Le casino gagne toujours dit l’adage populaire.
Alors que la Coupe du monde de football 2018 exhume les instincts spéculatifs des plus réfractaires – au jeu ou au ballon rond –, le secteur des paris sportifs a déjà raflé la mise.
La plateforme de pronostics gratuite Mon Petit Prono, petite soeur du leader français des jeux de fantasy football Mon Petit Gazon, a réussi à conquérir en quelques semaines 800 000 parieurs en herbe – dont une bonne partie s’affronte sur la moquette des bureaux d’entreprise.
Si Mon Petit Prono n’empoche pas d’argent provenant de paris et se rémunère grâce à la publicité et aux options payantes, la FDJ quant à elle espère accueillir 500 000 nouveaux parieurs en 2018 et la frénésie actuelle devrait porter ses bénéfices à quelques 200 millions d’euros en fin d’année.
Rien qu’en France, les mises devraient avoisiner les 700 millions d’euros pendant la compétition – 50 milliards au niveau mondial.
Sans jouer à l’expert de l’analyse footballistique, on peut affirmer sans crainte que tout Warren Buffett du pronostic sportif aurait été pris à contrepied dans ce Mondial qui a déjà réservé son lot de surprises.
Le casino s’en frotte les mains.
James, lui, a longtemps joué au poker. Certes, on y apprend à réduire la part d’aléatoire en s’immergeant dans de délicats calculs de probabilités ou en usant de coups de bluff salvateurs. Mais en fin de compte, il y a toujours deux vainqueurs : celui à qui la chance a tout de même plutôt souri et qui gagne la partie, et celui qui l’a organisée. Le premier, emporté par sa témérité, son imprudence ou son addiction, étant parfois tenté de remettre sa mise en jeu lors de la prochaine partie.
Ainsi, il souhaitait revenir avec nous sur cette période pendant laquelle le poker a occupé ses jours et ses nuits.
Un temps révolu fort heureusement, duquel il tire des enseignements qui pourraient trouver un écho salutaire dans nos vies – et particulièrement dans notre rapport à l’argent.
J’ai passé 365 jours à jouer au poker en 1998 et en 1999, y compris la nuit où mon premier enfant est né. Et le jour de mon anniversaire, et celui de mon anniversaire de mariage. Et aussi Noël et Pâques, et toutes les fêtes qui ont eu lieu pendant cette période.
Je jouais au Mayfair, sur 24th Street, et au Diamond Club sur 20th Street – tous deux des clubs illégaux. Le Mayfair fermait à 4h du matin et les joueurs restants allaient alors au Diamond, qui semblait toujours ouvert. En fin de compte, le maire Giuliani les a fermés tous les deux indéfiniment.
J’avais une maison à Atlantic City, où je jouais pendant les week-ends. J’y allais par hélicoptère les vendredis à 17h, puis je rentrais le dimanche soir. De temps en temps, j’allais jouer à Las Vegas. C’était avant le poker sur Internet ou à la télévision, et avant que le secteur ne brasse autant d’argent qu’aujourd’hui.
Les seuls moments où la vie avait un peu de couleur pour moi, pendant cette période, c’était lorsque j’étais assis à une table avec des jetons devant moi, que les cartes étaient distribuées, et que des gars n’ayant rien d’autre à faire de leur vie plaisantaient entre eux pendant qu’ils tentaient de se dépouiller mutuellement.
Voici ce que j’en ai retenu.
A. Tous ceux à la table sont vos amis mais tous mentent dans le but de vous voler votre argent
Je voulais être entouré de ces types malpropres plus que je ne voulais être auprès de ma femme et de mon nouveau-né. Plus que je ne voulais être entouré de vrais amis. Plus que je ne voulais être auprès de mes collègues de travail ou de ma famille. Je ne sais pas pourquoi. Quelque chose n’allait pas chez moi. Toute la journée, je lisais des livres sur le poker et toute la nuit, je jouais. Je sentais, pour la première fois depuis des années, que j’avais une bande de « potes ». Comme si je faisais partie du club.
Voici le problème. Nous étions tous amis mais nous passions nos nuits à mentir et à essayer d’arracher de l’argent aux autres.
On pourrait penser : « Bah, ce n’est qu’un jeu. » Mais j’ai vu certains de mes amis perdre tout ce qu’ils avaient, pleurer, supplier, voler. Personne n’aimait perdre tout son argent. J’ai vu des avocats radiés du Barreau pour tentative de vol, parce qu’ils avaient besoin d’argent pour jouer. J’ai vu des gens fuir le pays après avoir perdu l’argent du fisc en jouant au poker.
