Plus de 30 millions de personnes ont lu mon article intitulé : New York est fini pour toujours.
Et encore, si j’additionne les personnes qui l’ont lu sur les différentes plateformes et celles qui l’ont découvert grâce à tous les partages, on atteint en fait un nombre bien plus élevé. Mais je préfère maintenir mes estimations à la baisse.
D’après mes calculs, environ 95% des gens l’ont aimé ou, tout du moins, ont accepté mon point de vue et ont apprécié leur lecture.
Ce qui veut dire que 5% des gens l’ont profondément détesté. M’ont détesté, moi. Cela représente tout de même près de 1,5 million de personnes. Pendant les trois semaines qui ont suivi la publication de cet article, environ 10 tweets haineux m’étaient adressés chaque seconde.
Aujourd’hui, plus de deux mois plus tard, il m’arrive encore de me faire attaquer – y compris par des amis, des personnes que je connais depuis des dizaines d’années et même des membres de ma famille.
Le comedy club dont je suis copropriétaire a été vandalisé. Mes enfants ont été harcelés. Un de mes collaborateurs a été agressé parce qu’il portait un tee-shirt du James Altucher Show, du nom de mon podcast.
Le propriétaire de ce club pense que NY est fini. Je pense qu’il a tué son propre club.
Et un type très drôle [NDR : le célèbre comédien Jerry Seinfeld] m’a incendié dans le New York Times.
Cela m’a vraiment déprimé. Pour être tout à fait franc, j’en ai même pleuré.
Je ne regrette pas d’avoir écrit cet article. Cela aboutira peut-être à des solutions. Ou, du moins, cela en aidera peut-être certains à regarder la réalité en face.
Une fois que vous avez cliqué sur « Publier », vos mots ne vous appartiennent plus. Le reste du monde s’en empare.
Voici six éléments clés pour faire le buzz (ils étaient tous réunis dans mon article sur New York).
1. UNE HISTOIRE
Qu’est-ce qu’une bonne histoire ?
Elle doit contenir plusieurs ingrédients :
- des personnages qui rêvent d’une vie meilleure ;
- un événement perturbateur ;
- des « gentils » qui aident le personnage principal et des « méchants » qui lui mettent des bâtons dans les roues (et parfois, les rôles s’inversent) ;
- des péripéties de plus en plus nombreuses ;
- le personnage principal surmonte des difficultés, essuie des revers, traverse des épreuves plus rudes, parvient à vaincre l’obstacle principal, puis rentre chez lui pour raconter ses aventures.
Toutes les histoires suivent cette trame. Faites le test avec Star Wars ou Le Parrain, et vous verrez.
Je suis né à New York. J’ai passé toute ma vie d’adulte dans cette ville ou aux alentours.
J’ai aimé New York, même si elle m’a brisé. J’y ai connu la pauvreté. J’y ai connu la richesse. New York m’a vu m’effondrer, me relever, tomber amoureux, élever mes enfants, divorcer.
Chaque coin de rue me ramène 40 ans en arrière. J’ai quarante années de souvenirs liés à cette ville.
C’est comme si New York était un spectacle géant qui se déroulait sous mes yeux en permanence.
C’est ce que j’ai écrit dans mon article. J’ai dit que j’aimais New York et j’ai expliqué pourquoi.
Mais j’ai aussi expliqué pourquoi j’étais déçu des choses qui n’allaient pas. Et pourquoi j’étais déçu de voir les gens faire apparemment l’autruche. Je n’ai pas envie que cette ville meure. Je veux la voir prospérer.
Cette ville m’a maintenu en vie si souvent quand j’étais sûr de mourir.
2. UNE FORTE DISSONANCE COGNITIVE
New York compte près de huit millions d’habitants. Ils y ont leur logement, de la famille, un emploi, une carrière, des passions, des amis.
La plupart d’entre eux n’ont nulle part où aller. Et pour la plupart d’entre eux, emménager dans cette ville n’a pas été une décision prise à la légère.
Cela entraîne donc une forte dissonance cognitive chez huit millions de personnes.
En ce moment, de nouveaux articles sur le déclin de New York fleurissent tous les jours. Généralement, ils racontent une histoire et provoquent une dissonance cognitive chez les lecteurs. Mais alors, pourquoi ne font-ils pas le buzz ?
C’est simple : il leur manque les autres éléments essentiels. Ils ne présentent aucun fait, car il n’y a aucun fait nouveau à présenter. Ils n’apportent rien de nouveau, car mon article initial l’a déjà fait. Ils se contentent de raconter une histoire.
Le problème, c’est qu’une bonne histoire ne suffit pas.
