La seule chose que je sais, c’est qu’il est mort de froid.
En 2014, on lui a coupé l’électricité et on ne lui a jamais rallumée. Personne ne sait pourquoi.
En janvier 2018, il est mort de froid dans sa maison de 10 millions de dollars, dans l’Upper East Side.
Ses parents étaient les riches fondateurs de la société de meubles et de design Knoll Associates. Son père est venu en Amérique pour échapper aux Nazis et a créé un empire dans le secteur du mobilier.
On l’a retrouvé mort de froid à l’âge de 75 ans, et Peter Knoll n’a probablement jamais eu à travailler un seul jour de sa vie.
C’était un collectionneur. Une fois, il a acheté une Aston-Martin sur un coup de tête. Il collectionnait les Rolex, les Picasso, toutes sortes de bijoux, les meubles, les oeuvres d’art, des objets de collection d’une valeur de plusieurs millions de dollars et qui se trouvaient probablement dans sa sombre maison en ville pendant qu’il frissonnait à côté d’eux.
Comment je le sais ? Je les ai tous vus.
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Un de mes amis m’a appelé. « Et si on allait à une vente aux enchères ? »
Tous les biens de Peter Knoll étaient à vendre.
Il avait laissé sa maison de 10 millions de dollars à un pensionnat qu’il avait fréquenté dans les années 1950. Ses enfants n’avaient pratiquement rien reçu en héritage et s’étaient lancé dans une bagarre juridique.
Ils vivaient en Floride. Il est mort de froid, seul, à NYC. Son corps a été retrouvé quelques jours plus tard.
Un jour, cela pourrait être vous et moi. Personne ne sait. Ça pourrait être le type que je croise dans la rue.
« OK ! »
Nous sommes allés à la vente aux enchères. Je pensais que Peter Knoll était un collectionneur expert depuis des décennies.
Qu’il savait donc bien ce qui avait de la valeur. Qu’il connaissait l’art. Qu’il connaissait le monde. Et que les gens qui seraient présents sauraient également tout cela. J’allais les observer et peut-être que j’allais apprendre quelque chose.
Fréquenter des gens plus intelligents que vous vous permet d’en savoir davantage sur la valeur des choses. Chaque objet, chaque moment a de la valeur.
Lorsque je m’emporte, j’accorde trop d’importance à ce moment. Quand j’espère pour un meilleur avenir, j’enchéris sur le futur, parce que le présent n’a aucune valeur.
Je veux savoir dans quoi investir mon temps. Dans quoi investir ma vie. Je ne veux pas mourir gelé. À chaque instant, je veux de la chaleur.
Lors de la vente aux enchères, tout le monde semblait se connaître. J’étais intimidé, je ne me sentais pas à ma place. Mon ami parcourait le catalogue et encerclait des choses.
J’étais assis à côté de deux personnes. L’une d’elles affirma : « Les jouets ne valent pas grand-chose. Et les armes non plus.
—Nous connaissons quelqu’un qui veut un harpon à baleine, a poursuivi l’autre gars. Nous attendons que l’objet soit proposé et nous partagerons les gains.
—Et le pistolet-couteau à six coups Dumonthier ?
—Non. »
Je me suis déplacé quelques rangs plus loin. Un homme et une femme parlaient.
« Je n’irai pas au-delà de 2 500 $ pour cette lithographie de Picasso. »
Elle a finalement été cédée pour 4 200 $.
« Combien tu donnerais pour la première Rolex Oyster ?
—27 500 $ max. » Elle est partie pour 46 000 $.
Je voulais jouer moi aussi.
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Mon ami a obtenu un service en argent de 12 pièces pour 175 $.
« Tu penses que c’était une bonne affaire ? » m’a-t-il demandé.
J’ai répondu que je ne connaissais rien à l’argenterie, mais selon la description, elle contenait 15 oz d’argent, soit au moins 225 $ si l’on prenait en compte uniquement l’argent. Sur eBay, on pouvait trouver le même service, de la même marque et la même année, à 720 $.
Je suis descendu. Il y avait des échoppes pour les personnes qui vendaient des antiquités. Il y avait un café où des hommes et des femmes âgés armés de loupes consultaient des catalogues.
Je parlai à un type qui vendait des machines à écrire et des téléphones. Des téléphones comme ceux qui existaient quand j’avais 10 ans, lorsque je chuchotais avec les filles qui me plaisaient pour ne pas que mes parents entendent.
Les objets sont comme des fragments de mémoire à vendre. De vraies histoires oubliées.
Peter Knoll savait ce qu’il voulait.
Pendant 50 ans, il a développé ses goûts.
Puis, il est mort de froid. Il a laissé tout son argent pour un lieu qu’il avait fréquenté 60 ans plus tôt.
Quelles réflexions, quels sentiments lui ont été chuchotés par ce lointain passé ? Est-il prisonnier du souvenir éternel de cette époque ? Quel que soit le paradis où il s’en est allé ?
Mon ami a acheté de la porcelaine ancienne et de l’argenterie en plus. J’ai fait une offre pour le Picasso, j’ai suivi les conseils de mon voisin et je ne l’ai pas obtenu.
Je suis rentré chez moi. Ma fille toussait. Je lui ai acheté du sirop contre la toux et je l’ai prise dans mes bras.