On ne mise pas sur des titres comme on soutient des sociétés dont on partage les valeurs.
La démarche serait éminemment respectable. Hélas ! l’investisseur avisé sait que ses placements financiers les plus fructueux naissent rarement de ses élans philanthropiques. Plus souvent de son opportunisme et de sa propension à flairer le cynisme du marché.
Il y a un peu plus de deux mois, dans le numéro de juillet des Dossiers d’Altucher, nous consacrions un dossier complet à l’usage thérapeutique du cannabis aux États-Unis et à l’explosion imminente de ce secteur. À travers le parcours de quelques entrepreneurs qui en tirent profit actuellement, nous encouragions nos abonnés à investir sur cette tendance (vous retrouverez une partie de ce dossier passionnant la semaine prochaine dans Investissements Personnels).
À la suite de la publication de ce mensuel, l’un de nos fidèles abonnés nous contacta pour exprimer sa colère :
Je suis stupéfait de la propagande pro-cannabis sans nuance que vous faites.
Nous comprenons évidemment la douleur que peuvent ressentir certains de nos lecteurs dont nous ne connaissons ni les parcours de vie, ni les convictions.
Mais voici, en substance, ce que nous lui avons répondu :
Notre travail consiste exclusivement à identifier les tendances d’avenir et les sociétés qui vont en profiter, sûrement pas à prôner l’utilisation des produits sur lesquels elles s’appuient. Par ailleurs, le choix d’utiliser ou non ces recommandations vous appartient.
Ainsi, vous pouvez être d’accord ou pas sur l’usage thérapeutique du cannabis, sur sa dépénalisation, voire sa légalisation… Peu nous chaut, serais-je tenté de dire.
La seule question qui vaille est la suivante : êtes-vous d’accord pour profiter de cette tendance dans le cadre de vos investissements ?
Peter Thiel a été d’accord dès le début
Premier investisseur institutionnel à miser sur le développement du marché légal du cannabis aux États-Unis, le fondateur de PayPal a eu du nez. En se positionnant fin 2014 sur Tilray, par l’intermédiaire de Privateer Holdings qui en détient 76%, il a pu profiter de la croissance insolente du producteur canadien dont tout le monde a parlé ces dernières semaines. Le titre a cependant perdu près de la moitié de sa valeur depuis son plus-haut du 19 septembre. Je vous en dirai plus un peu plus bas.
Le fonds Privateer Holdings détient par ailleurs des parts dans Goodship, un fabricant de tisanes et de cupcakes au cannabis et dans Marley Natural, une marque lancée par les descendants de l’icône du reggae…
À Wall Street, depuis le milieu du mois de septembre, tous les regards sont tournés vers les entreprises spécialisées dans le secteur du cannabis, qui rendent les investisseurs euphoriques.
Chacun réclame sa part du gâteau
Bien décidés à tirer profit de cette tendance, les groupes de boissons et spiritueux revendiquent les uns après les autres leur légitimité sur ce marché lucratif. Et attendent leur tour.
L’annonce de Coca-Cola le 17 septembre a fait entrer le secteur dans une nouvelle dimension. Coca-Cola, si grand public, si familiale. Coca-Cola, cette entreprise à l’image si consensuelle, si emblématique de la société de consommation américaine, a affirmé qu’elle s’intéressait au cannabis.
« Comme beaucoup d’autres dans l’industrie des boissons, nous étudions de près la croissance un peu partout dans le monde du CBD, un principe non-psychoactif (du cannabis), comme ingrédient dans des boissons destinées au bien-être », a déclaré le groupe via un communiqué.
La marque de sodas serait ainsi en discussion avec Aurora, un producteur canadien de cannabis.
Mi-août déjà, c’était Constellation Brands, le groupe de spiritueux américain propriétaire notamment de la bière Corona, qui avait surpris tout son monde en déboursant près de 4 milliards de dollars afin d’acquérir 38% de la société canadienne Canopy Growth. Il en détenait 10% depuis 2017.
Et cet été, la brasserie californienne Lagunitas, propriété du groupe néerlandais Heineken, avait lancé une eau pétillante infusée au cannabis, sous la marque Hi-Fi Hops. De son côté, le groupe français Pernod Ricard a précisé qu’il regardait « de près ce marché ».
Le cannabis se rachète grâce au Canada
Cette passion soudaine des entreprises américaines pour leurs voisines canadiennes aurait de quoi surprendre. Mais le 17 octobre prochain, le Canada a pris la décision de légaliser totalement le cannabis : la culture, la vente et la consommation seront en effet autorisées dans tout le pays.
Le Canada ayant souvent été par le passé à l’avant-garde sur les grands sujets de société, cette décision pourrait bien initier un mouvement de plus grande ampleur – auquel certains États américains se sont déjà joints en légalisant l’usage récréatif de la substance.
Dans Opportunités Technos, mon confrère Edern Rio faisait un parallèle avec l’industrie des spiritueux et sa quête de respectabilité après la fin de la Prohibition :
L’alcool est aujourd’hui une substance communément consommée ; les grands alcooliers ont pignon sur rue et sont des valeurs boursières comme les autres. Nul doute que le cannabis et ses producteurs suivront la même trajectoire.
Une analogie renforcée par l’intérêt manifeste des groupes de boissons et spiritueux pour cette industrie naissante.
Un marché encore volatil
De ces valeurs adossées à l’industrie du cannabis, nous en parlons depuis plusieurs années aux Publications Agora. Mais depuis quelques semaines, le marché explose à la Bourse new-yorkaise, encourageant la spéculation et entraînant une forte volatilité.
Mercredi dernier, Tilray, dont nous avons parlé plus haut, gagnait jusqu’à 93% en cours de séance avant d’effacer la quasi-totalité de ses gains. Le Nasdaq fut même contraint d’interrompre la cotation de l’action dans la foulée de plusieurs heures de montagnes russes.
Le titre clôturait à 214 dollars, soit une hausse de 38.12%. Il cote actuellement autour de 130 dollars. Pour rappel, lors de son introduction en Bourse mi-juillet, il se négociait à 17 dollars seulement. De telles performances font craindre à plusieurs observateurs une nouvelle bulle spéculative.
Mais le potentiel du secteur est bel et bien réel et il est temps, plus que jamais, de se positionner avec prudence et minutie.