Le meilleur négociateur que j’aie jamais connu se faisait toujours passer pour un idiot. Il le faisait d’ailleurs si bien que j’ai longtemps cru qu’il l’était vraiment. Je pensais également à l’époque qu’il était mon meilleur ami.
C’était probablement un rôle de composition là aussi. Deux ans plus tard, il cessait de me parler à jamais.
L’autre jour, je suis tombé par hasard sur lui dans la rue. Il m’a souri et m’a serré la main. J’ai senti une vague de chaleur, comme s’il m’appréciait à nouveau. Puis il a continué son chemin.
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La négociation, c’est d’abord une question de chaleur. Deux parties qui décident de s’entendre, de faire cause commune et de combattre côte à côte dans ce monde de brutes.
C’est également une question de vulnérabilité. Se mettre dans la peau d’une personne dont on veut prendre soin.
Ce n’est pas un mystère. Lorsque naît un bébé, la négociation commence et dure jusqu’à ce que le bébé devienne adulte.
Mon aînée négocie en permanence avec moi. Je l’aime – mais c’est peut-être pour cela qu’elle est si dure en négociation.
Je n’arrive pas très bien à me rendre compte où sont les limites.
Les limites entre mon moi extérieur et mon moi intérieur. Entre le moi qui l’aime toujours et le moi qui veut qu’elle m’aime en retour.
J’imagine que je suis ainsi avec tout le monde. Si on ne m’aime pas, je suis moins heureux.
Si je suis honnête sur les limites posées, alors nous pouvons établir les règles. Et ensuite l’amour commence.
Pas facile !
J’ai assisté à un millier de négociations et j’ai été directement impliqué dans une centaine.
La vie quotidienne est une négociation. Je ne parle pas dans cet article des négociations quotidiennes même si les mêmes règles s’y appliquent. Je parle des négociations où les carrières, l’argent, les réputations et peut-être l’amour sont en jeu.
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Pour moi, c’est ce dernier point qui est le plus dur. Prenez donc mes conseils avec des pincettes. En fait, je vais plutôt vous raconter toutes les manières par lesquelles j’ai fait capoter des négociations. Parce que c’est réellement comme cela que j’ai appris l’art de négocier.
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A) SI VOUS N’AVEZ QU’UNE LISTE TRÈS LIMITÉE DE CONDITIONS, VOUS PERDREZ
Supposons que vous vouliez vendre une entreprise. Si vous ne vous focalisez que sur le prix final, vous serez perdant.
Agrémentez votre liste de sujets : quels sont les conditions de non-concurrence ? Quelle est la clause d’indexation sur les bénéfices futurs ? Quels sont les salaires des nouveaux cadres exécutifs ? Quels sont les avantages ? Quels sont les combinaisons d’options ?
Ou s’il s’agit d’un emploi : Quelles sont les responsabilités ? Combien sont payés les gens qui sont au même niveau ? Comment parvenir à avoir des promotions ? Quels sont les avantages en ce qui concerne les dépenses de santé, les congés, les frais de déménagement, les bilans professionnels, etc. ?
Avec une liste plus fournie, vous pourrez laisser tomber des miettes en échange du gâteau.
B) SI VOUS N’AVEZ PAS ASSEZ DORMI, VOTRE VOLONTÉ SERA NULLE
Carl Icahn, l’un des meilleurs investisseurs au monde, utilise cette technique.
Il planifie ses négociations en début de soirée.
Notre capacité mentale atteint son apogée environ 2 à 4 heures après notre lever.
Et puis, au fil de la journée, notre volonté s’atténue doucement jusqu’au coucher. C’est pour cela que nous regardons la télévision et mangeons du chocolat le soir plutôt qu’à notre réveil.
C’est ainsi que Carl Icahn dormait jusqu’à 16h puis entrait en négociation à 18h.
Face à lui, il avait des avocats exténués qui avaient travaillé toute la journée.
D’après vous, qui gagnait les négociations ?
C) LA PLUPART DES GENS RÉFLÉCHISSENT À COURT TERME, SOYEZ VISIONNAIRE ET VOUS GAGNEREZ
Applied Semantics ne voulait pas vendre à Google en 2001. L’entreprise avait levé des fonds et pensait pouvoir se débrouiller seule.
Quelques mois auparavant, j’avais fait l’erreur de refuser leur proposition alors qu’ils cherchaient à lever des fonds. « Le business des moteurs de recherche est mort ! » avait déclaré le plus grand prophète de tous les temps. (C’est-à-dire moi.)
Larry Page a dit au PDG d’Applied : « Je ne raccrocherai pas avant que vous n’acceptiez. »
Applied Semantics s’est donc vendu en échange de 1% de Google. UN POURCENT.