3. DES FAITS
J’ai énuméré une liste de données et de sources concernant le chômage, la baisse démographique, les fermetures d’entreprise, etc.
4. DES RÉPONSES AUX OBJECTIONS
La situation actuelle est-elle semblable à celle des années 70, comme tout le monde semblait le croire ? Ou à 2001 ? Ou à 2008 ? Non, et j’ai expliqué pourquoi dans mon article.
Les choses s’amélioreront-elles quand on aura trouvé un vaccin ? Non, et j’ai expliqué pourquoi aussi.
5. DES ÉLÉMENTS NOUVEAUX
Mon article apportait deux éléments nouveaux, qui n’étaient apparus nulle part auparavant.
1) J’ai résumé TOUT ce qui n’allait pas à ce jour. Personne ne l’avait fait. Toutefois, cette synthèse ne suffisait pas.
2) Le vrai scoop de mon article, le voici : tout le monde était persuadé que les immeubles de bureaux se rempliraient de nouveau lorsqu’un vaccin serait disponible, mais c’est faux, et j’ai expliqué pourquoi.
La bande passante a été multipliée par dix depuis 2008. Cela permet aux gens de télétravailler et d’être plus productifs que jamais.
La crainte des employeurs de voir leur responsabilité engagée face au virus, la baisse des coûts découlant du télétravail, la hausse de la productivité et le fait qu’au moins la moitié des salariés aime travailler à distance ne peuvent que nous conforter dans l’idée que le télétravail n’est pas près de disparaître.
Ça, c’était un élément nouveau.
C’est la partie de l’article qui a été citée par Rush Limbaugh, Joe Rogan, Glenn Beck, MSNBC, Fox, CNN et d’autres médias.
6. LA PEUR
Avais-je peur de ce que l’on penserait de mon article ?
La peur est importante pour un auteur. Sans elle, à quoi bon écrire sur le sujet choisi ?
Vous sortez de votre zone de confort en écrivant quelque chose de nouveau. Si vous ne craignez pas les réactions des lecteurs, soit vous dites une évidence, soit vous n’apprenez rien de nouveau, ce qui veut dire que les autres n’apprendront rien non plus.
Avais-je peur ?
Bien sûr. J’ai failli ne pas cliquer sur « Publier ». Mais pas parce que je m’inquiétais de ce que l’on pourrait penser de mon opinion. Au contraire, je voulais que les gens réagissent. Qu’ils arrêtent de faire l’autruche.
Mais sur les centaines d’articles que j’ai publiés au fil des années, c’était la première fois que j’en écrivais un comme celui-ci.
J’avais peur de décevoir mes lecteurs. Pas à cause de mes opinions. Mais à cause des solutions.
Je n’en avais aucune à proposer.
Jusqu’alors, tous mes articles avaient été porteurs d’espoir. Même lorsqu’il m’arrivait d’exposer un problème, je finissais toujours par conclure : « Pas de panique, grâce à telle et telle chose, on finira par s’en sortir. »
C’est sous cet angle que j’avais abordé le sujet de la pandémie, il y a quelques mois.
Même un article tel que N’achetez pas de maison est encourageant, puisqu’il explique que votre vie sera meilleure si vous ne devenez pas propriétaire.
Avant de cliquer sur « Publier », j’ai pesé le pour et le contre pendant longtemps.
Entre les mois de mars et d’août, des tonnes de personnes m’ont contacté pour me dire combien mes articles sur la pandémie les avaient aidées à prendre conscience des fausses informations qui circulaient partout. Mes articles leur avaient donné de l’espoir.
Je voulais vraiment donner de l’espoir aux gens.
Mais je n’en avais aucun. J’avais discuté avec des agents municipaux, des fonctionnaires fédéraux, des économistes, des milliardaires et même des candidats aux élections présidentielles. Personne n’avait de solution. « Il faudra du temps, mais ça finira par aller mieux, me disait-on. D’ici 10 ou 20 ans, les choses seront rentrées dans l’ordre. »
Pardon ?!
Tout le monde semblait dans un déni total. Ou alors, ils étaient tout simplement trop confiants et ne tenaient pas suffisamment compte des faits.
Je veux que la ville que j’aime survive. Je voulais combattre le déni et faire réfléchir les gens. Mais je n’avais aucune solution à proposer (j’en ai suggéré quelques-unes depuis, mais personne ne m’écoute).
J’avais peur de décevoir toutes les personnes qui m’avaient remercié de leur avoir donné de l’espoir au sujet de la pandémie, du confinement, des marchés financiers…
J’avais peur de cliquer sur « Publier ».
Mais je l’ai fait.