Bienvenue dans l’ère post-antibiotique ! 10 millions de décès sont prévus en 2050 à cause de la progression galopante des bactéries aux antibiotiques.
Face à ce risque, trois voies sont explorées : le développement de nouveaux antibiotiques (je vous en parlais dans une précédente Quotidienne), la réduction de leur utilisation et les solutions alternatives.
Moins d’antibiotiques, moins de résistance
Des campagnes d’information et de prévention ont été lancées ces dernières années, non seulement auprès du grand public mais aussi auprès des professionnels de la santé.
Pour quels effets ? Si en France, la fameuse campagne avait permis de réduire de 26% l’utilisation de ces médicaments, depuis quelques années leur consommation progresse de nouveau à grands pas. Chacun d’entre nous consomme en moyenne deux fois plus d’antibiotiques par an qu’un Allemand et trois fois plus qu’un Néerlandais.
Une récente étude révélait qu’aux Etats-Unis, les prescriptions d’antibiotiques augmentaient de 20% pendant les épisodes de grippe. Grippe qui, rappelons-le, est due à un virus et donc ne peut être traitée par ce genre de médicament.
Espérons que la multiplication des campagnes d’information, des plans nationaux et le battage médiatique autour de ce problème de la résistance bactérienne parvienne enfin et durablement à faire changer les esprits.
L’autre voie à explorer est celle de l’utilisation de nouvelles armes contre les bactéries.
Signalons tout d’abord que si certains antibiotiques sont régulièrement abandonnés car inefficaces, d’autres connaissent un phénomène inverse. L’explication est simple : quand un antibiotique n’est plus prescrit, au bout d’un certain temps, les bactéries n’y sont plus résistantes et l’antibiotique redevient efficace (le temps que les bactéries redéveloppent une résistance). Nous pouvons donc puiser dans les antibiotiques qui n’étaient plus prescrits depuis des décennies. Une autre source d’espoir mais qui ne nous permet pas vraiment de briser le cycle infernal antibiotiques-résistance.
Des virus dévoreurs de bactéries
L’autre principale voie explorée par les chercheurs, ce sont les phages. Ces virus détruisent en quelques heures les bactéries qu’ils utilisent pour se multiplier. D’où leur nom de bactériophages (qui se « nourrit de bactéries »). Si cela vous amuse, vous pouvez d’ailleurs regarder cette animation illustrant comment ces virus repèrent et colonisent une bactérie pour s’y multiplier. La pression des virus finit par faire exploser la bactérie-colonie — la détruisant de fait.
Leur gros avantage, c’est qu’ils ne visent — et détruisent — que les bactéries. Encore mieux, il existe plusieurs types de phages, chacun étant spécialisé dans la destruction d’un type de bactérie. En clair, cela signifie qu’un traitement reposant sur les phages — appelé phagothérapie — permet de cibler précisément une bactérie contrairement aux antibiotiques qui ont tendance à détruire sans faire de distinction entre « bonnes » et « mauvaises » bactéries.
Sur le papier, les phages, c’est merveilleux. Dans la réalité… disons que c’est plus complexe.
Une recherche mise aux oubliettes par la Guerre froide
Et premièrement parce que la recherche autour des phagothérapies a été abandonnée depuis plus d’un demi-siècle en Europe occidentale (et aux Etats-Unis), relégués aux oubliettes par les antibiotiques qui semblaient alors la solution miracle.
Devant cette invasion des antibiotiques, seules quelques poches de phagothérapie ont survécu… dans les pays de l’Est et autres affiliés à l’Union soviétique qui, Guerre froide oblige, étaient plus ou moins coupés des recherches et surtout de l’accès aux antibiotiques. Enfin, tout est relatif, car les pays de l’Est ont été et sont encore de gros utilisateurs de ces antibiotiques — et voient se multiplier d’inquiétantes résistances bactériologiques.
La phagothérapie a donc survécu et est même très vivace dans des pays comme la Russie, la Pologne ou la Géorgie (pays de naissance de George Eliava, un des grands noms de ce type de thérapie). L’Institut George Eliava, situé à Tbilissi en Géorgie, fait même référence dans le domaine grâce à son incroyable collection de phages.
En Europe occidentale et aux Etats-Unis, l’intérêt pour les bactériophages renaît depuis quelques années, conséquence de la montée de la résistance bactérienne.
La question de la légalité
Le principal obstacle à ces recherches est qu’elles ne sont pas légalement encadrées, la phagothérapie n’étant pas officiellement reconnue aussi bien en France que par l’Union européenne. La recherche s’est donc en grande partie faite de manière officieuse. De-là découle un logique manque d’études scientifiques et d’essais cliniques prouvant l’efficacité de ces méthodes et ouvrant la voie à une utilisation sur des patients humains.
