En plein milieu du mois d’août, au sortir du languissant pont de l’Assomption, un article du journal Le Parisien était parvenu à extirper de l’oisiveté ambiante quelques observateurs attentifs.
On y apprenait, par l’intermédiaire de son vice-président Hervé Becam, que l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih) songerait à une solution pour rendre les pourboires obligatoires, afin de compenser le déclin de cette tradition.
« On travaille sur le sujet. Et on fera une proposition au législateur« , concluait-il.
Depuis, l’organisation patronale a tenu à contenir la polémique naissante.
« Au-delà de titres de presse accrocheurs, l’Umih rappelle que le pourboire ne peut être rendu obligatoire puisqu’il s’agit d’une libéralité, d’une gratification, à la discrétion du client satisfait du service rendu. »
Une libéralité. C’est le mot juste. En tout cas, le débat a été lancé. Alors, à la faveur de ce sujet de société, interrogeons-nous sur les fondements de la liberté individuelle et l’importance de l’autonomie morale.
Du bon usage de l’individualisme
Il y a cette scène d’ouverture dans Reservoir Dogs – le premier film de Quentin Tarantino – qui me vient immédiatement à l’esprit. Assis autour de la table d’un restaurant, huit hommes terminent leur café. Le plus âgé d’entre eux ordonne à chacun de déposer un dollar pour la serveuse. Tous s’exécutent machinalement. Tous sauf Mr Pink, vers qui les regards se tournent alors.
« Un pourboire ? (…) Je m’en fiche que la société dise que ça se fait d’en donner un (…). Si on m’offre un service en plus, je paierai un extra, mais le pourboire qu’on paie automatiquement, ça c’est bidon. »
On l’accuse d’être radin. Et c’est vrai que l’on aurait tôt fait d’assimiler son comportement à de l’avarice, voire à de l’égoïsme. En réalité, sa posture est individualiste. De nos jours, la confusion est fréquente. D’autant plus que le terme n’a pas bonne presse.
Remettons donc les points sur les i. L’individualisme est une conception philosophique qui s’appuie sur deux principes fondamentaux : la liberté individuelle et l’autonomie morale.
Voilà qui nous amène à nous poser deux questions essentielles. Faut-il privilégier les individus qui composent la société ou laisser la société (ou pire, l’État) s’imposer aux individus ? Faut-il encourager la réflexion individuelle ou, au contraire, laisser un groupe social, quel qu’il soit, imposer sa norme ?
Mr Pink n’est pas sans coeur. Et son rejet n’est pas motivé par des raisons pécuniaires : c’est la pression du groupe social qui le rebute. Il souhaite, par son refus, faire valoir sa liberté de pensée, sa liberté de choix. Il veut montrer que ce sont bien ses propres opinions qui gouvernent ses actes.
Cette capacité de discernement, cet esprit critique sont des valeurs qui doivent être réhabilitées. Car la pression sociale peut nous imposer une forme d’autocensure, jusqu’à prendre le dessus sur nos libertés individuelles les plus élémentaires.
Alors, apprenons à ne pas confondre : l’individualiste ne vit pas que pour soi, il vit pour que chacun puisse être soi. Tout le contraire de l’égoïste.
Le spectre du passage en force de l’État
Si l’État venait à nous l’imposer, ce serait encore pire.
Alors, certes, la tradition se perd : une étude commandée par Tripadvisor en 2014 indiquait que seuls 15% des Français laissaient systématiquement des pourboires au café, au restaurant ou à l’hôtel. Et 35% affirmaient en donner de moins en moins.
Est-ce une raison pour nous obliger à faire ce geste qui n’a de réelle valeur que s’il dépend de notre libre arbitre ?
Il ne faut pas oublier qu’en France, contrairement aux États-Unis souvent cités en exemple, le service est déjà inclus dans le prix affiché sur la carte. Et le pourboire n’a pas du tout la même signification outre-Atlantique.
Comprenons-nous bien : l’exemple de Mr Pink n’est ici qu’une métaphore. Continuons à donner des pourboires, autant que faire se peut. Parce qu’ils sont gratifiants et souvent essentiels pour les serveurs et parce que nous sommes encore libres de le faire…
Simplement, comme tout ce que nous entreprenons par ailleurs, faisons-le de notre propre chef !