Personne ne s’en inquiétait vraiment. Un des gars arrêtait de venir, et puis il tombait dans l’oubli. Personne ne se souciait vraiment de moi. Nous étions amis. Jusqu’à ce que nous ne le soyons plus. Et puis c’était tout.
B. Si vous vous retrouvez à jouer à un jeu toute la journée – que ce soit Angry Birds, le poker ou les échecs – demandez-vous : est-ce que quelque chose ne va pas dans ma vie ?
J’étais heureux d’avoir vendu mon entreprise, mais peut-être n’étais-je pas heureux d’être redevenu salarié. Ou peut-être n’étais-je pas heureux dans mon mariage. Ou peut-être encore que le fait de n’avoir plus que des amis de travail me contrariait, et le fait d’avoir perdu tous mes autres amis.
L’addiction est un symptôme. Trouvez-en la racine réelle.
Au passage, un joueur n’est pas forcément dépendant. Certains gagnent bien leur vie à ces jeux. À vous de déterminer si vous êtes professionnel ou dépendant. Les professionnels gagnent leur argent grâce aux joueurs dépendants, lesquels gagnent leur argent grâce aux amateurs.
C. Au poker, il faut s’asseoir à la gauche de la personne la plus riche et la plus bête de la table (c’est vrai pour beaucoup de manières de gagner de l’argent)
Il mise et vous relancez, quelle que soit votre main. Les autres quittent la partie jusqu’à ce qu’il ne reste plus que vous deux. À terme, vous finirez par récupérer tout son argent. C’est vrai dans tous les domaines des affaires.
D. Le poker est un jeu de stratégie qui se présente comme un jeu de hasard
C’est le cas de beaucoup de choses dans la vie : les ventes, les négociations, l’entrepreneuriat… Toutes ces choses contiennent un élément de hasard, mais ceux qui ont une stratégie prendront l’argent de ceux qui n’en ont pas.
Le problème, c’est qu’il est difficile d’être lucide sur soi-même ; la plupart des gens pensent donc être bons, et beaucoup sont dans le déni lorsqu’ils perdent de l’argent. Ils disent aux autres : « Oh, j’ai fini à égalité », alors qu’ils ont passé la majorité de la nuit à perdre de l’argent.
Voici comment vous pouvez vous améliorer à un jeu de stratégie :
- lisez autant de livres que vous le pouvez, écrits par des joueurs plus forts que vous ;
- étudiez les différentes mains, mais aussi les analyses de ces mains ;
- étudiez et réfléchissez à vos erreurs. Ne les regrettez pas. Vous en ferez toujours. Plus vous êtes bon, moins vous en ferez. La seule façon de progresser est d’analyser minutieusement vos erreurs. Si bien que plus vous faites d’erreurs, plus vous avez d’occasions de progresser. Bien sûr, cela s’applique à tout ce que vous faites dans la vie ;
- parlez à des gens plus intelligents que vous. Essayez d’en apprendre tout ce que vous pouvez.
D. Soyez la banque
Une fois, j’étais à Atlantic City et je jouais à une table avec l’un des meilleurs joueurs que je connaisse, Joe.
Un autre type à la table avait besoin de jetons. Joe lui a dit : « Je te vends quelques-uns de mes jetons. » Le gars lui a filé de l’argent, et Joe lui a vendu des jetons (une activité normalement illégale à Atlantic City, mais il était 4h du matin et tout le monde s’en fichait).
J’ai plus tard demandé à Joe pourquoi il l’avait fait. Il m’a répondu : « Il faut toujours jouer le rôle de la banque. Si tu es la source de tout ce qui se passe à la table, tes adversaires ont plus de mal à miser contre toi. »
C’est une version étrange de « il faut donner pour recevoir », mais ça marche.
En septembre 1999, exactement un an après que j’aie commencé à jouer, j’ai arrêté.
J’ai lancé une autre entreprise, et j’y ai perdu des millions.
Peut-être que j’ai réalisé alors que toute la vie est une partie de poker où la mise est élevée. À chaque tour, on risque de perdre tout ce pour quoi on a travaillé.
Ou peut-être la dernière chose que j’ai apprise, c’est que tout est un jeu. Au bout d’un moment, vous pouvez arrêter de jouer.