Pas d’études, mais aussi pas ou peu de moyens financiers, pas de banques de phages…
Les choses seraient-elles en train de changer ? Un essai clinique a été autorisé en septembre dernier en France, Belgique et Suisse dans le cadre du programme européen Phagoburn. Objectif : déterminer l’efficacité de « traitements anti-infectieux à base de bactériophages chez les grands brûlés ». Les résultats sont très attendus car cette étude est la première à être menée sur le sujet qui respecte les normes internationales régissant les essais cliniques.
D’autres études sont en cours ainsi que des recherches pour se servir de certains des mécanismes utilisés par les phages pour détruire l’enveloppe protectrice des bactéries, mécanisme qui pourrait être isolé sans avoir recours aux phages eux-mêmes
Phages versus antibiotiques ?
Autre frein au développement des phagothérapies : les limites de leur application. La précision d’action des phages que j’évoquais plus haut est aussi un inconvénient et limite le recours à la phagothérapie. Il faut en effet (1) identifier précisément les bactéries à la source de l’infection et (2) sélectionner tout aussi précisément les phages qui entreront en action.
Puisque nous parlons de sélection, il n’est pas inintéressant de connaître l’origine de ces phages. Ceux-ci sont partout où il existe des bactéries. Donc dans l’air, l’eau, le sol… les objets de notre quotidien. Avant de paniquer, rappelez-vous qu’ils ne s’attaquent qu’aux virus et se désintéressent totalement des cellules humaines.
La plupart des phages aujourd’hui utilisés ont ainsi été récupérés dans les endroits où prolifèrent les bactéries, à savoir — bien souvent — les eaux usées. Evidemment, les phages ainsi récupérés sont ensuite « nettoyés » et surtout triés.
Ce tri est indispensable car il existe deux types de ces virus : les phages tempérés et les phages lytiques. Les premiers colonisent une bactérie, s’y multiplient mais surtout ingèrent une partie de l’ADN de leur victime. Ils peuvent alors disperser cet ADN dans tout l’organisme, ce que les chercheurs préfèrent clairement éviter.
Les phages lytiques quant à eux ne font que se reproduire à l’intérieur de la bactérie jusqu’à la faire exploser. Ce sont eux qui intéressent chercheurs et médecins.
Parmi les phages lytiques, il faut ensuite identifier ceux qui sont les ennemis naturels de la bactérie que l’on souhaite détruire.
Tout ceci signifie que les phages ne pourront donc jamais complètement remplacer les antibiotiques pour traiter les infections courantes et non résistantes (une angine par exemple, ou une simple infection urinaire). Leur utilisation devrait être limitée aux cas les plus graves, ceux où le recours aux antibiotiques a été épuisé, ou encore traiter des infections difficilement traitables via des antibiotiques (comme celle des prothèses).
Il faut en outre poser la question des effets secondaires et de la résistance (encore elle). Les effets secondaires de ces thérapies sont très discutés. Pour certains, elles pourraient engendrer des chocs immunitaires chez les patients. Après tout, on leur administre une importante dose de virus, ce qui peut ne pas être anodin. N’étant pas médecin, je ne trancherai pas sur cette question…
Quant à la résistance… les phagothérapies n’échappent malheureusement pas à ce processus naturel d’adaptation des bactéries. Le recours massif à ces traitements — par exemple en médecine vétérinaire — pourrait s’accompagner d’une accélération de cette résistance.
Enfin se pose de nouveau la question de la rentabilité. La phagothérapie risque d’être confrontée au même manque d’intérêt et de financement de la part des laboratoires que la recherche en matière d’antibiotique. Ces traitements seront en effet utilisés de manière ponctuelle, dans des cas rares et graves, et sur une courte période de temps.
De quoi freiner la recherche et le développement.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Face à la montée de la résistance bactérienne, la réponse ne passera pas par une seule et unique solution mais par l’alliance de toutes les solutions que j’ai évoquées : réduction du recours aux antibiotiques et développement de nouveaux traitements qu’ils soient antibiotiques ou reposant sur les bactériophages.
D’un point de vue d’investisseur, le secteur mérite bien évidemment votre attention.
Du côté des développeurs d’antibiotiques, plusieurs laboratoires ont repris la recherche, tels AstraZeneca ou Merck (tout particulièrement grâce au rachat de Cubist). Ray Blanco a quant à lui choisi une plus petite pharma, spécialisée uniquement dans les antibiotiques. Une recommandation à retrouver dans NewTech Insider.
Quant aux phages… Pour l’instant, investir dans le secteur relève de la gageure, les grands groupes s’étant encore peu intéressés à ces thérapies. En France, une société, Pherecydes Pharma, non cotée, mène des recherches sur le sujet, et participe à l’étude clinique que j’évoquais plus haut sur les grands brûlés. A suivre donc : si la phagothérapie poursuit son essor, nous pourrions assister à celui des investisseurs.