S’il y a une chose sur laquelle tout le monde sera d’accord, c’est que les deux derniers jours furent orageux. Cataclysmiques même.
Mercredi, dans la foulée de la publication des résultats du deuxième trimestre, le titre du réseau social perdait jusqu’à 24% en après-séance, soit près de 148 milliards de dollars de capitalisation boursière.
Les investisseurs ont fait payer le prix fort aux récents scandales qui ont écorné l’image de l’entreprise et ont peu goûté à la conférence téléphonique de résultats de son PDG, Mark Zuckerberg, figure tutélaire et incarnation absolue de la société qu’il a fondée. Ses prévisions ? Un ralentissement de la croissance des revenus et une hausse des dépenses dans les mois à venir.
La décharge est violente pour le jeune milliardaire, trop exposé pour espérer voir quelque bras droit lui servir de paratonnerre. Et au-delà du dommage symbolique, ce sont 16,8 milliards de dollars de sa fortune personnelle qui sont partis en fumée.
La sanction est d’autant plus cruelle que les performances sont loin d’être catastrophiques.
Le faux-pas du premier de la classe
Nourris à la juteuse mamelle de Facebook, dont la croissance avait jusqu’alors repoussé les limites de l’insolence, les investisseurs – devenus gloutons – n’en ont plus assez pour satisfaire leur nouvel appétit. Le marché, emporté par ce cynisme dont il est coutumier, a ainsi puni son premier de la classe : le dernier bulletin trimestriel était en déclin par rapport aux précédents.
Le déclin. Auprès des prévisionnistes, il agit comme un repoussoir vers toutes les autres valeurs – quand bien même ces dernières croîtraient moins vite.
Les résultats du 2ème trimestre restent pourtant flamboyants.
Le chiffre d’affaires est en hausse de 42% à 13,23 milliards de dollars et le bénéfice net a bondi de 31 % à 5,1 milliards de dollars. Les revenus publicitaires mobiles, qui constituent le gros du chiffre d’affaires de la société (91%), sont en hausse de 87%. Et le nombre d’utilisateurs actifs a augmenté de 11% (1,47 milliard au quotidien, 2,23 milliards par mois).
Cependant, à l’exception du bénéfice net, ces chiffres sont en-deçà des prévisions du consensus de Wall Street. Il espérait 1,48 milliard d’utilisateurs actifs chaque jour et 13,3 milliards de chiffre d’affaires.
Surtout, les investisseurs n’ont plus foi en la capacité de Facebook à conserver ses utilisateurs sur le long terme : pour la première fois, le nombre d’utilisateurs quotidiens a baissé en Europe (3 millions de moins, soit 297 millions). Le règlement général européen sur la protection des données (RGPD) est passé par là. En Amérique du Nord, cette donnée reste stable à 185 millions d’utilisateurs. La crainte de la fuite est au coeur de ce désaveu.
Alors, la firme californienne n’est-elle plus dans l’air du temps ?
Au contraire, on la respire plus que jamais.
Facebook, cet agrégateur de contenus d’informations
Je me souviens de ce temps lointain où la pêche à l’information s’apparentait à un long périple jalonné de frustrations. J’allais de site en site, multipliant les sources, à la recherche des articles que je considérais comme les plus pertinents. La sélection était fastidieuse, parfois chronophage.
À l’époque, on appelait ça « surfer » sur Internet. Le terme est tombé en désuétude.
Si je continue malgré tout à me rendre quotidiennement sur la page d’accueil de mes sites d’informations favoris, j’ai pris l’habitude de faire de la « veille » sur Facebook.
Je suis abonné à toutes les pages des médias qui sont susceptibles de m’être utiles. Ils sont ainsi accessibles sur ma page d’accueil et je peux décider de cliquer ou de passer en fonction de l’intérêt du sujet.
Tous ceux qui ont un compte Facebook peuvent en témoigner : cette pratique est devenue la norme. Twitter mise depuis longtemps sur ce créneau. Mais l’interface de Facebook est plus ludique, et la plateforme peut bénir la démocratisation des smartphones nouvelle génération, dont les écrans rivalisent de largeur et favorisent les contenus visuels.
Il est donc là, le vrai coup de génie des équipes de Mark Zuckerberg : avoir su se muer en agrégateur d’informations pour anticiper le déclin « social » du réseau. Facebook s’est substitué aux médias traditionnels en déplaçant la vitrine de ces médias sur sa plateforme.
Les derniers réfractaires ont fini par s’y résoudre : pour que les articles soient lus, il faut être là où il y a du trafic.
Le pouvoir de l’addiction
Depuis que j’ai commencé cet article, j’ai consulté 6 fois mes notifications Facebook – 2 fois sur mon ordinateur, 4 fois sur mon smartphone après qu’il a vibré. J’y allais moins il y a quelques années.
À l’époque pourtant, Facebook était encore ce moyen de communication extrêmement impudique qui révéla les mégalomanies les plus enfouies. On y écrivait sur la page du profil de ses contacts, au vu et au su de l’ensemble du réseau. On y commentait les publications des autres, épaulé par quelques amis. On ne le fait plus. WhatsApp a remplacé ces conversations en petit comité et les a rendues confidentielles.
