« Papa, tu connais des requins ? »
La question de mon fils est tombée comme un cheveu sur la soupe… et il m’a fallu une seconde pour comprendre ce qu’il voulait dire.
Non, pas celui-là…
Il voulait savoir si j’étais en relation avec les personnalités de l’émission de téléréalité américaine Shark Tank [NDR : littéralement, « la fosse aux requins », en français].
Chaque émission fait intervenir des citoyens ordinaires qui soumettent des idées d’entreprise et d’invention à un panel de riches entrepreneurs nommés « les requins » (« sharks« ).
Ces requins ont ensuite la possibilité d’investir dans l’idée, en contrepartie d’une participation dans l’entreprise ou d’un intéressement à ses revenus.
De temps en temps, je regarde cette émission avec mes enfants. Cela me sert de prétexte pour leur enseigner à gérer leur argent, à planifier un budget, et même à négocier.
Et même si ma société d’édition a travaillé avec quelques-uns de ces requins, je n’en ai jamais rencontré aucun, personnellement.
Mon fils a été déçu de le découvrir, car il avait une excellente idée à leur soumettre.
Débordant d’enthousiasme, il m’a confié qu’il faudrait créer des chaussures sans fil, connectées à l’application d’un jeu vidéo sur smartphone : ainsi, en portant ces chaussures et en marchant, en courant, en sautant ou en donnant des coups de pied, on ferait faire les mêmes gestes au personnage du jeu.
Naturellement, je ne veux pas étouffer sa créativité. Mais je lui ai tout de même dit que les requins de cette émission ne donnaient pas de l’argent à tous les gens qui ont des idées.
Ils recherchent des personnes ayant déjà consacré du temps et de l’argent à prouver qu’une idée était bonne. Ensuite, les requins investissent pour qu’elle soit encore meilleure.
Bref, j’ai dit à mon fils qu’il fallait qu’il se mette au travail : je lui ai suggéré d’apprendre le plus possible à coder, puis de trouver un algorithme lui permettant ensuite de créer cette application. Et cela lui a rendu le sourire.
Peut-être que cela va l’inspirer et qu’il tentera de faire de son rêve une réalité. À défaut, cela lui permettra d’acquérir des compétences précieuses qu’il pourra appliquer à d’autres idées.
Et s’il devait réaliser son idée, je lui apprendrais qu’il n’a pas besoin de participer à l’émission Shark Tank pour la faire décoller.
En fait, il existe d’innombrables investisseurs et entreprises à la recherche de jeunes entreprises prometteuses.
Certains de ces chasseurs sont même des sociétés cotées en Bourse, ce qui signifie que vous pouvez acheter des actions de ces entreprises, un peu comme si vous investissiez avec l’un des requins de Shark Tank.
Mais c’est surtout une façon de prendre une participation dans de jeunes entreprises non cotées dans lesquelles vous n’auriez jamais pu investir autrement.
Et surtout, bon nombre de ces chasseurs sont tenus de vous verser des dividendes… ce qui vous permet de percevoir de l’argent en attendant que les activités des jeunes pousses dans lesquelles ils investissent ne décollent.
[Lire aussi : Ma check-list pour investir sur les marchés non cotés]
Une porte ouvrant sur un monde inaccessible
Comme vous le savez peut-être, il est très difficile, pour les particuliers, d’investir dans des start-up, aussi prometteuses soient-elles, aux États-Unis.
Un si grand nombre de nouvelles entreprises fait faillite que la Securities and Exchange Commission (« SEC » : autorité des marchés financiers aux États-Unis) limite la possibilité d’y investir aux seuls « investisseurs accrédités » : ceux qui disposent d’une fortune de plus de 1 M$ (sans compter le domicile) ou d’un revenu annuel de plus de 200 000 $.
Toute personne correspondant à ces critères peut rechercher des start-up et y investir à titre personnel. Elle peut également investir dans un hedge fund, ou une société de capital-investissement, qui accomplit tout le travail fastidieux à sa place.
Mais si vous n’avez pas 1 M$ sous la main, vous n’avez aucun moyen d’investir dans ces start-up.
Vous connaissez peut-être quelqu’un qui essaie de créer une entreprise. Par exemple, si mon fils devait créer ces « chaussures intelligentes », je pourrais lui donner un peu d’argent pour financer sa toute première commande de fabrication, par exemple.
Bien entendu, cela signifie qu’il faut connaître quelqu’un qui a une idée cohérente… Et quand bien même, il faut suivre des règles très strictes.
Il existe une solution plus simple : investir dans des sociétés de capital-investissement cotées en Bourse.
Mais cela pose un problème, notamment : contrairement à ce qu’indique leur nom, les sociétés de capital-investissement n’investissent pas que dans des entreprises non cotées. Elles peuvent s’intéresser à l’immobilier, aux devises, à des instruments dérivés complexes ou à toute autre chose, voire même à des sociétés cotées en Bourse.
Et il existe un autre problème, dans la mesure où les sociétés de capital-investissement possèdent deux sources de revenus : l’argent qu’elles gagnent sur leurs investissements et les honoraires que leur versent leurs clients fortunés.
