En début de semaine, la Fed se réunissait pendant deux jours à Washington. Mercredi après-midi, la banque centrale américaine a annoncé une hausse de taux de 0,75%, ce qui porte le taux directeur de la Fed à l’intérieur d’une fourchette comprise entre 3% et 3,25%.
Les Bourses ont fortement reculé mardi, dans les heures qui ont précédé l’annonce. Le taux américain à 10 ans s’est hissé à 3,57%. Cela fait plus de dix ans qu’il n’avait pas atteint un niveau aussi élevé.
La hausse des taux est une mauvaise nouvelle pour les valeurs de croissance, qui ont représenté une grande partie des gains du marché, ces dernières années.
Dans le même temps, la Fed d’Atlanta a une nouvelle fois abaissé ses prévisions de croissance pour le troisième trimestre : elle table désormais sur une progression du PIB de 0,3%, alors que l’estimation précédente était de 0,5% et celle d’avant de 1,3%. Il suffit d’observer la tendance.
Personne ne sera surpris si la prochaine estimation prévoit un taux de croissance nul ou une contraction de la croissance au troisième trimestre. Cela pourrait représenter trois trimestres consécutifs de ralentissement de la croissance. Comme vous le savez probablement, une récession se définit techniquement par deux trimestres de contraction de la croissance.
Comme je me tue à le répéter, le resserrement de la politique monétaire de la Fed affaiblit l’économie. Et pourtant, la Fed n’a aucune intention de mettre le holà. Pas avant que les choses dégénèrent.
La Fed a franchi la ligne rouge
La hausse de taux annoncée mercredi est la cinquième hausse consécutive et la troisième hausse de 0,75% consécutive. Cela indique que la Fed est déterminée à ralentir l’économie et à mettre un terme à sa politique d’argent facile. Dans la foulée, les marchés ont tendance à s’effondrer. Il suffit de regarder la performance du marché depuis le début de l’année.
Le marché a enregistré des baisses de 1% ou plus sur un quart des séances boursières qui ont eu lieu depuis le début de l’année. D’après les données fournies par Bespoke Investment Group., après la Seconde Guerre mondiale, seules les années 1974, 2002 et 2008 ont enregistré plus de jours avec des baisses de 1%.
En fait, la Fed a d’ores et déjà franchi la ligne rouge. L’Histoire nous apprend qu’une troisième hausse de taux consécutive équivaut à un baiser de la mort.
À Wall Street, ce phénomène a donné son nom à une règle : « Trois interventions et les marchés s’effondrent. » Cette règle a été formulée par l’économiste Edson Gould dans les années 1970.
Il a constaté que lorsque la Réserve fédérale relevait ses taux d’intérêt, le ratio des réserves obligatoires ou les exigences de marge trois fois consécutivement, le marché avait tendance à s’effondrer.
D’après les études sur le sujet, cette structure a été observée avant tous les krachs de l’Histoire, avec seulement deux exceptions possibles qui prêtent à débat. D’aucuns disent que cette structure s’est formée un an trop tôt pour le krach de 1929 et un peu trop tard pour pouvoir identifier le sommet exact des marchés en 1978.
Mais cet indicateur affiche un taux de précision de près de 100% depuis 1919.
Le but du propos est de montrer qu’à chaque fois que la Fed a essayé de relever ses taux d’intérêt, le marché s’est effondré. Désormais, la Fed a annoncé une cinquième hausse consécutive.
Une hausse des taux sans précédent
Tel que c’est parti, le taux directeur de la Fed devrait dépasser les 4% d’ici la fin de l’année. Passer d’un taux de 0,0% à un taux de 4,0% ou plus en l’espace de dix mois (de mars à décembre) représente la remontée des taux la plus rapide depuis la présidence de Paul Volcker à la fin des années 1970 et au début des années 1980.
La Fed accélère également la réduction de son bilan, à hauteur de 95 Mds$ par mois. C’est important, car cette réduction de bilan correspond à une hausse supplémentaire de 1% des taux d’intérêt en termes d’impact sur l’économie.
