Hier, nous nous étions arrêtés sur la question suivante : en cas d’arrivée au pouvoir du Mouvement 5 Stelle (M5S) et/ou de référendum sur l’euro, les Italiens pourraient-ils voter pour une sortie de la monnaie unique ?
Les arguments sont partagés. D’un côté, l’euroscepticisme rencontre un certain succès dans un pays traditionnellement méfiant envers l’administration. Le mécontentement des Italiens envers la Zone euro, la BCE, l’Allemagne et l’Union européenne ne cesse de grimper dans un contexte économique difficile. C’est ce que je vous expliquais mardi dans les Marchés en 5 Minutes :
Outre les problèmes des banques dont nous vous parlons régulièrement, la situation économique du pays est un bouillon de culture pour le mécontentement populaire entre différences marquées entre le Nord et le Sud du pays, corruption, taux de chômage important, tout particulièrement chez les jeunes (autour de 40% — contre 25% en France).
C’est d’ailleurs un des faits les plus frappants quand on discute avec de jeunes Italiens, même (très) diplômés : l’absence de presque toute perspective d’emploi dans leur pays. Ils sont ainsi de plus en plus nombreux à faire le choix de l’émigration.
A cela, il faut ajouter l’impression d’être maltraitée par l’Europe (sur la question de l’immigration ou encore sur celle du budget 2017) ou encore par l’Allemagne (sur la question du renflouement des banques italiennes).
Bref, les Italiens ont de sérieuses raisons de ne pas porter l’euro ou l’UE dans leur coeur.
L’Italie, pilier de l’euro
De l’autre… eh bien l’Italie n’est pas le Royaume-Uni. Le pays fait partie des fondateurs de l’Union européenne en 1957. Il fait aussi partie du premier cercle à avoir adopté l’euro. La lire et ses multiples dévaluations ne sont pas vraiment regrettées en Italie.
Le sentiment d’appartenance à l’Union européenne, même mis à mal par les récentes tensions, demeure profondément ancré — en particulier chez les jeunes Italiens tentés par l’émigration.
L’Italie est loin de vouloir couper les amarres avec l’UE ou l’euro, comme le soulignait Jim Rickards dans Alerte Guerre des Devises :
L’Italie est un pilier de l’Union européenne et de la Zone euro, tout comme l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. Quitter l’euro est pratiquement inconcevable en toutes circonstances. En fait, le peuple italien soutient l’euro car il se souvient de la triste époque de la lire italienne et de l’épargne ponctionnée par le gouvernement via de continuelles dévaluations de la lire.
La situation en Italie est bien moins précaire que celle de la Grèce lors de la crise de la dette souveraine, en 2010-2015. Lorsqu’est venu le moment de la confrontation, en juin 2015, la Grèce a choisi de rester au sein de la Zone euro et d’accepter l’austérité, au lieu de revenir à la drachme grecque. Les Italiens feront de même, tout en subissant bien moins d’austérité que les Grecs.
A court terme, le risque de voir l’Italie quitter la Zone euro est donc extrêmement réduit. Ce qui n’empêche pas les marchés de se faire des frayeurs quant au résultat du référendum de dimanche. Pourquoi ?
Tout d’abord, parce que les commentaires financiers sont dominés par un point de vue anglo-saxon, dont ceux du Financial Times, qui ont tendance à lire la situation italienne à la lumière du Brexit ou de la victoire de Trump. Au risque de me répéter, l’Italie n’est pas le Royaume-Uni et Cinque Stelle n’est pas Trump.
Voilà donc une première raison à l’inquiétude de ces dernières semaines.
La seconde, qui me paraît plus profonde et justifiée, est que la question à se poser n’est pas « l’Italie veut-elle quitter l’euro ? » mais « l’euro peut-il survivre à l’Italie ? ».
Les marchés craignent l’Italie
Du point de vue des marchés, la fragilité de l’Italie se résume en deux termes : banques et dettes.
Du côté des banques, le sauvetage de Monte dei Paschi di Siena et de quatre autres plus petites banques n’est toujours pas réglé. L’Italie espérait une aide supplémentaire et directe de la BCE ou de la Zone euro ; l’Allemagne s’y est opposée. Le problème Monte Paschi n’est donc toujours pas réglé et la possibilité d’un bail-in (sauvetage des actionnaires et des détenteurs d’obligation) se précise.
Or la grande spécificité du cas bancaire italien est qu’une bonne partie des créanciers des banques sont des particuliers, de petits épargnants, qui se sont fait refourguer des produits risqués par des conseillers bancaires mal informés ou peu scrupuleux.
Le référendum vient un peu plus compliquer le sauvetage de Monte dei Paschi et consorts, comme l’expliquait très bien mon collègue Gilles Leclerc dans La Bourse au quotidien :
Monte dei Paschi (BMPS) à elle seule devait officiellement avoir besoin de cinq milliards d’euros à court terme. Et certainement beaucoup plus à moyen terme car elle détient des prêts irrécouvrables à hauteur de 50 fois sa capitalisation (vous avez bien lu).
