Je suis reconnaissant envers ceux qui nous ont quittés. Je n’ai jamais été aussi déprimé qu’à la mort de mon père. Je ne peux même pas imaginer ressentir de nouveau cette souffrance un jour.
Cela fait plus de dix ans qu’il est décédé.
Je suppose que je m’en suis remis. Je suppose que lorsqu’une personne est vieille, fatiguée, soucieuse et effrayée, elle finit par mourir.
Malgré tout, cela m’a rendu vraiment triste à l’époque. Et il n’y avait rien à faire.
Il allait mourir et je le savais.
Statistiquement, je suis immortel. Je vis depuis près de 18 000 jours. Quelle est la probabilité que je meure demain ou après-demain ?
Il doit y avoir une chance sur 18 000. En plus, je suis quelqu’un de très chanceux, à tel point que je ne me porterai même pas malheur en le disant. Dans ce cas, il se peut que je n’aie qu’une chance sur 50 000 de mourir demain.
Au vu de ces probabilités, je crois bien que je vais vivre éternellement.
Hélas, mon père n’avait pas autant de chance. Il était angoissé, en surpoids et il buvait un peu trop. Et surtout, il était en pleine querelle liée à des questions d’argent.
Il a eu une attaque au beau milieu de cette dispute.
Pendant les deux années qui ont suivi, il est resté alité, ses yeux grands ouverts fixant le plafond. Il a eu des escarres. Il a eu une pneumonie. Il a eu une crise cardiaque. Puis, il est mort.
Je peux donc raisonnablement dire que les chances n’étaient vraiment pas de son côté. Depuis, je me suis juré d’éviter toute querelle liée à l’argent. Cela ne vaut pas la peine d’angoisser et de mourir pour ça.
Cependant, aujourd’hui, je lui suis reconnaissant de ce qu’il m’a appris et des leçons que j’ai tirées de son décès. Je lui dois chacune de mes réussites ; je n’y serais pas parvenu sans tous ses enseignements.
1) L’HONNÊTETÉ
Quand j’avais 16 ans, je travaillais comme livreur de journaux. Un jour, j’ai demandé à une fille que je croisais lors de mes tournées de sortir avec moi. Elle s’appelait Beth Mosesman. Je n’ai pas honte d’écrire son véritable nom. À cet âge-là, je tombais facilement amoureux, et j’étais amoureux d’elle.
Elle m’a répondu « non » en claquant la porte.
Je touchais mes pourboires le samedi. Un jour, un type m’a remis un billet de 20 dollars au lieu des cinq dollars qu’il me donnait habituellement.
Je suis rentré chez moi à vélo et j’ai annoncé à mon père :
« J’ai reçu 15 dollars en plus ! Un homme m’a donné trop d’argent !
– Monte dans la voiture », a-t-il immédiatement répliqué. J’étais effondré, car je savais ce qui m’attendait.
Je voulais garder la monnaie, mais surtout, je ne voulais pas être humilié.
Nous nous sommes arrêtés devant la maison de l’homme qui m’avait remis les 20 dollars. Mon père m’a expliqué ce que je devais faire et est resté dans la voiture.
J’ai frappé à la porte d’entrée. Le fils a ouvert ; je le connaissais, il était dans le même lycée que moi. J’ai demandé à voir son père. Le garçon, perplexe, est allé le chercher.
« Oui, qu’y a-t-il ?
– Je suis désolé, ai-je répondu, mais vous m’avez donné trop de monnaie. Voici votre billet de 20 dollars. »
Lui aussi semblait perplexe. Il a pris les 20 dollars, mais ne comprenait pas du tout pourquoi je les lui rendais.
« D’accord, merci », a-t-il dit avant de fermer la porte. J’étais extrêmement gêné. J’avais l’impression de l’avoir volé, qu’il le savait et qu’à présent chaque silence flottant dans l’air me punissait de cette faute.
« C’est fait ? m’a demandé mon père quand je suis entré dans la voiture.
– Oui. »
J’ai oublié ce qu’il m’a dit ensuite. Ce n’était pas une formule pleine de sagesse que je peux répéter ici. Je ne m’en souviens absolument pas.
Mais les actions comptent plus que les mots, et il vaut mieux agir que lire. Les sentiments ont plus d’importance que les pensées.
Je me sentais odieux. Je me sentais honteux. Je ne crois pas que je me « sentais » honnête, car je ne suis pas certain qu’il s’agisse d’un sentiment.
