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Malgré un marché en pleine croissance (lié en grande partie au vieillissement accéléré de la population), les entreprises pharmaceutiques sont extrêmement réticentes à se lancer dans la recherche de nouveaux traitements contre la maladie d’Alzheimer. En cause ? L’énorme taux d’échec enregistré par les candidats-médicaments ces dernières années. Plus de 98% d’entre eux ne sont pas parvenus à démontrer leur efficacité.
Face aux hésitations des pharmas, et à l’évident manque de traitements, la plupart des pays occidentaux ont lancé des plans de soutien à la recherche contre Alzheimer.
En France, le plan Alzheimer 2008-2012 (1,6 milliard d’euros dont 200 millions dédiés à la recherche) a été complété par le Plan Maladies Neuro-Dégénératives 2014-2019 (470 millions d’euros dont une partie consacrée à la recherche).
Aux Etats-Unis, le président Obama a lancé en 2011 un ambitieux plan de lutte contre Alzheimer puisqu’il fixait comme objectif la découverte d’un traitement efficace d’ici 2025.
Plusieurs dizaines de millions ont été mis sur la table depuis cette date, mais sans réelles avancées thérapeutiques. La journée mondiale Alzheimer qui a eu lieu la semaine dernière a été une nouvelle fois l’occasion de rappeler que nous étions encore loin du compte, non seulement dans la prise en charge des malades (et de leurs familles), mais aussi d’un point de vue thérapeutique.
Mais revenons à la recherche, car c’est de ce domaine que va venir une partie des améliorations du sort des malades.
Comme je vous le disais dans mon précédent article, et de manière volontairement caricaturale, la recherche se concentre actuellement autour de deux causes possibles de la maladie d’Alzheimer. D’un côté, les plaques amyloïdes et, de l’autre, la protéine Tau. Parmi les adeptes de la première théorie, on compte de grands laboratoires pharmaceutiques comme Pfizer mais aussi Eli Lilly.
Alzheimer, une histoire de plaques ?
Une partie active de la recherche contre la maladie d’Alzheimer est aujourd’hui focalisée sur la peptide bêta-amyloïde. Cette protéine est naturellement présente dans le cerveau mais a tendance, au fil des années et sous l’influence de facteurs que nous connaissons mal, à s’accumuler en plaques entre les neurones.
Ces plaques amyloïdes seraient toxiques pour le cerveau et pourraient être un des facteurs de déclenchement de la maladie d’Alzheimer. Une hypothèse encore très discutée par la communauté scientifique.
Reste que la piste est aujourd’hui activement explorée. Le Solanezumab, un traitement développé par Eli Lilly, est un anticorps qui permettrait de ralentir la formation des plaques amyloïdes, mais uniquement chez les patients présentant un stade très précoce de la maladie. Des premiers essais, publiés en 2012, n’avaient au premier abord pas démontré d’efficacité par rapport au groupe sous placebo. En reprenant les résultats, les chercheurs se sont rendu compte que l’effet était plus significatif sur les cerveaux présentant un stade encore très précoce de la maladie.
Une étude sur des patients humains est donc en cours depuis l’année dernière, et les résultats devraient être connus en octobre 2016.
Un bémol malgré tout : en mars dernier, Eli Lilly annonçait une modification des objectifs de ses essais cliniques, qui allaient se concentrer sur les effets du Solanezumab sur les troubles cognitifs des patients (trous de mémoire…), plutôt que sur leur capacité à gérer la vie quotidienne (hygiène, capacité à se faire à manger etc.). Une telle modification est rare et laisse sous-entendre qu’Eli Lilly craint d’avoir quelques difficultés à démontrer l’efficacité de son traitement. Des résultats à attendre donc avec prudence.
Autre traitement du même genre et lui aussi en Phase 3 des essais cliniques : l’Aducanumab de Biogen. Ces essais cliniques se concentrent sur les patients atteints de formes très précoces d’Alzheimer. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais là encore, les résultats préliminaires laissent craindre des résultats définitifs peu concluants.
La recherche étudie en parallèle une autre piste, celle d’une enzyme, la bêta-sécrétase (BACE), qui joue un rôle dans la formation des plaques amyloïdes dont je vous parlais plus haut. Certains laboratoires tentent donc de développer des inhibiteurs de bêta-sécrétase, qui permettraient de ralentir la formation de plaques.
Plusieurs inhibiteurs de ce genre sont en cours d’essais cliniques : le Verubecestat de Merck (les résultats des essais de Phase 3 sont pour bientôt), le Lanabecestat d’Astra Zeneca et Eli Lilly, et le AMG 520 d’Amgen et Novartis (en Phase 1 des essais).
Enfin, toujours dans la même catégorie de traitements, des équipes s’intéressent à une autre enzyme, la MT5-MPP, une protéase qui jouerait elle-aussi un rôle dans la création des plaques amyloïdes.
La protéine Tau, l’alpha et l’oméga d’Alzheimer ?