En combinant le resserrement quantitatif et les hausses de taux prévues, l’impact du resserrement de la politique monétaire équivaudra à une remontée des taux de plus de 5% en l’espace de dix mois.
Il s’agit également d’une remontée des taux d’une ampleur sans précédent depuis les années 1980. Lorsque la Fed a commencé le resserrement quantitatif en 2017, elle avait enjoint aux marchés de ne pas en tenir compte. Elle avait alors déclaré que le resserrement quantitatif était en pilotage automatique, qu’elle ne l’utiliserait pas à des fins politiques et qu’elle resterait en retrait, mais prête à intervenir au besoin.
La Fed a eu raison de tenir ses propos mais les marchés n’en ont pas cru un mot. C’est pour cela qu’a eu lieu « carnage de la veille de Noël ». La Fed était en train de rehausser ses taux et de réduire son bilan quand le 24 décembre 2018, les marchés ont vacillé, marquant le début d’une correction de 20% qui durera deux mois et demi. La Fed a paniqué et a de nouveau changé son fusil d’épaule, reprenant la voie de l’assouplissement monétaire.
Cela pourrait se reproduire mais nous en sommes encore loin (désolé, Wall Street !).
Mauvais diagnostic, mauvais traitement
Évidemment, la Fed essaie d’endiguer l’inflation en réduisant la demande dans l’économie.
Mais comme je l’ai déjà expliqué, elle se focalise sur l’inflation par la demande, en vertu de laquelle les consommateurs achètent en prévision d’une nouvelle poussée d’inflation. L’inflation à laquelle nous assistons est une inflation par les coûts. Elle puise son origine du côté de l’offre, pas du côté de la demande. Elle provient des ruptures d’approvisionnement à l’échelle mondiale et de la guerre en Ukraine.
Il est essentiel de comprendre la différence entre l’inflation par la demande et l’inflation par les coûts. C’est la raison pour laquelle j’insiste sur ce point.
Or, comme la Fed a mal diagnostiqué le problème, elle applique le mauvais traitement.
Réduire la masse monétaire ne permet pas de résoudre un choc du côté de l’offre. Les prix continueront à augmenter. Mais la réduction de la masse monétaire pénalisera les consommateurs, les poussera à mettre de l’argent de côté et renchérira le coût des prêts immobiliers, ce qui pèsera sur le marché du logement, entre autres.
La propension de la Fed à utiliser les mauvais modèles, des modèles biaisés et à faire ce qu’il ne faut pas faire au mauvais moment ne change pas. Le resserrement de la politique monétaire de la Fed provoquera un effondrement des marchés et un ralentissement encore plus brutal de l’économie.
C’est une erreur monumentale, mais la Fed ira jusqu’au bout. Elle est complètement déconnectée du monde réel. Je me montre très critique envers les modèles de la Fed, car ils sont obsolètes et ne cadrent pas avec la réalité.
Échec après échec
Depuis sa création en 1913, la Fed a prouvé à maintes reprises qu’elle avait un don pour plomber l’économie en faisant les mauvaises choses au moment. Et elle s’apprête à remettre le couvert.
Lorsqu’elle réalisera que resserrer sa politique monétaire au risque d’affaiblir l’économie est une erreur, elle changera son fusil d’épaule et reprendra la voie de l’assouplissement. Il s’agira d’abord de déclarations prospectives et de pauses dans la remontée des taux, puis de véritables baisses de taux pour revenir à des taux nuls. Pour finir, elle arrêtera la réduction de son bilan et gonflera son bilan grâce à de nouvelles mesures d’assouplissement quantitatif.
Puis le cycle repartira de zéro et produira les mêmes résultats prévisibles.
Je le répète depuis des années : lorsque la Fed essaie de normaliser sa politique monétaire, elle n’y parvient pas. Elle se retrouve prise au piège de sa propre création, sans pouvoir en sortir ou pas sans causer des dégâts considérables dans l’économie.
Malheureusement, on semble repartis pour un tour.
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