C’était avant que Google n’entre en Bourse. La valeur des actions était donc à l’époque une complète inconnue. Larry Page, lui, en a eu la vision.
Applied Semantics devint la division Adsense de Google. Elle représente aujourd’hui 99% du CA de Google.
Ses anciens dirigeants sont-ils fâchés de ne pas avoir vendu plus cher ?
Bien sûr que non. Ils ont vendu pour plus d’un milliard en valeur et ont atteint le but ultime, celui de créer l’une des meilleures entreprises au monde.
On ne peut devenir riche qu’une fois. Ne vous souciez pas de la maximisation du pourcentage. Un pourcent de 250 milliards vaut mieux que 100% de rien comme le dit l’adage.
D) NE DITES PAS NON
Je dis cela même si je suis l’auteur du livre The Power of No. Ce que je veux dire ici, c’est qu’il faut cacher votre NON à l’intérieur d’un OUI.
Il y a quelque temps, je négociais avec une entreprise qui voulait que je sois leur conseiller. J’ai refusé. Mais pas de but en blanc. Ce que j’ai réellement dit : « Vous avez une super entreprise et je serais heureux de vous conseiller. »
Quelle superbe manière de dire non ! Ils ne cessaient de me relancer. Ils me voulaient vraiment. Je leur ai répondu : « Voici ce que vous devriez faire sans moi » et je leur ai totalement expliqué ce qu’ils devraient faire. Je l’ai fait gratuitement. C’est une autre manière de dire non.
Cela ne fit que renforcer leur désir de m’avoir pour conseiller. Ils finirent par m’offrir assez pour que j’accepte leur proposition. Ils suivirent mes conseils à la lettre – ceux que je leur avais déjà donnés gratuitement.
C’est une technique d’improvisation bien connue : « Oui, et… »
En impro, le premier interprète crée la prémisse. Le second ne peut ni la modifier ni la refuser, il ne peut que construire dessus.
Dans une négociation, si quelqu’un dit « Vous ne valez qu’un dollar parce que vous avez X », vous pouvez répondre : « Oui, et nous avons également Y, prenons donc cela en compte. »
Tout d’un coup, votre valeur est plus élevée parce que vous n’avez pas commencé une lutte. Vous avez acquiescé et en avez rajouté.
E) BEAUCOUP DE GENS NÉGOCIENT EN FAISANT DE MAUVAIS CALCULS
Beaucoup de gens se trompent dans leurs calculs. Cette partie est difficile à expliquer. Je prendrai un exemple simple : la négociation entre Facebook et Instagram. Je ne sais pas si la négociation entre eux a eu lieu de cette manière mais telle que je l’imagine, elle décrit bien ce que je veux vous faire comprendre.
Pourquoi Facebook a-t-il acheté Instagram pour un milliard de dollars ? Avant son rachat, Instagram ne comptait que onze salariés et avait un CA nul.
Sur cette base, Instagram valait… rien, ou pas loin.
Mais peut-être la négociation s’est-elle passée ainsi.
Instagram : Pour commencer, mettons-nous d’accord sur la manière dont nous devrions valoriser notre entreprise.
Facebook : Euh… Ok.
Instagram : Oubliez notre CA pendant un instant. Mais supposons que nous pouvons gagner X dollars pour chaque utilisateur que vous avez (appelons ce chiffre Y dollars). Payez-nous donc Y x X dollars.
Facebook : Euh… Ok.
Instagram leur a sans doute ensuite montré comment ils pouvaient ajouter une valeur d’un dollar pour chaque client qu’avait Facebook. Facebook comptait un milliard d’utilisateurs. Donc un milliard de dollars.
Arrivez à la négociation avec votre formule. Sachez comment remplir les variables avant que l’autre partie ne le fasse. Tout négociateur fait cela.
La raison pour laquelle je le sais ? Parce que c’est ainsi que j’ai souvent perdu face à de bons négociateurs. J’ai eu de très bons mentors sur cet aspect-là de la négociation.
F) SI VOUS N’ASPIREZ QU’À UN SEUL RÉSULTAT, JAMAIS VOUS NE L’OBTIENDREZ
Je voulais vraiment que mon entreprise, Stockpickr, soit rachetée par Google. J’ai lancé tout ce que j’avais dans la bataille. Je leur envoyais des lettres d’amour au beau milieu de la nuit.
En réalité, j’étais amoureux de la femme qui menait les négociations.
Le problème, c’est que je n’avais pas d’équipe technique. Nous avions construit tout le site pour quelques milliers de dollars. Je n’avais qu’un associé. Nous avions 99% de marges sur nos revenus, mais Google aime les équipes techniques.
D’accord.
Puis j’ai axé mes efforts sur la recherche d’alternatives. J’ai contacté AOL, Yahoo!, Reuters, Forbes. Finalement, c’est thestreet.com qui nous a racheté.