D’autres recherches se concentrent quant à elles autour de la protéine Tau, pour Tubule-associated unit. Cette protéine s’accumule progressivement et de manière anormale dans les régions du cerveau touchées par la maladie d’Alzheimer (celles où la dégénérescence des cellules nerveuses est importante). En outre, cette protéine se propage de neurone en neurone et contribuerait, ainsi, au développement de la maladie.
Ces découvertes, faites à partir de la fin des années 2000, ont permis l’émergence d’un nouveau modèle explicatif à la maladie d’Alzheimer, en plus de celui reposant sur les plaques amyloïdes.
La protéine Tau joue, à la base, un rôle important dans la protection de nos neurones, et plus particulièrement de l’enveloppe qui les entoure (les microtubules). Des études (en particulier françaises) menées au début des années 2010, ont démontré que cette protéine pouvait protéger l’ADN de nos neurones quand ceux-ci sont soumis à un stress.
Mais sous une forme déficiente, cette protéine (on dit alors qu’elle présente une phosphorylation anormale) ne joue plus son rôle, détruit les microtubules et endommage les neurones — ce qui aurait une influence sur le développement de la maladie.
Un vaccin qui vise et détruit la forme anormale de protéine Tau, le AADvac1 développé par la biotech slovaque Axon Neuroscience, est passé cet été aux essais de Phase 2. Un vaccin et des essais très suivis et dont le résultat est très attendu.
Les deux, mon capitaine ?
Les deux grands modèles explicatifs ne s’excluent pas forcément. Ils peuvent se compléter, et c’est ce que proposent les chercheurs qui soutiennent que la maladie d’Alzheimer est provoquée par une réaction immunitaire du cerveau à la fois aux plaques amyloïdes et au mauvais fonctionnement de la protéine Tau.
Cette réaction immunitaire se ferait en premier lieu dans les cellules de la microglie (les cellules de notre cerveau et de notre moelle épinière chargées d’une partie de notre défense immunitaire). La sur-réaction de la microglie provoquerait une inflammation qui pourrait endommager les neurones. Tout ceci est encore très hypothétique mais une biotech, Cerespir, dispose d’un candidat-médicament, le CSP-1103, qui est en cours d’essais de Phase 1 et qui vise cette inflammation.
Nouvelles pistes ?
Une autre nouvelle piste pourrait s’avérer prometteuse, celle des antagonistes des récepteurs 5HT6. Les récepteurs 5HT6 sont les derniers récepteurs de la sérotonine, et pourraient jouer un rôle important dans nos fonctions cognitives. Une piste qui est explorée par des essais cliniques en cours, mais qui vient d’être fragilisée par l’échec, annoncé le 23 septembre dernier, sur un antagoniste des récepteurs 5HT6 développé par la biotech danoise Lundbeck lors des essais de Phase 3.
L’autre piste à suivre est celle de la résistance aux effets de l’insuline développée, dans certains cas, par le cerveau et qui pourrait, là encore, avoir un lien dans le déclenchement de la maladie d’Alzheimer. Les diabétiques auraient en effet 50% de plus de chances de développer cette maladie. Une étude en cours tente donc d’explorer les effets d’inhalations d’insuline sur la progression de la maladie.
Le diagnostic précoce, le grand espoir ?
Si la recherche pour un traitement efficace contre la maladie d’Alzheimer patine un peu, le diagnostic précoce représente actuellement le grand espoir dans le domaine. Nous l’avons vu, les traitements les plus prometteurs en cours d’essais cliniques pourraient avoir une influence sur les formes les plus précoces de la maladie, permettant de ralentir son évolution, voire permettant de préserver certaines fonctions.
Une étude menée aux Etats-Unis par le Dominantly Inherited Alzheimer Network porte sur une prise en charge extrêmement précoce de la maladie (autour de 30 ans) en leur administrant de manière préventive des médicaments dont je vous ai déjà parlé, le Solanezumab et l’Aducanumab. En effet, chez la plupart des patients, l’accumulation de plaques amyloïdes débuterait environ 15 ans avant l’apparition des premiers symptômes.
Une autre étude en cours menée par la biotech américaine Genentech s’intéresse aux porteurs d’un gène spécifique qui jouerait un rôle dans le déclenchement précoce (autour de 45 ans contre plus de 65 ans en moyenne dans le reste de la population) de la maladie d’Alzheimer. L’objectif de cette étude est non seulement de repérer les signes précoces de la maladie, mais aussi de tenter différentes méthodes de prévention. Les résultats ne seront pas connus avant 2020 mais pourraient ouvrir une nouvelle ère : celle de la prévention contre la maladie d’Alzheimer et autres maladies neurodégénératives.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Vous l’aurez compris vu la prudence que j’ai tenté de distiller tout au long de cette analyse : miser sur les biotechs et les pharmas qui ont dans leur pipeline un ou plusieurs traitements contre Alzheimer est un exercice particulièrement périlleux.
L’état actuel de la recherche me pousse à vous déconseiller, pour le moment du moins, d’investir sur une pure-player ou une biotech dont la survie dépend trop directement du succès de son candidat-médicament contre Alzheimer.