Au fil des ans, j’ai appris que l’une des manières les plus fiables d’identifier les opportunités est d’observer ce que font des gens plus intelligents que moi.
C’est une bonne règle de base : toujours investir comme les gens qui sont plus intelligents que vous.
Au lieu de faire vos devoirs et de risquer de vous tromper, il est bien plus facile de copier le gamin le plus doué de la classe, conserver du temps et de l’énergie pour des choses plus importantes (comme jouer aux échecs) et dormir sereinement en sachant que quelqu’un d’autre a fait tout le travail pour vous.
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Le plus souvent, c’est une stratégie imparable.
Cependant, suite au rebond boursier insensé qui a suivi le verrouillage de l’économie ce printemps, certains des meilleurs investisseurs et économistes se grattent la tête.
À l’heure où je vous écris, des millions de gens sont encore soit au chômage, soit temporairement arrêtés, tandis qu’investisseurs et commentateurs continuent de parler des craintes de deuxième vague, des manifestations et de la possibilité qu’un vaccin ne soit pas prêt avant la fin de l’année…
Dans le même temps, le marché boursier a récupéré comme par miracle la quasi-totalité de ses pertes liées au COVID-19.
Pris dans ces forces conflictuelles, de nombreux investisseurs « value« vivent un cauchemar, comme s’ils se réveillaient en pleine opération chirurgicale, alors qu’ils sont encore sur le billard.
Pour commencer, les investisseurs professionnels dépendent entièrement du suivi de leur performance par rapport au marché. Une perte de 20% une année où le marché stagne serait considérée comme un désastre.
Par conséquent, tant que le marché continue de grimper, les investisseurs dans la valeur doivent choisir entre oublier toute prudence pour éviter de prendre du retard, ou laisser passer un rebond boursier avec la conviction que des jours encore pires sont à venir.
Lorsqu’il s’agit d’un investisseur légendaire comme Warren Buffett, son hésitation à prendre de grosses positions en dit long sur la voie qu’il a choisie.
Mais avant d’en tirer des conclusions trop hâtives, il est important de tenir compte des préjugés et des intentions de Buffett.
Plantons le décor : nous avons beaucoup parlé de Buffett au fil des ans. J’ai écrit un livre incontournable sur Warren Buffett – Trade Like Warren Buffett.
Au fil des ans, cet homme d’affaires octogénaire s’est habilement forgé une réputation d’homme affable, sans prétention et bon comme le bon pain – et a gagné le cœur de millions de personnes.
Le meilleur investisseur au monde est célèbre pour son style de vie terre-à-terre : il vit toujours dans la maison qu’il a achetée 30 000 $ en 1958. Il mange du McDonald’s tous les jours au petit-déjeuner. Et il va travailler en Subaru.
Mais sous cette image publique soigneusement travaillée, Warren Buffett est un tueur au sang-froid. On ne devient pas l’une des personnes les plus riches au monde sans avoir quelques squelettes dans le placard.
Pour vraiment comprendre Warren Buffett, l’astuce est de toujours chercher les motifs cachés.
Les compagnies aériennes, bonnes à jeter ?
Un mois environ après le début de la pandémie, Buffett s’est débarrassé de l’intégralité de ses positions en compagnies aériennes. Jusqu’alors, il détenait quelque six milliards de dollars dans diverses compagnies, dont des parts de 10% environ dans Delta, American, Southwest et United Airlines.
Il semble toutefois que la pandémie lui ait fait peur.
Avec la double perspective d’annulations de vols imposées par le gouvernement et d’un intérêt décroissant des consommateurs pour les voyages aériens, les compagnies semblaient être un pari de plus en plus mauvais. Pour aggraver la situation, les marges des compagnies aériennes, qui dépendent de choses compliquées comme remplir tous les sièges avant le décollage, étaient en chute libre.
Il semblait donc raisonnable que Buffett réduise ses pertes alors que le secteur aérien était au bord de l’implosion.
Plus tôt dans le mois, la décision de Buffett de se débarrasser de ses parts avait été considérée par beaucoup comme un timing épouvantable. Même Donald Trump, qui vaut quelque chose comme 65 Mds$ de moins que Buffett, s’est joint au concert, tweetant : « Parfois, même quelqu’un comme Warren Buffett – que je respecte beaucoup – fait des erreurs. » Depuis, les actions du transport aérien sont revenues sur terre.
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Avant de vendre ses parts, Buffett pariait que le soutien du gouvernement aux compagnies aériennes et autres ne durerait pas.
Si cela avait bien été le cas, Buffett aurait été positionné sur un trade classique « à la Berkshire », c’est-à-dire mettre la main sur des actifs bon marché à des conditions idéales.
Un exemple : en septembre 2008, Buffett a pu intervenir pour secourir Goldman Sachs. Pour avoir le privilège d’emprunter cinq milliards de dollars au plus haut de la crise financière, les actionnaires de Goldman ont au final payé neuf milliards de dollars à l’Oracle d’Omaha. Pas trop mal pour Buffett, mais pas exactement une bonne affaire pour Goldman.
Cette fois-ci, cependant, la Réserve fédérale a pris une longueur d’avance sur Warren Buffett. Au lieu de le laisser dicter ses quatre volontés aux compagnies aériennes, la Fed est intervenue au nez et à la barbe de l’Oncle Warren et a directement versé aux compagnies le renflouage dont elles avaient besoin pour continuer à voler temporairement.
