Depuis plus de 50 ans, les Japonais ont l’habitude de passer du temps dans leurs forêts et leurs bois. Ils s’y relaxent, font le plein de bonnes ondes, prennent le temps de se connecter avec la nature et eux-mêmes. C’est ce qu’ils appellent le « shinrin-yoku » ou « bain de forêt ».
Les résultats de plusieurs études (dont celle du professeur Li, menée en 2009) ont révélé que cette pratique avait des effets bénéfiques sur la santé. Elle contribuerait, par exemple, au renforcement du système immunitaire ou encore à la réduction des symptômes liés à la dépression.
Comme cette pratique est née au Japon et que, comme vous le savez, j’ai découvert ce pays très récemment, j’ai eu envie d’en savoir plus. J’ai interrogé Dominique Racine-Inoue, qui vit à Tottori, au nord de la région de Chūgoku, depuis de nombreuses années. Notre échange fut riche et inspirant. J’espère qu’il vous donnera autant envie qu’à moi de rencontrer « votre arbre » et de vous lancer dans la pratique du shinrin-yoku.
Que ressens-tu lorsque tu marches dans la forêt, parmi des arbres parfois centenaires ?
Dominique Racine-Inoue : Ah ! Cette sensation magique du cœur qui fleurit, de la respiration qui éclot, du sourire qui illumine l’intérieur, des rides du front qui se défroissent, de tout le corps qui reprend sa vraie place, au fur et à mesure des pas qui s’enfoncent dans la forêt… Chaque jour, ce rendez-vous avec moi-même, ces retrouvailles, je les partage avec « mon arbre », cet ami du bord du parc, rencontré au hasard de mes balades quotidiennes.
Tout a commencé avec un arbre immense…
D. R.-I. : Exactement ! Face à la maison, au sanctuaire Shinto qui borde notre jardin, cordonné de la cordelette du sacré, un arbre immense et vénéré abritait mes séances de Qi Gong quotidien. Cinq cents ans de glorieux feuillages traversés des typhons, des neiges, des époques, et bénis des pèlerins. Après chaque pratique, un merci furtif de ma main qui se perdait sur son tronc gigantesque, et se retirait, petite et toute timide, engloutie dans son histoire si ancienne. Et puis, le printemps a éveillé le besoin de balade et de rythme, et la marche m’a poussée vers les bois.
Depuis, chaque jour, les clochettes anti-ours (les petits ours noirs peuplent les hauteurs des montagnes qui nous entourent et, parfois, descendent à la recherche de nourritures convoitées et faciles. Au printemps, les femelles sortent de l’hibernation et guident leurs petits poussés par la curiosité : DANGER !) bien accrochées à ma ceinture, je me plonge un peu plus profond dans les fourrés de ce parc merveilleux et glorieux.
À mi-chemin, un petit lac, miroir sublime du ciel et des coloris saisonniers des arbres qui le bordent. Je ne vais pas plus haut, les ours rôdent.
Au retour, mes pas se font plus lents ; ils ont du mal à sortir de ces frondaisons paisibles et pourtant volubiles : les oiseaux s’y confient, les feuillages s’y bercent. Sous chaque plante, sûrement, se cachent les petits elfes de la forêt, qui semblent s’éclipser malicieusement au-devant de mes foulées.
C’est là, au bord du parc boisé, que j’ai trouvé « mon » arbre.
« Ton arbre » ?
D. R.-I. : Au début, il n’était qu’un arbre parmi tous ceux qui abritaient mes pratiques quotidiennes de Qi Gong. Un jour, où je m’attardais à écouter les murmures et chuchotements de la forêt avant de rebrousser chemin, mon regard s’est posé sur le petit gingko biloba, un peu tordu, déséquilibré et visiblement malmené par des pépiniéristes en mal de tronçonneuse. J’ai toujours aimé les feuilles de cette belle espèce, dont Tokyo, la capitale nippone, a fait son symbole. Ma fille a fait ses premiers pas dans l’or de ses feuilles, à son premier automne…
Je m’approche, et l’entourant de mes bras, je pose mon front sur son tronc. Mes yeux se ferment, mes paumes se concentrent sur l’écorce chaude des rayons du soleil levant. Peu à peu, l’énergie de mes mains capte une onde, un frémissement infime, et… le miracle se produit : ma peau se fond dans l’écorce, je deviens l’arbre, qui devient moi. Un bonheur serein, une paix exaucée, la gratitude profonde, me pénètrent.
Chaque jour, je vais rencontrer cet arbre que je nomme « mien », par amitié, non par arrogance. Dès que je m’en approche, mon cœur a un sursaut : je suis en sécurité, tout va bien.
Même si je suis entourée de passants très surpris par mes gestes, je ne manque jamais de passer au moins la main sur le tronc de ce bel arbre à l’écorce parcheminée par le temps et les saisons. Il est là.
C’est depuis lors que j’ai délaissé l’aïeul vénérable de mon jardin. « Mon » petit gingko biloba est plus à ma mesure.
La France ne manque pas de belles forêts et d’arbres prêts à vous donner un peu de leur force. Et si vous commenciez par programmer quelques jours de vacances près d’une forêt cet été ? La Sologne, le Morvan ou les Landes ? Pensez à nous envoyer une petite carte…