Maintenant, accrochez-vous.
Pour essayer de se sortir de là, Monte dei Paschi a un plan génial : il consiste (entre autres) à lancer une opération de conversion d’obligations en actions. Et pour les refourguer à qui (respirez profondément et détendez-vous) ? Les principaux souscripteurs de cette augmentation de capital sont : Deutsche Bank, HSBC ou encore JP Morgan… Un joli brelan d’as (de la finance) donc. Avec en tête la Deutsche Bank, la banque systémique par excellence et qui est en train de jouer sa survie en essayant de négocier l’amende record infligée par la justice américaine !
Il faut dire qu’échanger des obligations qui risquent de ne rien valoir à terme — la banque est quand même en situation de faillite – contre des actions d’une entreprise — qui est en train de faire faillite –, ça a au moins le mérite de faire durer le suspense et de faire tourner le commerce.
Bref. Un « non » au référendum pourrait remettre en question et faire avorter le plan de renflouement de Monte dei Paschi, les banques trouvant là un prétexte pour se retirer car jugeant trop risqué de s’investir dans ces conditions. La bonne excuse, vous l’aurez compris. Car ni elle — ni vous, ni moi d’ailleurs — n’avons envie de renflouer une banque qui fait faillite.
« L’augmentation de capital des banques italiennes prévue juste après le référendum pourrait être encore plus difficile qu’actuellement en cas de victoire du non » prévient Lorenzo Cordogno, ancien chef économiste au Trésor italien.
La participation probable au pouvoir de partis ostensiblement hostiles à Bruxelles étant loin de les rassurer. Sans le soutien de Bruxelles et de la BCE, cela pourrait donc très mal tourner pour les banques, leurs actionnaires et malheureusement leurs clients.
Une faillite bancaire en Italie fera donc des victimes directes parmi la population. Et augmenter le soutien à des partis comme le M5S qui font justement campagne pour dénoncer les errements de la finance internationale en général et du système bancaire italien en particulier.
La question du sauvetage des banques italiennes va plus loin qu’une simple affaire nationale : le règlement de ce problème est un test grandeur nature sur la capacité de la Zone euro à s’entendre, à faire des compromis, à trouver des solutions communes. Les marchés testent donc la capacité de résistance de la Zone et les capacités d’action de la BCE.
Une dette qui n’arrange rien
L’endettement de l’Etat italien est l’autre point noir de toute cette affaire. A 130% du PIB, il met le pays dans une position fragile face aux marchés obligataires : une hausse des rendements sur les taux italiens, et c’est le poids de la dette qui s’alourdit d’autant.
C’est exactement ce qui s’est passé depuis mi-novembre : le rendement des obligations italiennes s’est envolé, passant de 1,4% à 2,1%.
La BCE peut difficilement demeurer les bras croisés devant un tel emballement. Elle s’apprêterait à acheter plus d’obligations italiennes en cas de victoire du « non » afin d’éviter une nouvelle envolée des rendements. La nouvelle, qui a fuité mardi dernier via Reuters, a suffi à calmer pour un temps les investisseurs.
Reste à savoir ce qui se passerait en cas d’alignement néfaste en Italie : gouvernement de transition + montée de la contestation anti-euro + échec des plans de sauvetage des banques italiennes (et donc bail-in et peut-être même bail-out) + montée des rendements obligataires…
L’euro peut-il survivre à l’Italie ?
Vous l’aurez compris, une sortie de l’Italie à court et même moyen terme n’est pas le scénario que nous privilégions.
Par contre, l’Italie joue le rôle de révélateur des faiblesses persistantes de la Zone euro. Elle rappelle que le mécontentement monte, que la BCE a du mal à appliquer une politique claire et identique pour chaque pays membre. Elle souligne que la question des banques européennes – qu’elles soient italiennes, espagnoles, grecques, françaises ou allemandes – n’est toujours pas réglée. Elle nous oblige à nous souvenir que l’endettement excessif rend les pays extrêmement sensibles aux mouvements d’humeur des marchés obligataires. Et enfin, elle met cruellement en lumière le manque de volonté politique et économique commune de la Zone euro, les limites de la solidarité entre pays membres.
Voilà ce qui, à terme, pourrait faire exploser l’euro.
[NDLR : Les jours de l’euro sous sa forme actuelle sont comptés si les rendements montent en dehors de la Zone euro. Il n’y aura plus que la BCE comme acheteur des emprunts européens et la fuite devant la monnaie commencera. Votre banque résistera-t-elle, votre assurance-vie est-elle menacée ? Pour connaître les réponses et les solutions pour préparer votre patrimoine à encaisser le choc, c’est ici.]