade perdant, je me remémorais tous ces moments magiques lorsque j’étais enfant.
Je voulais les retrouver. Je voulais moi aussi attraper les nuages et en faire de la barbe à papa.
Mais il pleuvait et j’avais peur.
Voici ce que je fais aujourd’hui. Et cela fonctionne.
Chaque mois, je consulte un site comme celui de la Securities and Exchange Commission et je regarde quelles actions mes investisseurs préférés commencent doucement à acheter.
Il ne se rendent pas sur CNBC pour parler de ces actions. Ils ne commentent pas leurs achats dans les journaux. Mais ils sont obligés de rendre compte à la SEC de leurs possessions dans des formulaires obscurs appelés « 13-D » ou « 13-G » ou parfois « 13-F ».
Ils ne parlent à personne.
En fait, ce n’est pas tout à fait vrai. Ils se parlent tous entre eux. Ils me parlent. Les informations et les analyses passent de l’un à l’autre et c’est ainsi qu’au final les actions grimpent.
Je n’ai jamais été assez charismatique pour lever des fonds lorsque j’avais un hedge fund. J’en levais un peu mais pas suffisamment.
Au moins deux investisseurs ont quitté une réunion au beau milieu de mon exposé et tous deux m’ont dit la même chose : « Pourquoi investirions-nous chez vous alors que vous ne vous coiffez même pas avant de nous rencontrer ? »
Un autre investisseur souhaitait me faire confiance mais m’expliqua qu’il était très conservateur. Il était très gentil, paternel et me rappelait mon père.
Il me dit à propos de l’entreprise qui portait son nom : « La dernière chose dont nous avons besoin chez Bernard Madoff Securities, c’est de voir notre nom à la une du Wall Street Journal. »
Je repère les actions que les meilleurs fonds achètent puis je sélectionne celles qui ne sont pas couvertes par les analystes. Je sais donc que les hedge funds sont les premiers à y investir.
Puis j’étudie les entreprises qu’ils achètent et qui sont en fait des investissements indirects pour de plus gros poissons.
Au lieu de m’intéresser à Apple, j’étudie si les fonds achètent les fournisseurs de puces d’Apple.
Au lieu de regarder Google, je cherche à voir si les hedge funds achètent des entreprises qui gèrent la bande passante pour Google. Ces entreprises sur lesquelles personne n’écrit parce qu’elles sont barbantes.
Au lieu de suivre Pfizer, je rechercherai les entreprises qui fabriquent un médicament contre l’hépatite B qui est presque exactement le même que celui de Pfizer et que les hedge funds sont en train d’acheter.
Et je recherche souvent les actions qui s’échangent à un prix plus bas que celui auquel les ont achetées les meilleurs investisseurs. C’est comme si Warren Buffett était mon stagiaire gratuit.
Il me parle des actions et m’apporte mon café. W.B., espèce d’idiot, je vais acheter mes actions 20% moins cher que toi, et en plus je ne te paierai pas un centime !
Et voilà. A) Si quelqu’un de plus intelligent que moi achète, B) si l’entreprise est dans une forte tendance démographique, C) et que cette entreprise est sous-évaluée selon une autre approche que j’ai trouvée, alors j’achète.
Combien de temps est-ce que je garde ? En général indéfiniment. Ou jusqu’à ce que je voie le hedge fund vendre – ce qui peut être au bout de plusieurs années.
Est-ce que cela fonctionne ? Oui.
Beaucoup de choses peuvent mal se passer.
Lorsqu’il pleut, les gens normaux n’en font pas toute une affaire. La pluie fait partie de la vie.
Mais lorsque les actions montent ou baissent, les gens deviennent fous. Ils vendent lorsque les actions baissent. Certains courent nus sur les toits – je l’ai vu de mes propres yeux.
Et pourtant, la volatilité des actions est une chose plus normale même que la pluie.
Vous ne pouvez supprimer vos émotions. Vous ne pouvez même pas agir dessus. Vous réfléchissez juste de manière rationnelle dans ces cas.
Les journaux et les médias tirent avantage du fait que les gens ne comprennent pas les émotions des marchés.
Ils racontent des choses effrayantes comme « Apple rate son objectif de bénéfices ».
APPLE RATE !!
Cela ne signifie pas qu’Apple a perdu de l’argent mais simplement qu’une poignée d’imbéciles a décidé que les bénéfices d’Apple devraient être de X dollars et, qu’au lieu de cela, ils ont été de X-1 dollars. Apple est l’entreprise la plus rentable de l’histoire.
Nous vivons dans une économie flippante. C’est flippant parce que tant de choses sont inconnues.
Sur 8 000 sociétés cotées, peut-être 6 000 d’entre elles sont des arnaques.
C’est normal d’avoir peur. Mais je m’en tiens à cette stratégie et ça marche. Les gens plus intelligents que moi peuvent déterminer si une entreprise est une arnaque ou pas.
Voici les autres règles que je suis : j’essaie de ne pas avoir plus de 30% dans les actions. C’est trop angoissant pour moi.
Et j’essaie de ne pas avoir plus de 2-3% dans une seule action. À moins qu’elle ne monte.
Comme le dit Warren Buffett (je rappelle que j’ai écrit LE livre sur Warren Buffett selon l’homme lui-même) : « Pourquoi renoncer à Michael Jordan juste parce qu’il est le meilleur de votre équipe ? »
Je n’étudie jamais le marché boursier, parce que c’est ennuyeux et que ça n’a pas de sens.
Les gens me demandent, paniqués : « Y a-t-il de nouvelles infos ?! » lorsque leur action préférée a perdu 3 centimes.
Il n’y a jamais de nouvelles infos. Mieux vaut jouer à Asteroids. J’ai loué une vieille borne Pac-man la dernière fois que j’étais en vacances.
Ma fille de 13 ans me bat à plate couture dans Ms. Pac-man et cela me chagrine beaucoup.
J’ai vu mon reflet sur l’écran et son reflet à elle aussi. J’espère être un bon père et lui apprendre des choses.
Généralement, environ un an après qu’une personne se soit vantée auprès de moi d’avoir un « réel talent pour sentir les marchés », elle me recontacte : « Je regrette de ne pas vous avoir écouté. »
Aujourd’hui encore, lorsque je passe par le croisement de la 54e et de la 7e rue, je pense à lui. La salle de jeux vidéo n’est plus là.
Je me sens voler. Déchirer les nuages. Trouver le sucre comme il le faisait.
Mais souvent il pleut et je retombe sur terre. J’ai beau chercher dans la ville, toutes les librairies sont parties.
Un jour, mon père m’appela, quelques mois avant qu’il ne tombe dans le coma.
Il se trouvait dans un grand centre commercial. Il n’arrivait pas à retrouver sa voiture. Il errait au hasard. Il n’était même pas certain de savoir comment il était arrivé jusqu’au centre commercial. Il bégayait.
J’ai loué une voiture pour aller le rejoindre puis l’ai emmené à l’hôpital.
Même à ce moment-là, dans la voiture, il me dit que l’économie repartait. « Un dollar faible, c’est bon pour les actions. » Je devais conserver mes actions. C’était en 2002, avant que quiconque ne sache quelque chose.
Il avait raison. J’étais le pigeon dans le jeu.