Jeudi 28 janvier, je suis tombé sur un article du Revenu curieusement titré « Fonds en euros : le rendement net augmente ».
Après avoir fait le nécessaire pour m’assurer que j’étais bien réveillé, je me suis lancé dans la lecture de ce (court) développement qui vise à rétablir une prétendue vérité et à « modifier la perception ‘négative’ de nombreux assurés quant à l’évolution de la valeur de leur contrat d’assurance vie qui, rappelons-le, est encore aujourd’hui investi en moyenne à plus de 80% sur le fonds en euros ».
« Modifier une perception négative », donc.
Pour ce faire, l’argument avancé est le suivant : en 2015, l’inflation a plus baissé que le rendement moyen des fonds euros, donc le rendement net (comprendre net d’inflation) a augmenté par rapport à 2014. Il convient par conséquent pour l’assuré d’adopter une « perception positive » de l’évolution de la valeur de son contrat d’assurance-vie, CQFD.
Que voilà un raisonnement rassurant pour un lecteur qui aurait le malheur de tomber sur d’affreux articles de ce genre ! Malheureusement, l’enfer est pavé de bonnes intentions et cet argument me semble un peu court et la conclusion qui s’ensuit quelque peu hâtive.
Pourtant, cet article commençait sur un constat (presque) correct :
« C’est une habitude à laquelle on ne se fait pas. Depuis plusieurs décennies les rendements servis sur le fonds en euros des contrats d’assurance vie baissent, dans la lignée de l’érosion des taux d’intérêt obligataires. »
Oui, correct, à la nuance près que l’on n’est aucunement tenu de « se faire à cette habitude » et de conserver son épargne sur un fonds euros dont le rendement chute de manière inéluctable.
Mais il est vrai que M. Toutlemonde n’a pas l’air de particulièrement s’en émouvoir, ou plutôt peut-être pense-t-il (à tort) qu’il n’existe pas d’alternative à l’assurance-vie, tant la collecte sur ce support semble un long fleuve tranquille :
L’inévitable chute du rendement des fonds euros
Pour mieux visualiser les tendances en jeu, je les ai représentées sur ce graphique :
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oui, le taux de rendement des fonds euros baisse de manière continue depuis de nombreuses années ;
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oui, c’est également le cas des taux d’emprunts de l’Etat français à 10 ans ;
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et oui, le taux d’inflation annoncé par l’INSEE est en diminution depuis 2011. L’économie est en effet l’objet de pressions déflationnistes, impitoyablement combattues par les grandes Banques centrales mondiales.
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Pour autant, et pour reprendre un mot de Simone Wapler, « la « déflation » dont on vous parle est calculée hors impôts, prélèvement, charges…– tout ce qui fait le charme de la vie ». Par conséquent, sauf à être expatrié au Liberland et à se nourrir d’amour et d’écrans plats, on se demande qui aurait l’impression que l’inflation réelle est de 0%.
Par ailleurs, outre la diminution continue du taux moyen servi sur le fonds euros, l’écart croissant qui sépare le rendement des taux sur la dette d’Etat à 10 ans (courbe noire sur le graphique) et le rendement des fonds euros (courbe rose) est alarmant.
Plutôt que de me perdre en commentaires, je vous renvoie à l’article que j’ai consacré aux dangers qui menacent le fonds euros et qui, n’en déplaise à l’auteur de l’article cité plus haut, n’en font pas un placement qui remplit particulièrement de zénitude.
Voici d’ailleurs quelques nouvelles du front :
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- l’Agefi rapportait au mois d’octobre que le ministère des Finances allemand portait un projet de loi visant à abolir le taux minimum garanti pour les nouveaux contrats d’assurance-vie à compter de 2016 ;
- en octobre toujours, l’agence de notation Standard & Poor’s déclarait : « Nous pensons que l’environnement de taux bas constitue un risque majeur pour les assureurs vie que nous notons en Europe, au moins pour les prochaines années à venir » ;
- en décembre, ce fut le tour de Jan Smets, gouverneur de la Banque nationale de Belgique, de recommander aux assureurs de baisser le taux maximum garanti des assurances-vie d’une durée supérieure à 8 ans à 1,5%, contre 3,75% actuellement. La raison avancée par ce monsieur ? « Elles courent le risque de devoir assurer sur une période de 10 à 20 ans un rendement supérieur au rendement qu’elles peuvent obtenir de leurs actifs ». Ce qui est vrai pour la Belgique, l’est aussi pour la France et l’Europe en général.
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Au moins, j’ai la franchise de vous dire tout haut ce que d’autres ne vous diront pas
Je ne sais pas ce que vous pensez de ces déclarations, mais de mon côté, elles ne me donnent pas vraiment envie d’adopter la positive attitude vis-à-visde l’évolution de la valeur des fonds euros, et plus généralement par rapport aux perspectives sur l’assurance-vie.
Je ne suis d’ailleurs pas le seul conseiller en gestion de patrimoine à le penser mais, la différence avec certains confrères qui préfèrent se garder de vous en parler, c’est que moi je vous l’écris.
Bref, non le taux de rendement des fonds euros n’a pas augmenté, et non la tendance n’est pas à l’amélioration sur cet actif.
On a beau tordre la réalité dans tous les sens en prenant en compte l’inflation au sens de l’Insee pour vous rassurer, pour ce qui est du fonds euros, autant brûler un cierge à Sainte Rita, patronne « des causes désespérées et des choses impossibles », ou à son collègue Saint Jude, quant à lui patron « des causes perdues et des cas désespérés » !
D’où la question :
Faut-il tenter de le booster en prenant position sur des unités de compte ?
Le rendement du fonds euros étant en diminution constante, faut-il tenter de le booster en prenant position sur des unités de compte ?
Au mois de juin, la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA) déclarait que sur les cinq premiers mois de l’année, « pour la première fois, la collecte nette en unités de comptes dépasse celle en euros » (54,2% du total de la collecte).
Cela se vérifie sur ce graphique, issu de la conférence de presse donnée par la FFSA le 28 janvier 2016.
Quelle que soit la classe d’actifs considérée, il y a un temps pour acheter et un temps pour vendre. Vous connaissez sans doute ce propos de Warren Buffett :
« La plupart des gens s’intéressent aux actions quand tout le monde s’y intéresse. Le moment d’acheter est quand personne ne veut acheter. Vous ne pouvez acheter ce qui est populaire ».
Or, il semble que les épargnants ont encore changé de stratégie lors d’un plus haut. Espérons pour eux que leur conseiller aura été assez réactif et assez courageux pour leur expliquer les tenants et les aboutissants de la situation, et les empêcher de se faire à nouveau rincer.
Qu’en conclure pour vos placements ?
Comme je l’écrivais dans mon précédent article :
« Soyons clairs : certains épargnants, notamment du fait de leur grand âge, se retrouvent « coincés » sur leurs fonds euros, parfois d’ailleurs dans de très mauvais contrats desquels il ne leur serait néanmoins pas avantageux de sortir pour des raisons successorales.
Pour les autres, des alternatives aux fonds euros existent. Nombre d’entre elles sont développées par Simone Wapler dans sa lettre mensuelle. »
J’ajouterai simplement que si votre conseiller vous affirme que « le rendement net de votre fonds euros augmente », vous pouvez tout à fait vous permettre de lui présenter le premier graphique de cet article, celui avec le petit cochon qui s’interroge, et lui demander s’il ne vous prendrait pas pour un jambon.
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