Pourtant, cet après-midi-là, je m’étais montré honnête. Et j’espère que je le suis encore aujourd’hui.
Comme le dit souvent mon ami Jim Kwik, « la manière dont on réagit dans une situation en dit long sur notre attitude le reste du temps ».
2) LA CHARITÉ
À ma connaissance, mon père n’a jamais fait de don à aucune association caritative.
Un jour, il m’a pourtant dit ceci : « Faire preuve de générosité de manière anonyme est la meilleure chose que tu puisses faire. »
Je ne sais pas si c’est un principe qu’il a lui-même appliqué dans sa vie. En fait, je ne crois pas. J’aurais eu une meilleure histoire à raconter.
Si vous voulez vous montrer généreux tout en gardant l’anonymat, voici ce que je vous conseille :
- Cherchez une « mission ». Quelqu’un à aider. Peut-être un ami ou un collègue qui aurait besoin d’un coup de main. Deux personnes que vous pouvez mettre en contact. Un service que vous pouvez rendre. N’importe quoi.
- Faites de votre mieux pour déterminer comment accomplir votre mission de manière anonyme.
Je ne sais pas quoi vous dire d’autre. Il est difficile de trouver une MISSION et de PASSER À L’ACTION.
FAITES-LE.
3) L’OPTIMISME
Mon père était si optimiste que je pensais qu’il était un peu bête, un peu naïf. Même quand il a fait faillite (j’ai hérité de son incroyable aptitude à faire faillite), son optimisme est resté intact.
« Je vais les poursuivre en justice et remonter la pente », a-t-il répété pendant un an.
Il ne disait pas cela avec colère, mais avec espoir. Il avait fini par me convaincre.
« Je vais créer une nouvelle entreprise », a-t-il affirmé pendant deux autres années. Il avait un vague projet qu’il ne pouvait pas expliquer, mais il en parlait à tout le monde.
Il disait : « Je vais devenir agent immobilier. » Et il l’est devenu, mais parfois, l’agence immobilière ne le payait pas.
Je ne l’ai jamais vu hausser la voix de toute ma vie. Pourtant, il criait apparemment sur son patron, dans l’agence immobilière, quand il a eu son attaque.
Il a prononcé ses derniers mots avec ma mère, sur le trajet de l’hôpital. Du moins, je crois qu’il s’agissait de ses derniers mots. Il a dit que sa tête lui faisait « très, très mal ». Pendant les deux années qui ont suivi et jusqu’à sa mort, il n’a plus été capable de parler.
J’ai pris conscience de son optimisme d’une autre manière.
Quand j’étais jeune, il m’écrasait aux échecs. Avec le temps, je me suis amélioré. J’ai alors compris sa façon de jouer et vu à quel point son optimisme était idiot.
Il ne faisait qu’attaquer, encore et encore. Il lançait toutes ses pièces contre moi. À chaque partie, j’avais l’impression d’être face à un ouragan que je devais traverser pour arriver de l’autre côté.
En progressant, j’ai réussi à me défendre contre ses attaques. Finalement, j’ai commencé à remporter chacune de nos parties.
Il ne se rendait jamais compte du moment où le cours du jeu s’inversait et où ses assauts n’avaient plus d’effet. Alors, je le prenais par surprise et gagnais la partie, en sachant pertinemment qu’il ne cesserait jamais d’attaquer.
Il se grattait la tête en se demandant : « Comment ai-je fait pour perdre ? Mes coups étaient si puissants.
– Ils l’étaient, répondais-je. J’étais vraiment mal parti. Je ne sais pas comment je m’en suis sorti. » Et nous commencions un nouveau duel, car rien n’est plus plaisant que de battre son nigaud de père à son jeu préféré.
Un autre jour, à l’époque où je travaillais pour la chaîne HBO comme « analyste-programmeur junior », j’ai eu une idée que mon chef, son chef ou le chef de son chef n’aimait pas.
« Va voir le PDG », a naïvement dit mon père.
C’est ce que j’ai fait. Et ça a marché. Le PDG a déclaré : « C’est l’avenir. Allez-y ». Cet instant a changé ma vie.
Grâce à l’optimisme de mon père, je ne me suis jamais dit : « Tu ne peux PAS le faire. » C’est pourtant le crédo de nombreuses personnes.
Moi, je peux le faire. Je peux faire tout ce que je veux.
4) L’ÉCRITURE
Un jour, je devais écrire une dissertation, mais je ne savais pas par quoi commencer ni quel sujet choisir. Je regardais ma feuille sans la moindre idée en tête.
