L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF, aujourd’hui transformé en IFI) prévoit une décote de 30% sur la résidence principale. C’est un contentieux fiscal pour le moins pittoresque où les services fiscaux ont tenté d’en remettre en cause l’application sur la base d’un raisonnement à la limite du burlesque, mais par bonheur invalidé par les juges.
Prévu par l’article 885 S du Code général des impôts, l’abattement spécial applicable de plein droit ne donne généralement pas lieu à contentieux dès lors que le caractère de résidence principale est clairement établi.
Sa formulation simplissime – pour une fois ! – ne laisse subsister aucun doute : » Un abattement de 30% est effectué sur la valeur vénale réelle de l’immeuble lorsque celui-ci est occupé à titre de résidence principale par son propriétaire. « Point final.
Et pourtant… Un vérificateur s’est lancé dans une véritable croisade afin de remettre en cause cet avantage fiscal à l’encontre du chalet savoyard d’un assujetti ! Visiblement épaulé par sa hiérarchie départementale, l’affaire jugée d’abord au Tribunal de grande instance de Bonneville (19 mai 2014, n°RG13/851) se solde par un échec pour le fisc, qui, visiblement pas refroidi, a interjeté appel devant la juridiction chambérienne (Cour d’appel de Chambéry, 15 décembre 2015, n°14/01512) mais sans plus de succès.
Heureusement et voici pourquoi.
Une maison trop grande, une famille trop petite…
À la base, le contexte est banal : un assujetti à l’ISF possède un chalet sur la commune de Megève déclaré à 2,5 millions d’euros – valeur vénale qui n’a rien d’anormal dans cette commune très recherchée.
L’assujetti anciennement domicilié dans la région parisienne est ensuite venu habiter dans les Alpes et a donc pratiqué à bon droit l’abattement codifié à l’article 885 S. Il faut dire que ce chalet est composé de deux sous-unités : l’une dédiée à la famille de l’assujetti et l’autre servant à héberger le personnel de maison de l’assujetti – un peu comme les chambres de bonnes des immeubles haussmanniens, mais l’air pur des Alpes en plus ! Pour autant, ces deux sous-unités font clairement parti du même ensemble vu qu’elles sont reliées par un tunnel et éloignées seulement de quelques mètres l’une de l’autre.
D’ailleurs, fait rare dans les rédactions de jugement d’appel, la Cour s’empresse de préciser » à titre liminaire […] qu’à l’instar du premier juge, elle observe qu’il n’est pas rare dans son ressort territorial, qu’un bien unique soit conçu en deux parties reliées entre elles par un souterrain « . Une sentence qui augurait mal de ce qu’il allait advenir du raisonnement juridique échevelé développé par l’administration fiscale locale.
Car le vérificateur va aller bien plus loin, et carrément se livrer à une réécriture de l’article 885 S du CGI. En effet, selon cet honorable fonctionnaire :
- l’immeuble est bien trop grand pour les époux : » les époux R. n’ayant aucune personne à leur charge » sic ;
- les deux sous-unités pourraient tout à fait être vendues séparément » après réalisation de travaux nécessaires à leur dissociation » ! On voit mal cependant qui, dans cet environnement majestueux, irait acheter un chalet pour avoir un autre bâtiment appartenant à une tierce personne séparé de seulement quelques mètres du sien… Quant à prescrire de tels travaux, cela revient à manifester une ingérence caractérisée dans la liberté de gestion de son patrimoine !
La loi fiscale votée à Paris mais réécrite à la sauce savoyarde…
Ces arguments plus que scabreux seront écartés d’un revers de main par le juge qui confirmera l’unicité du bien aux motifs :
- que la Direction départementale des finances publiques (DDFiP) ajoute à la loi qui justement » ne fixe aucun seuil, en termes de superficie ou de nombre de pièces » ;
- que la composition précise du foyer fiscal est sans incidence. Le vérificateur zélé ne pouvant en aucun cas s’appuyer sur des ratios « m2 par occupant » ! Ce type de ratio est en vigueur dans l’attribution de logements sociaux ou d’aides sociales au logement, mais pas en droit fiscal ;
- que de toute façon, la domesticité utilisait une partie des pièces afin de loger sur place (avantage en nature) au plus près de ses maîtres et qu’en somme les premiers devaient » nécessairement, eu égard à leurs tâches, se trouver dans la résidence principale de ceux, au service desquels ils sont attachés « .
La liberté du mode de vie est imprescriptible !
Bref, la Cour d’appel met un terme à toute velléité d’adaptation » localisée » du droit fiscal en ces temps d’appétence budgétaire où les pouvoirs publics sont tentés de faire feu de tout bois pour faire rentrer du cash !
En particulier, elle a rappelé sévèrement au justiciable – la DDFiP de Haute-Savoie – qu’une telle argumentation ne pouvait être recevable » sauf à obliger les intimés [NDLA : les assujettis] à modifier leur mode de vie « . Or, très précisément, entre d’un côté les libertés publiques avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme qui garantit la vie privée et familiale, et de l’autre l’article 9 du Code civil qui reprend tel un écho le droit au respect de la vie privée, il ne pouvait se trouver aucun juge pour emboiter le pas à l’inspecteur du fisc.
En attendant, ce contentieux, sans faire rentrer un centime de plus dans les caisses du Trésor, aura coûté à la DDFiP de Haute-Savoie les entiers dépens de la procédure ainsi qu’une indemnisation complémentaire de 1 000 € à verser au contribuable injustement inquiété. Et l’a exposée à un danger plus grave encore : le ridicule.
Cordialement,
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