Depuis que j’ai commencé cet article, je suis allé 5 fois sur WhatsApp – dont une alors que je n’avais reçu aucun message et que je n’en ai pas écrit.
Facebook a racheté WhatsApp en 2014.
C’est vrai, j’allais moins sur Facebook il y a quelques années. À l’époque pourtant, on y partageait encore ses photos de vacances, de soirées entre amis, de week-ends en amoureux, comme pour affirmer un bonheur fugace ou justifier une vie trépidante. On ne le fait plus. Instagram s’est proposé de satisfaire notre besoin de reconnaissance et y est parvenu en nous encourageant à rendre nos photos plus belles et en limitant le risque de photos compromettantes.
Depuis que j’ai commencé cet article, je suis allé 2 fois sur Instagram, avant et après m’être servi un café.
Facebook a racheté Instagram en 2012.
« Ce qui nous empêche de nous abandonner à un seul vice, c’est que nous en avons plusieurs », écrivait François de La Rochefoucauld.
Mark Zuckerberg en a pris note.
L’agora des temps modernes
C’est sa principale qualité et son principal défaut. Facebook n’est plus un réseau social qui permet de communiquer, d’interagir avec ses « amis », mais un espace où la parole est libérée – presque une plateforme de débat. Une véritable agora où l’on lit, entend et voit tout et n’importe quoi. Comme dans la vie.
En ce sens, c’est aussi un lieu de contre-pouvoir, un terrain fertile pour les militants en quête d’une caisse de résonnance. C’est encore l’outil idéal pour révéler certaines injustices, donner à voir l’actualité sous un autre angle, se faire le porte-voix des tragédies passées sous silence. C’est le citoyen lambda qui s’exprime, pour contrebalancer le monopole que les JT et autres médias traditionnels avaient sur l’information.
Rien de surprenant à ce que la sphère politique – parfois médiatique – tienne les réseaux sociaux en aversion. Très tôt elle s’est émue de ces espaces relativement hors de contrôle où se font entendre des voix discordantes, parfois retentissantes.
Confronté à cette pression constante, Zuckerberg sait qu’il est entre deux eaux. Entre les utilisateurs qui chérissent cette liberté d’expression salvatrice et les milieux influents qui la honnissent.
Les exemples sont nombreux qui montrent que le PDG choisit de se ranger du côté des utilisateurs, bien conscient qu’en cédant un peu de cette liberté pour satisfaire aux exigences des grands de ce monde, il siphonne l’essence de son réseau et le décrédibilise instantanément aux yeux du grand public.
Cette posture est évidemment motivée par la nécessité de conserver ses utilisateurs, et donc de pérenniser son business. Mais le discours plaît dans le contexte actuel, où la défiance envers l’information dite mainstream n’a jamais été aussi affirmée.
En revanche, c’est aussi le talon d’Achille du réseau social, qui peut voir à tout moment l’épée de Damoclès du pouvoir politique s’abattre sur lui.
Les réseaux sociaux n’offrent-ils pas le panorama le plus éclatant de la diversité d’opinion ? Et l’outil sociologique le plus fascinant qui soit ?
La possibilité de commenter sous les publications des pages des différents médias a renforcé ce phénomène. J’ai moi-même développé une sorte de besoin irrépressible d’aller lire les commentaires des différents utilisateurs sous les articles traitant de sujets de société. C’est passionnant. Et c’est aussi un moyen – forcément imprécis – de prendre le pouls de l’opinion.
Le réseau social de l’âge adulte ?
J’ai pris le parti de saupoudrer cet article de mon expérience personnelle, comme pour me faire le porte-parole d’une génération.
Voilà qui nous amène au cœur de la question : Facebook ne serait-il pas seulement le réseau social de MA génération ?
Pas si vite. La plateforme fait montre depuis quelques années de sa propension à rassembler bien au-delà de cette fameuse « génération Y ». Et les générations précédant la mienne, celles qui, dix ans auparavant, constataient avec une pointe de dédain l’incroyable succès de cette nouvelle plateforme sociale, ont fini par l’investir depuis quelques temps déjà. Les parents de mes amis y sont, parfois leurs grands-parents. Les grands frères également, désormais dans leur quarantaine, qui se sont lassés de rater les invitations aux évènements et autres anniversaires organisés sur Facebook.
Bien sûr, l’investisseur averti regarde vers les tendances d’avenir. Cet avenir est incarné par les adolescents d’aujourd’hui. Et même si Instagram et WhatsApp sont largement utilisés, c’est Snapchat qui a leur faveur.
Au risque de paraître dépassé, je m’interroge : n’est-ce pas Snapchat, le véritable réseau d’une seule génération ? Ses utilisateurs ne s’enverront pas des photos éphémères ornementées d’oreilles de lapin jusqu’à l’âge de 30 ans.
Facebook, pour toutes les raisons que nous avons évoquées ci-dessus, redouble d’efforts pour s’imposer en tant que réseau social de l’âge adulte. Les adolescents l’ont déserté dans un mouvement de rébellion, démodant les codes inventés par leurs aînés.
Dans quelques années, sans doute se rangeront-ils du côté de celui qu’ils haïssaient tant, comme on finit par approuver les références de son vieux père à la fleur de l’âge.
Certes, le temps est maussade, mais Facebook a de beaux jours devant lui.
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