La reconnaissance faciale enterrera-t-elle définitivement notre vie privée ?
En février 2016, l’apparition dans les smartphones russes d’une nouvelle application très controversée révélait les prémices de cette lente agonie dont l’issue paraît inéluctable. Dans le rôle du fossoyeur : Findface, un outil téléchargé par des millions de Russes qui permet d’associer un nom à un visage pris en photo grâce à une recherche sur les réseaux sociaux.
Pour résumer : vous êtes dans le train, votre voisin vous prend discrètement en photo, et l’application croise votre image avec les données qui traînent à propos de vous sur les réseaux. Il connaît maintenant votre nom, votre métier, si vous avez des enfants, où vous vivez…
Évidemment, l’usage de l’application a rapidement dérapé : certains utilisateurs ont découvert que leurs cibles avaient des métiers confidentiels, parfois cachés à leur famille, et ont entrepris de les faire chanter. Des vies ont ainsi été brisées…
Si Findface n’est disponible qu’en Russie à l’heure actuelle, nul doute que les initiatives de ce genre pourraient fleurir ici et là. On ne lutte pas contre la technologie.
Le danger de la légitimation
En revanche, on lutte contre le terrorisme. Les attentats tragiques de ces dernières années et la prise de conscience d’une menace permanente ont donné aux États toute liberté pour le combattre. Une liberté rendue légitime par la population : selon un sondage Ifop de décembre 2015, 84% des Français sont prêts à restreindre leurs libertés pour plus de sécurité.
Car de la restriction de nos libertés, il en est bien question. Une étude a révélé que la moitié des Américains adultes auraient fait l’objet d’une reconnaissance faciale de la part des autorités, notamment à cause de l’analyse en temps réel de piétons filmés par une caméra de surveillance. En France, Christian Estrosi en a fait son cheval de bataille depuis 2016, « pour optimiser la lutte contre le terrorisme« .
Certes, la reconnaissance faciale peut avoir du bon ! Mais sa généralisation se fera au prix de nos libertés.
Pouvons-nous encore nous protéger ?
Aux États-Unis, CV Dazzle propose des coupes de cheveux permettant de déjouer les algorithmes de reconnaissance. Et Betabrand fabrique des vestes qui renvoient la lumière du flash et rendent votre visage trop foncé. En Israël, la start-up D-ID propose un algorithme censé protéger les images transmises sur les réseaux sociaux. En Russie, l’ingénieur Grigory Bakunov a développé un algorithme capable de tromper ces systèmes avec du maquillage. Mais il a décidé de ne pas le lancer sur le marché : « Il y avait trop de risques pour qu’il soit utilisé à de mauvaises fins. »
Entre liberté et sécurité, la société a fait son choix. Mais ce n’est pas une raison pour rester les bras croisés à attendre que le monde devienne un gigantesque Big Brother… Alors, de notre côté, restons à l’affût de toutes ces initiatives destinées à protéger encore un peu notre droit à la vie privée.