« Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le reproduire » est probablement la citation la plus connue du philosophe George Santayana.
Mais ce n’est pas celle que je préfère. C’est plutôt celle-ci : « Le scepticisme est la chasteté de l’intellect. »
Pourquoi valoriser le scepticisme ? Parce que le monde est rempli de gens qui font des affirmations. Des affirmations politiques, religieuses, scientifiques, historiques, légales, économiques, commerciales… Même des affirmations liées aux investissements.
Regardez d’un mauvais oeil chacune d’elles ou bien vous pourriez « perdre votre chasteté », ainsi que votre chemise.
Voici une autre citation de Santayana que j’apprécie beaucoup : « La théorie nous aide à supporter notre ignorance des faits. »
Combien de fois avez-vous entendu un ami ou une connaissance déclarer quelque chose d’absurde, puis le justifier grâce à une « théorie » tout aussi vaseuse ?
Mon ami Michael Shermer – éditeur du magazine Skeptic – vient juste d’écrire un livre sur ce phénomène. Il s’intitule Conspiracy: Why the Rational Believe the Irrational. C’est un excellent livre qui mérite que l’on s’y intéresse.
Tous les raisonnements fallacieux n’impliquent pas des théories du complot, bien entendu. Beaucoup de fausses croyances n’impliquent pas les OVNI, les attentats du 11 septembre ou l’assassinat de John F. Kennedy, mais des sujets bien plus terre-à-terre.
Comme les rendements du marché actions.
Ces dernières semaines, par exemple, j’ai tenté d’apporter du réconfort à ceux qui investissent dans les actions en soulignant ceci : malgré les marchés baissiers tels que celui de cette année, un portefeuille d’actions bien diversifié offre toujours de généreux rendements à long terme.
Et pourtant, j’entends des voix, autour de moi, qui disent que ce n’est pas vrai, que les actions n’ont pas offert de bons rendements par le passé, et qu’il est peu probable qu’elles en génèrent à l’avenir.
Il est normal de ne pas être d’accord sur ce que réserve l’avenir. Mais ne devrions-nous pas, au moins, être d’accord sur ce qui s’est produit par le passé ?
Il semblerait que non.
Voici ce qu’a écrit l’un de mes confrères, Bill Bonner, récemment :
Au fil du temps, les actions ne prennent pas de la valeur. Ce qu’il se passe, c’est que l’argent perd de la valeur, ce qui donne l’impression que les cours des actions sont plus élevés. En termes d’argent réel, les prix de l’or se situent à peu près là où ils étaient lors du boom des années 1920, il y a un siècle. À l’époque, vous auriez pu acheter les 30 actions de l’Indice Dow Jones de 1929 avec 18 onces d’or. Et que valent les actions de l’Indice Dow Jones, aujourd’hui ? A peu près 18 onces d’or. Quatre-vingt-dix ans plus tard… Zéro gain.
Santayana dirait que c’est un exemple parfait de théorie qui se substitue aux faits.
Il est vrai que si vous divisez le Dow Jones par le cours de l’or en 1929 et en 2022, vous obtenez à peu près le même chiffre : 18.
Est-ce que cela signifie que les performances de l’or ont été aussi bonnes que celles des actions, sur cette période ? Pas du tout. Ce n’est qu’une coïncidence qui ne veut rien dire.
Cette « théorie » pose plusieurs problèmes.
Pour commencer, le Dow Jones a vécu de grands changements, au cours des 93 dernières années. Il y a eu des spin-off (scissions), des rachats, et des splits (division du cours d’une action).
Et les trente actions du Dow Jones ont versé des dividendes trimestriels, pendant ces 93 ans, dont le taux a parfois pu atteindre 14%.
Certaines entreprises ont été retirées de cet indice. D’autres l’ont intégré. (La dernière action originelle de l’indice, General Electric, a été retirée en 2018.)
Autrement dit, l’indice Dow Jones Industrial Average d’aujourd’hui ne ressemble en rien à celui de 1929, et ne reflète en rien les 1 100 – à peu près – versements de dividende réalisés en cours de route.
Alors diviser le Dow Jones par le cours de l’or ne vous dit carrément rien. (C’est ce qu’il y a de fou, quand on remplace les faits par quelque chose qui « sonne bien ».)
Dix mille dollars investis dans l’or en 1929 vaudraient environ 785 000 $ aujourd’hui.
Pas mal.
Mais le cours de l’or était fixe, en 1929, alors il est difficile de parler d’un véritable « rendement de marché ».
En revanche, 10 000 $ investis sur le Dow Jones en 1929 – en réinvestissant les dividendes – représenteraient plus de 64,3 M$, aujourd’hui !
Ce n’est pas un « gain », ça ? Le Dow Jones a rapporté 82 fois plus que l’or, sur cette période. (Ce n’est pas surprenant, considérant que l’or n’est pas un actif productif.)
Les actions ont également rapporté environ 64,3 M$ de plus qu’en planquant des espèces sous un matelas.
Malheureusement, trop peu d’investisseurs ont connaissance des rendements historiques, ne serait-ce que pour pouvoir repérer les erreurs. Mais si vous ne comprenez pas le passé, il est difficile de faire des projections précises sur l’avenir.
On peut difficilement garantir que les actions rapporteront des rendements élevés à l’avenir, bien entendu.
Et il est normal de se demander s’il existe une bonne raison de croire qu’au cours des années à venir les rendements des actions seront semblables à ceux des années passées.