La France vient d’interdire toute transaction en espèces sur son territoire ; l’utilisation et la détention d’argent liquide seront sévèrement sanctionnées. Les guichets des banques françaises ne sont plus autorisés à distribuer/encaisser des espèces…
Scénario fictif ?
Pour l’instant oui. Mais nous nous acheminons lentement mais très sûrement vers une “société sans cash“. Une société sans argent liquide dans laquelle toutes les transactions seront numériques.
L’utopie des politiques et des banquiers est en train de devenir réalité.
La Suède est la plus avancée dans ce processus d’éradication des espèces. Là-bas vous ne pouvez même plus acheter votre billet de bus en liquide ; les entreprises et commerçants sont tous les jours plus nombreux à refuser les paiements en espèces. Dans certaines villes, d’un commun accord, les guichets des banques ont décidé de ne plus distribuer de cash.
Sur ces questions, la France se veut fer de lance au coeur de l’Europe
Pierre Moscovici et Jérôme Cahuzac avaient déjà écrit une lettre aux commissaires européens préconisant la suppression des billets de 500 euros, ceux-ci étant “très répandus dans les trafics illicites”. Objectif affiché de nos deux ministres : lutter contre “les différentes formes de fraudes”, fraudes fiscales et blanchiment d’argent sale. Les coupures de 500 euros permettent de transporter discrètement de grosses sommes d’argent…
En février 2013 déjà, Jean-Marc Ayrault annonçait vouloir abaisser le plafond des paiements en espèces à 1 000 euros dès 2014 (contre 3 000 euros aujourd’hui). Je rappelle au passage que tout paiement de salaire supérieur à 1 500 euros est également interdit.
Michel Sapin, profitant de “l’effet Charlie”, tient un argument choc pour faire passer aujourd’hui cette mesure. Il faut couper le financement du terrorisme. Parmi les mesures annoncées :
- dès le 1er septembre 2015, vos achats en espèces ne pourront dépasser 1 000 euros, contre 3 000 euros aujourd’hui ;
- votre banque devra signaler à Tracfin (service de renseignement financier), dès le 1er janvier 2016, “tout dépôt ou retrait d’espèce de votre part supérieur à 10 000 euros par mois“. Il n’y a à ce jour aucun seuil de déclaration automatique ;
- vous devrez obligatoirement présenter votre pièce d’identité pour l’échange de devises dont le montant sera supérieur à 1 000 euros ;
- et enfin, les transferts physiques de capitaux (par fret et fret express) devront être déclarés à la douane à compter du 1er janvier 2016, alors que jusqu’ici aucune déclaration n’était nécessaire.
Que dit la norme européenne ? Que font nos voisins ?
Pour la loi européenne : tout paiement en espèces de plus de 7 500 euros est suspect. Un paiement en espèces supérieur à ce seuil vous fait entrer dans le champ d’application du GAFI (Groupe d’action financière international de lutte contre la fraude fiscal, le blanchiment d’argent sale et le terrorisme).
En Belgique, le plafond des paiements en espèces a été ramené l’an passé de 15 000 à 5 000 euros.
En Grèce il est de 1 500 euros pour les personnes privées (3 000 euros pour les entreprises).
En Italie, Monti l’a abaissé déjà à 1 000 euros pour tous. En Espagne, le particulier ne peut plus faire de transaction en liquide supérieure à 2 500 euros…
Le mouvement vers une société sans cash est en marche. Ce n’est plus qu’une question de temps.
Les populations acceptent. Pourquoi ?
Parce que les raisons évoquées pour justifier ces décisions sont louables (lutte contre le blanchiment d’argent et lutte contre la fraude fiscale) ; et parce qu’il est aisé de faire l’amalgame entre argent liquide et argent sale… amalgame que nos politiques ne se privent pas de faire.
L’Allemagne, et quelques autres pays, font pour l’instant encore résistance. Outre-Rhin, on aime les grosses coupures et les espèces restent très utilisées. Tout peut être payé en liquide. C’est dans la culture.
Pourquoi vous êtes directement concerné
L’argent liquide, cash, est gratuit. L’argent numérique déposé en banque ne l’est pas : frais de garde, frais d’émission de chèques, frais de transactions de carte bancaire, frais de virement…. Les banques jubilent… Votre argent travaille pour elles, dans tous les sens du terme.
Vous ne pourrez donc plus vous affranchir du système bancaire (au sens large). Une forme de restriction de liberté malgré tout…
Finie la “liberté de faire” sans marquage. Grâce aux paiements électroniques ou chèques, vos transactions sont exhaustivement tracées et archivées. Votre petit espace de liberté et d’intimité se réduit.
Un jour viendra où détenir des espèces fera de vous une personne suspecte. Les propos du ministre des Finances allemand Schäuble, qui qualifie les espèces de “moyen de paiement non-transparent” vont dans ce sens. D’ailleurs, vous tombez dans le champ des GAFI et TRACFIN dès que vous franchissez les seuils de paiement cash autorisés. Pas besoin pour cela d’être un trafiquant de drogue, un dangereux terroriste ou un fraudeur fiscal de haut vol.
Oui, les intentions de nos politiques (lutte contre la fraude) sont louables. Mais pourquoi n’y a-t-il pas de débat autour de ces sujets dans nos sociétés ?
Un grand avantage pour l’Etat
Etre en capacité de contrôler et traquer tous les mouvements financiers donne à l’Etat des pouvoirs accrus :
- il peut d’un coup empêcher la fuite des capitaux, si “besoin il y avait” ;
- il peut à tout moment élargir la base taxable avec une efficacité maximale ;
- il peut améliorer le rendement de la répression fiscale (emplois à domicile par exemple : tant de “manque à gagner” (liée à une hausse de la fiscalité) de ce côté-là ces dernières années…) ;
- il peut, si besoin, décider et mettre en oeuvre une forme d’expropriation (comme le prouve la décision unilatérale et sans préavis de mettre la main sur les dépôts chypriotes).
Plus l’Etat gagne en contrôle, plus nous perdons en liberté. Une tendance quelque peu liberticide, qui va à l’encontre du droit de disposer et de stocker comme on le souhaite des fruits de son travail.
Ce même Etat qui veut interdire à coup de loi aux mannequins dont l’indice de masse corporelle est inférieur ou égal à 18 de défiler (me voilà donc interdite de défiler si l’envie m’en prenait !).
Mais toutes ces réfléxions ne sont, bien entendu, qu’absurdes divagations. L’objectif de la société sans cashest la lutte contre l’argent sale, l’argent de fraude, l’argent du terrorisme… et elle est menée par des politiques au-dessus de tout soupçon.
4 commentaires
[…] Nous entrons dans ce qui sera bientôt une société sans cash […]
Merci pour ce passionnant article Isabelle
Pas plus belle la vie !!!!Merci beaucoup Isabelle
Très bon article, un peu inquiétant…Dernièrement je voulais retirer un montant important en espèces…je dois justifier le motif auprès de l’employée de banque, inscrit dans la demande…je veux aider de la famille dans un pays étranger où le système bancaire n’est pas développé et sûr…je n’ai pas envie d’étaler ma vie privée à une inconnue et donne un motif vague …je sais que la Banque fera un signalement (soupçon) à Tracfin. Dans quel monde a-t-on basculé sous couvert de lutte contre le financement du terrorisme ? Moscovici, Valls, Sapin….ces politiques me font penser aux néo-socialistes des années 30, qui ont adhéré au totalitarisme qui s’est ensuivi.