Buffett s’est donc débarrassé de ses parts.
Contrairement à 2008, la Fed a réagi très vite à la pandémie. Elle s’est rapidement mise à acheter des obligations d’entreprises, des titres adossés aux prêts hypothécaires et toutes sortes d’investissements afin d’empêcher les marchés de s’effondrer.
Ce qui nous amène à aujourd’hui…
Encore plus de bonnes affaires pour nous…
Comme je le disais un peu plus tôt, à l’heure où j’écris ces lignes, le marché est en pleine envolée. Qui sait où il en sera lorsque vous me lirez.
Le plus important, de toute façon, c’est comment nous en sommes arrivés là.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, la Fed a promis d’acheter des actifs à tour de bras, ce qui a donné au marché un sentiment de sécurité sur le fait que le gouvernement US ne permettra pas aux cours de s’effondrer.
Cela a permis aux actions d’ignorer facilement les pertes dès le début de la pandémie.
Malheureusement pour Warren Buffett, cela signifie qu’il n’y a pas beaucoup de « bonnes affaires » en matière d’investissement en ce moment.
Cependant, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de bonnes affaires pour Warren Buffett… qu’il n’y a pas de bonnes affaires du tout.
Pour commencer, avec une capitalisation boursière qui dépasse les 400 Mds$, la société de Warren Buffett, Berkshire Hathaway, doit faire des investissements gigantesques pour peser un peu dans la balance.
Cela signifie que le nombre d’opportunités assez grandes pour intéresser Buffett est extrêmement limité.
En revanche, si vous êtes un investisseur qui se satisfera de quelques centaines, milliers ou dizaines de milliers de dollars supplémentaires, le choix d’investissements possibles est énorme.
Deuxièmement, en général, Buffett n’apprécie guère les investissements technologiques. Buffett a souvent dit qu’il ne « comprend » pas assez bien les technos, si bien qu’elles ne représentent qu’une petite partie de ses investissements.
Durant la bulle des dot.com, Buffett aimait à souligner qu’il y avait des centaines de constructeurs automobiles aux États-Unis avant que les Big Three (General Motors, Ford, Chrysler) ne s’accaparent le marché.
Évidemment, comme je le suggérais au début de cet article, Warren Buffett en sait bien plus que moi.
Donc pardonnez-moi si je suggère qu’en dépit de tout son génie, l’approche « anti-tech » de Buffett lui compliquera de plus en plus la tâche pour suivre les marchés.
Les sociétés des télécommunications et de la technologie représentent désormais plus de 38% du S&P 500 : Buffett va peut-être devoir adapter son approche de l’investissement pour y inclure plus de technos, s’il veut faire aussi bien que l’indice de référence.
Soyons juste envers le plus grand investisseur de tous les temps : le secteur des technologies est confronté à des défis différents de ceux d’autres secteurs.
Historiquement, les technos sont moins durables que d’autres entreprises.
Blackberry, autrefois leader dans le domaine des smartphones, a quasiment disparu du marché. On peut dire la même chose d’autres entreprises prestigieuses par le passé : AOL était le plus grand fournisseur d’accès, Yahoo! était le plus grand moteur de recherche, etc. Il y a cinq ans seulement, GoPro cotait 15 fois plus que son cours actuel !
D’un autre côté, les gains générés par les technos peuvent être bien supérieurs à ceux d’autres secteurs. Ils peuvent condenser 10 années de croissance d’une entreprise établie comme Coca-Cola… en un an seulement.
Si les entreprises technologiques ne durent pas forcément 100 ans, comme le préférerait Buffett, elles rappellent en fait une de ses toutes premières stratégies, qu’il a abandonnée depuis longtemps.
Au début de sa carrière, Buffett préférait investir dans ce qu’il appelait des « mégots ». Je vais le laisser s’expliquer…
Si on achète une action à un prix suffisamment bas, il se produira généralement un sursaut dans l’évolution de l’entreprise qui vous donnera une chance de vous en débarrasser sur un gain raisonnable, même si la performance de long terme de la société est épouvantable. J’appelle cela l’approche « mégot » de l’investissement. Un mégot de cigare que l’on trouve dans la rue et auquel il ne reste qu’une bouffée à tirer n’offre peut-être pas beaucoup de fumée, mais l’achat « à prix cassé » fera de cette bouffée du pur profit.
Si l’on applique cela aux entreprises technologiques, les investisseurs pourraient chercher des entreprises qui ne dureront pas éternellement mais qui offrent une « bonne bouffée ».
Enfin, dans le livre Trade Like Warren Buffett, je parle de la philosophie de Buffett concernant les désastres. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, Buffett est passé à la télévision, déclarant :
« Si vous étiez détenteur d’actions et que vous croyiez à la croissance de long terme de l’économie US le 10 septembre, vous devriez y croire tout autant le 12 septembre. »
C’est la philosophie de longue date de Buffett : par-dessus tout, les crises ne représentent qu’un petit détour dans la valeur et la croissance de long terme du marché boursier.
À de nombreuses reprises, l’économie a fait preuve de résilience face à toutes sortes de catastrophes. Buffett semble éviter tout gros investissement dans le marché actuel – mais c’est peut-être plus dû au fait qu’il n’a pas de gigantesques « bonnes affaires » à saisir qu’à toute autre raison.
Pour un investisseur particulier prêt à prendre quelques risques sur les valeurs technos, le marché semble regorger d’opportunités.