Parfois des gens m’écrivent : « J’ai envoyé mes dix idées à mon entreprise préférée mais ils ne m’ont pas rappelé. Dois-je les rappeler ? »
Ce n’est pas la bonne question. La bonne question est : « Quelles sont les 100 entreprises suivantes auxquelles je devrais écrire ? »
Ce n’est pas un secret : être capable de sortir d’une négociation est le meilleur point de départ dans une négociation.
G) LES GENS PLUS INTELLIGENTS PERDENT
Voici ce que j’aime à dire : vous, vous êtes les experts dans ce domaine ; nous, nous sommes focalisés sur la construction de notre produit, entreprise, œuvre d’art, etc.
Puis je rajoute : « Si vous étiez à ma place, que demanderiez-vous ? »
Je leur demande conseil. Parce que ce sont eux les experts, ce qui est vrai.
Si vous postulez pour un emploi avec quelqu’un de plus âgé que vous, pourquoi ne pas lui demander conseil ? Il en sait plus que vous.
Très souvent ces gens-là donnent de très bons conseils.
H) SI VOUS NÉGOCIEZ AVEC UN PERDANT, VOUS PERDREZ
Dans une négociation, il est toujours préférable d’avoir au moins un champion dans l’autre partie.
Une entreprise pour laquelle je travaillais reçut un jour une offre d’achat de la part de GE d’un milliard de dollars. Vous avez bien lu, UN MILLIARD.
GE présenta le calendrier. « L’accord prendra fin le 15 novembre » déclara le plus haut gradé dans la pièce chez GE.
De retour, dans l’entreprise, j’informais le PDG de l’entreprise que je conseillais de l’offre de GE.
Il me demanda : « Qui était ton interlocuteur ? » Je le lui dis.
Il me répondit alors : « 100% de probabilité que cet accord n’ait pas lieu. »
« Mais ils ont fait l’offre ! » lui ai-je répété. Ils avaient véritablement fait une offre.
« Crois-moi. Impossible. Il n’y a pas de réel champion pour toi en face qui soit à un niveau de décision. Elle est n-5 sous le décideur et elle est ton seul soutien. »
Il avait raison. Cet accord n’eut jamais lieu. Ils trouvèrent un meilleur moyen d’obtenir ce qu’ils voulaient pour 1/200 du prix.
Vous ne pouvez traverser le pont vers l’autre rive que si quelqu’un de solide est là pour vous tenir la main et vous tirer vers lui.
I) L’ACCORD N’EST PAS L’ACCORD FINAL… NE RELÂCHEZ PAS LA PRESSION !
Les gens pensent que lorsqu’un accord est trouvé, c’est la fin des négociations.
Je suis désolé de le dire, mais ce n’est que le début des négociations.
Il y a le fait de tomber d’accord, il y a la signature, et il y a la conclusion.
Les deux dernières étapes sont tout aussi importantes et tout le monde suppose qu’elles sont faciles.
Or elles ne le sont pas. Elles sont atrocement pénibles. Après avoir trouvé un accord, la lune de miel dure deux jours. Il peut rester ensuite six mois encore à tenir.
Tomber d’accord est facile. « J’achèterai votre produit ou votre entreprise pour X dollars. »
Signer un accord implique toutes les petites choses que sont les à-côtés et chiffres après la virgule.
Conclure un accord signifie que les deux parties livrent tout ce qu’elles représentaient dans un accord.
À chacune des étapes, il faut compter avec les regrets des acheteurs et des vendeurs. Souvent les choses doivent être renégociées.
Par conséquent, chaque jour après l’accord, efforcez-vous de rester en contact, de vous montrer amical, de rester concentré sur la vision (en particulier avec votre champion /en face), portez autant d’énergie aux détails, restez en contact avec les avocats pour vous assurer que la paperasserie avance, continuez à travailler sur les alternatives (puisque la négociation ne se termine que lorsque tout est OK), etc.
Beaucoup d’affaires ne sont jamais conclues après accord. Vous n’avez pas besoin de subir cela dans votre vie.
J) LA PLUPART DES ACCORDS NE SONT PAS MIS EN ŒUVRE
Vous tombez d’accord, vous signez, vous concluez et POURTANT ce n’est pas fini.
Ne soyez pas celui (ou celle) qui s’effondre à présent que toute l’énergie a été dépensée.
C’est MAINTENANT que le travail commence. Il y a une vision commune qui doit être atteinte. Il y a un rêve qui doit devenir réalité.
Soyez cette personne. Soyez celle qui offre de la valeur. Vous avez un nouveau bébé entre vos mains, c’est le résultat de cette négociation.
À présent, le travail difficile commence. Élevez cet enfant pour qu’il devienne un adulte responsable.