« Tiens, m’a dit mon père. Lis ça. » C’était La Montagne magique de Thomas Mann. Je ne me souviens pas d’un seul mot de ce livre horrible, mais j’ai rédigé ma dissertation et obtenu un A. Mon professeur d’anglais l’a lue à toute la classe.
Plus tard, quand j’étais à l’université, j’ai eu un devoir à rendre pour mon cours d’introduction à la sociologie. Je séchais complètement. Je ne savais absolument pas quoi écrire.
« Tiens, m’a dit mon père. Lis ça. » Il m’a donné un article qu’il avait vu dans une revue scientifique consacrée à la sociologie.
Je ne me souviens pas de l’article en question. Et je ne sais pas du tout ce que mon père faisait avec une revue scientifique.
J’ai néanmoins lu cet article. Mon blocage a disparu et j’ai rédigé mon devoir, pour lequel j’ai obtenu un A+.
Aujourd’hui, chaque fois que je dois écrire, je commence par lire quelque chose. Je cherche d’abord l’inspiration, puis je me lance. Je fais cela tous les jours depuis 1989.
Mon père m’a montré où puiser l’inspiration et comment trouver la motivation. C’est ce qui met le moteur en marche et aide à déterminer le chemin à suivre avant de se lancer.
5) LA TRISTESSE
Lorsque mon père a eu son attaque, j’ai vraiment été très triste. Pour des raisons que j’ai probablement expliqué un milliard de fois auparavant, je ne lui avais pas parlé au cours des six mois précédant son attaque.
C’est ma sœur qui m’a appelé pour me demander de venir à l’hôpital.
Après avoir raccroché, je suis allé me coucher parce que je savais que la journée qui m’attendait le lendemain serait éprouvante. J’allais rendre visite à mon père, voir ma famille plongée dans la tristesse, essayer de savoir s’il allait s’en tirer. Il ne s’en est pas tiré. Il n’a plus jamais prononcé un mot.
Je me sentais si triste, étendu sur mon lit. Comme un trou noir auquel aucune lumière ne pouvait échapper.
Peu importe qui vous êtes ou l’âge que vous avez, vous pouvez devenir orphelin. C’est ce qui était sur le point de m’arriver.
Quelqu’un m’a suggéré un moyen de me remonter le moral, mais je n’en avais pas envie. Je n’étais pas déprimé, j’étais triste.
Et on a le droit d’être triste.
Une amie m’a expliqué récemment que plus la souffrance que l’on pouvait ressentir était grande, et plus on était capable de faire preuve de compassion. C’est valable aussi dans l’autre sens.
Je lui ai répondu : « Intéressant ! Je vais te piquer cette idée de lien entre souffrance et compassion. »
Ce à quoi elle a répliqué : « C’est la tienne ! »
Nul besoin de fuir la tristesse ou de croire qu’on ne devrait accepter que le bonheur. C’est la fausse promesse du développement personnel.
À mon avis, mener une vie authentique implique non seulement de profiter pleinement du bonheur dans les moments heureux, mais aussi de ressentir sincèrement de la tristesse quand des malheurs surviennent.
En vivant l’un sans l’autre, on ne vit qu’à moitié.
Un jour, mon père a été opéré. J’avais huit ans. J’ai fait suffisamment de bruit pour le réveiller alors qu’il devait se reposer.
Il m’a ordonné de me tenir debout au milieu de la pièce et de ne pas bouger, puis il a appelé ma mère et lui a demandé de me gifler – ce qu’elle a fait.
J’ai ensuite passé le reste de la journée enfermé dans ma chambre.
À l’époque, j’ai pensé (et je continue de le croire aujourd’hui) que je méritais cette gifle à cause du bruit que j’avais fait et qui gênait sa convalescence.
Pourtant… je ne sais pas, il est difficile de savoir ce qui est juste et ce qui ne l’est pas hors du cercle familial. Les parents sont si grands et on est si petit quand on est jeune.
Quand j’ai fait faillite pour la première fois, j’ai appelé mon père. J’étais en pleurs et je répétais : « J’ai tout gâché. » J’avais si peur, et tout allait de travers.
J’avais l’impression d’être le pire des imposteurs. Que ma vie était fichue. Qu’il vaudrait mieux pour mes enfants que je sois mort. Je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer.
« Ça va aller, m’a-t-il dit. Les choses vont s’améliorer. »
Il avait raison. Elles se sont améliorées.