Incroyable. Douze matchs nuls de suite lors du Championnat du monde d’échecs entre le champion en titre Magnus Carlsen et son challenger, l’Américain Fabiano Caruana.
Est-ce là un échec pour Magnus ? A-t-il insuffisamment défendu son titre ?
Non ! C’est au contraire un grand succès… du fait de la réflexion de second degré.
Pour ma part, j’ai bien des fois échoué à pratiquer cette réflexion stratégique.
Un exemple ? J’ai dirigé une entreprise prospère dans les années 1990, une agence web. J’aidais des entreprises à créer leur premier site web (AmericanExpress.com, TimeWarner.com, etc.).
J’ai gagné des millions de dollars. Mais ce fut un échec.
Pourquoi ?
J’ai également écrit des logiciels pour m’aider à créer des sites web. J’ai développé ma propre caisse à outils personnelle pour pouvoir créer toutes sortes de sites.
J’ai vendu mon entreprise en 1998 en fonction des bénéfices (je l’ai vendue environ dix fois nos recettes).
Mais les entreprises qui « vendent du rêve » ont beaucoup plus de valeur. Des logiciels qui aident les entreprises à développer des sites web, comme WordPress, sont valorisées à plus d’un milliard de dollars !
Un MILLIARD !
Quel imbécile je suis ! J’avais les mêmes compétences, les mêmes logiciels mis en œuvre, la même propriété intellectuelle.
Mais ma valeur se chiffrait en millions au lieu de milliards. J’aurais dû pratiquer la réflexion stratégique au niveau de l’entreprise plutôt que de me limiter simplement au niveau logiciel.
Le jeu d’échecs est un jeu stratégique. Ne dit-on pas d’ailleurs à propos de ce jeu : « Avoir un mauvais plan vaut mieux que de n’avoir aucun plan du tout » ?
Fabiano était jeune, talentueux, une réelle menace pour Magnus. Magnus aurait bien aimé le battre plus rapidement mais c’était trop ardu.
Pourquoi donc 12 matchs nuls de suite sont-ils un succès pour Magnus ? Et pourquoi Fabiano est-il à présent mort de peur ? (Enfin, d’après moi.)
Voici pourquoi (et ceci a également eu lieu lors du dernier match du Championnat du monde d’échecs opposant Carlsen à Kajarkian.).
Après un tiebreak comme celui-là, le titre de champion du monde est déterminé par des parties décisives, qui sont de plus en plus rapides jusqu’à atteindre le niveau d’un blitz (cinq minutes chaque partie).
Magnus Carlsen est de loin le meilleur joueur au monde au blitz.
Ce qui n’est pas aussi vrai lors des parties d’échecs à « vitesse normale ».
Dans le système de classement mondial, plus le chiffre est élevé, mieux c’est ; une différence de 75 points signifie donc que le joueur le mieux classé doit gagner grosso modo deux fois sur trois.
Pour les parties d’échecs normales, Magnus obtient 2 835 points, Fabiano 2 832.
Autrement dit, ils sont statistiquement égaux. Douze matchs nuls de suite est donc pratiquement le résultat attendu.
Il existe également un système de classement pour les parties en blitz.
Dans ce classement, Magnus atteint 2 939 points, Fabiano 2 767.
ÉNORME différence. Magnus est en bien meilleure position que ceux qui sont pratiquement au même classement que lui pour les parties standards.
Magnus est donc arrivé exactement là où il le voulait : ce sont des parties rapides – où il possède un gros avantage statistique – qui détermineront qui sera champion du monde.
Voilà de la réflexion stratégique de second degré.
Vous pouvez avoir des compétences, comme l’écriture, la fibre commerciale, le charisme ou l’habileté avec les ordinateurs. Peut-être utilisez-vous ces compétences pour performer dans votre travail.
Mais réfléchissez-vous plus loin ? Travaillez-vous pour un patron (et le patron d’un patron, et le patron d’un patron d’un patron) et n’obtenez-vous qu’une petite partie de l’argent gagné ? Ou bien vendez-vous des produits que vous vous procurez à des gens qui peuvent vous payer beaucoup d’argent ?
Utilisez-vous la réflexion stratégique de second degré pour analyser vos compétences ?
Si vous êtes doué pour écrire (assez pour faire en sorte que les gens s’interrogent sur leur vie), utilisez-vous cette compétence pour écrire un roman que personne ne lira ?
Ou écrivez-vous des articles, des livres, voire même des scripts de podcasts qui, vous le savez, atteindront un large public (c’est la manière qu’aurait Shakespeare de l’aborder), afin que le plus grand nombre de personnes possible puisse être touché par vos compétences ?
C’est une chose de développer les stratégies dans vos compétences.
C’en est une autre de développer les stratégies de second niveau, qui maximiseront vos objectifs en utilisant ce même ensemble de compétences.
La réflexion stratégique de troisième degré, c’est de comprendre que la perception est plus importante que la réalité. On y reviendra une autre fois.
Dans ces championnats d’échecs, peut-être est-ce juste la perception que Magnus est toujours le meilleur au blitz qui a suffi pour effrayer psychologiquement Fabiano et le faire mal jouer – même si entre 2017 et aujourd’hui, ce fait pourrait avoir changé.
Et la réflexion stratégique de quatrième degré ?
Nous sommes en hiver et, tandis que j’écris ces mots du côté de l’équateur, je contemple l’océan. Peut-être que la réflexion stratégique de quatrième degré, c’est de ne rien faire et de profiter de ce que la vie nous donne.
Mais ça, je n’y parviens pas encore.
(Magnus à la fin d’une partie blitz. Admirez la rapidité du jeu.)