Alors acheter des actions d’une société de capital-investissement ne se traduit pas forcément par des gains réalisés sur une jeune société en plein essor.
Mais un certain type de société cotée en Bourse permet bel et bien de prendre une participation directe dans des entreprises non cotées…
C’est ce que l’on appelle une « BDC« , aux États-Unis, pour « business development company« . Et à l’époque où elles ont été créées, le but était de permettre aux États-Unis de se « sortir d’un certain pétrin ».
La meilleure chose que le gouvernement Carter ait produite
Si vous avez connu la fin des années 1970, vous vous rappelez probablement dans quelle situation économique se trouvaient les États-Unis.
Les sociétés n’affichaient plus de croissance, le chômage était endémique, et l’inflation s’était emballée.
Alors, bien entendu, les banques prêtaient de l’argent avec parcimonie, et seulement aux candidats les plus qualifiés. Et les investisseurs avaient peur d’investir dans tout ce qui ne garantissait pas au moins un modeste rendement.
Alors les petites entreprises avaient du mal à trouver les financements nécessaires.
À l’époque, Jimmy Carter était président des États-Unis. Et il faut lui reconnaître ce mérite : il savait que ce n’était pas en augmentant les dépenses publiques que la situation allait s’améliorer.
Au contraire, il a mis son électorat en colère en réduisant la fiscalité des entreprises afin de stimuler la croissance.
Il savait également que les start-up et les entreprises familiales étaient cruciales, pour déclencher une reprise économique. Alors en 1980, il a signé cette loi : le Small Business Investment Incentive Act. Entre autres choses, cette loi a créé les BDC, une nouvelle structure d’entreprise.
Une BDC constitue un pool avec les capitaux de ses investisseurs afin de financer de petites entreprises prometteuses, de même que les Real Estate Investment Trusts (les « REIT« ) créent un pool afin d’investir dans des biens et des prêts immobiliers.
Conformément à cette loi, au moins 70% des actifs d’une BDC doivent être investis dans des sociétés américaines dont la valeur est inférieure à 250 M$.
Les BDC peuvent prêter de l’argent à des entreprises plus modestes, et percevoir des intérêts jusqu’au remboursement du prêt. Ou bien elles peuvent investir directement dans l’entreprise, en prenant une participation dans le capital.
Dans les deux cas, les BDC ne payent pas d’impôt sur l’argent que cela rapporte. Mais pour bénéficier de cette exonération fiscale, elles doivent verser au moins 90% de leurs bénéfices aux actionnaires.
Imaginez que l’un des requins de cette émission de téléréalité prenne une généreuse participation dans une nouvelle entreprise très prometteuse.
À présent, imaginez que 90% de ce que rapporte cette opération atterrisse directement sur votre compte en banque.
C’est exactement ce que fait une BDC : elle vous permet de gagner de l’argent comme ces requins de Shark Tank !
Mais ne vous emballez pas tout de suite…
Un océan où il faut éviter les « poissons pourris »
Alors qu’il existe des centaines de REIT cotés en Bourse, vous ne trouverez qu’une cinquantaine de BDC, sur les places boursières.
Vous imaginez probablement pourquoi.
Lorsqu’un nouveau REIT est créée, il se sert de l’argent des investisseurs pour acheter tout de suite des biens immobiliers. Il s’agit donc d’actifs tangibles, bien réels, que le REIT peut revendre en période de vaches maigres.
En revanche, les BDC ne possèdent pas ce type de filet de sécurité intégré. Leur survie dépend des intérêts qu’elles perçoivent, ou de la vente de leurs participations dans les petites entreprises où elles ont investi.
Bien entendu, nous parlons d’entreprises qui commencent tout juste à décoller. Si l’une d’elles fait faillite – comme bon nombre de nouvelles entreprises – la BDC obtient peu de retour sur investissement.
Comme la plupart des entreprises, les BDC peuvent emprunter de l’argent pour financer de nouvelles opportunités. Mais le montant de leur endettement est sévèrement limité.
Par conséquent, si une certaine proportion du portefeuille d’une BDC est en échec, il se peut qu’elle ait du mal à lever de nouveaux capitaux pour ne pas mettre la clé sous la porte.
Rappelez-vous également que les BDC ont le choix de prêter de l’argent à de petites entreprises, ou de prendre une participation dans leur capital.
Et ces jours-ci, prêter de l’argent n’est pas aussi lucratif qu’autrefois.
L’économie tournant à plein régime, les banques engrangent de l’argent. Alors elles ne sont pas aussi avares de leurs prêts, les petites entreprises ont donc moins besoin de s’adresser à des BDC.
De plus, les taux bas actuels diminuent les gains que les BDC réalisent sur leurs prêts.
Il y a toujours l’aspect investissement direct, bien entendu. La période actuelle est excellente pour la croissance des entreprises.
Le problème, c’est qu’une BDC ne peut encaisser ses gains qu’en revendant sa participation.
Non seulement cela nécessite un certain temps, mais une fois que la BDC a revendu sa participation, elle doit réinvestir cet argent aussi vite que possible.
Alors pour réussir, une BDC doit sélectionner ses clients avec grand soin… et gérer extrêmement bien son portefeuille.