Je n’avais pas prévu de dire à Neil deGrasse Tyson que je ne croyais pas en ses rêves. Mais c’est ce que j’ai fait.
Je lui ai dit : « Vous vivez dans des rêves.
– J’ai encore ce fantasme, a-t-il répondu. C’est peut-être illusoire, mais j’espère que non. Ce fantasme, c’est qu’un jour, tôt ou tard, je laisse tout tomber tout pour revenir au laboratoire et retravailler comme scientifique. Et que l’on ne me revoie plus.
– Je pense que vous ne le ferez pas car… »
Il s’est mis à rire.
Je lui ai répété qu’il ne le ferait pas. Et il a éclaté de rire.
Mais je suppose que c’est une réponse facile quand on en sait beaucoup plus que la personne assise en face de nous.
Je lui ai posé toutes les questions qui me venaient à l’esprit. Cela faisait des années que je voulais interviewer Neil. J’ai lu tous ses livres. J’ai adoré la série documentaire Cosmos. Et il travaille dans le musée que je préférais lorsque j’étais enfant.
Voici donc cinq leçons que j’ai tirées de mon entretien avec Neil deGrasse Tyson et qui m’ont fasciné.
1. La curiosité est synonyme de liberté
Les physiciens ne pensent pas comme les autres scientifiques.
Prenez leur vocabulaire. « Il est assez transparent, contrairement à celui utilisé en chimie, en géologie et en biologie. »
Le nom officiel du début de l’univers : « le Big Bang ». Il y a une tache rouge sur Jupiter ; on l’a appelée « Great Red Spot » (la « grande tache rouge »).
« Nous nous concentrons sur l’idée à propos de laquelle nous essayons de communiquer », a déclaré Neil.
Mais regardez les biologistes. Comment ont-ils nommé la molécule la plus importante du corps humain ? L’acide désoxyribonucléique (ADN).
« Le physicien décortique un problème jusqu’à obtenir son essence même, en étudiant sa matière, son énergie cinétique, ce genre de choses. »
Il m’a donné un exemple.
Mais il a d’abord précisé la chose suivante : les physiciens sont formés à penser. « Il s’agit de rebrancher votre cerveau », dit-il.
« Vous regardez un canapé. Pour un physicien, vous ne commencez pas par regarder le coussin ou la couleur. Vous regardez sur quoi il repose. ʺOh, il y a quatre pieds. Il y a donc des forces qui agissent sur les quatre pieds, et les pieds à l’arrière supportent une force plus élevée parce que c’est le dossier de la chaise.ʺ Vous visualisez le diagramme de force dans votre cerveau. Ensuite, vous enveloppez ça avec tout ce qui compte pour la plupart des gens quand ils achètent le canapé. »
On dirait que ça n’a pas d’importance. Mais ce n’est pas le cas. Parce que Neil est curieux et à propos de davantage de choses. Juste à cause de ses études de physique.
Plus de curiosité = plus de liberté.
2. Trouvez votre rayon
Lorsque je ne sais plus ce que j’aime, je vais à la bibliothèque. Ou dans une librairie. J’erre dans les allées. Et je lis les noms des rayons : romans, essais, entrepreneuriat, poésie, philosophie, etc.
J’essaie de trouver le rayon qui contient tous les livres que je veux lire. Tous les vieux livres. Chaque nouveau livre. Tous les livres qui n’ont pas encore été écrits.
Neil deGrasse Tyson a trouvé son rayon très jeune.
Il est né la même semaine que la NASA. À l’âge de 9 ans, il est tombé amoureux. Et cette passion ne s’est jamais éteinte. Je lui ai demandé s’il avait déjà eu l’impression d’avoir fait le mauvais choix de carrière.
Il a dit : « Quoi ? Je ne comprends pas la question. »
3. Ne soyez pas intellectuellement fainéant
Neil m’a parlé de Richard Holbrooke. C’était un diplomate qui a fait des études de physique. Ce qui a fait de lui un meilleur négociateur.
« Parce qu’en tant que physicien, quand vous entrez dans une pièce, vous analysez ce que les gens disent. Vous enlevez tout le superflu et le baratin. Puis vous vous dites : ʺVoici ce qu’ils veulent dire et pourquoi ils veulent le dire.ʺ Parce que les lois de la physique fonctionnent dans la même pièce et s’appliquent à tout le monde.
– D’accord, mais comment ? »
Il m’a donné deux exemples. Tous deux dans le domaine de la guerre. Parce que c’est le sujet du nouveau livre de Neil. Ça s’appelle Accessory to War : The Unspoken Alliance Between Astrophysics and the Military (« l’alliance tacite entre l’astrophysique et le domaine militaire »).
- #1. Votre ennemi pourrait être menaçant compte tenu de sa puissance de feu, mais si vous connaissez son budget et le nombre de scientifiques dont il dispose, vous serez peut-être en mesure de déterminer qu’il bluffe.
- #2. Votre ennemi pourrait dire qu’il a déplacé ses troupes. Mais vous déterminez les distances et vous évaluez son équipement. Et vous arrivez à la conclusion qu’il ne dit pas toute la vérité.
« Vous analysez ce que les gens disent et la probabilité que cela soit vrai. D’ailleurs, c’est aussi paresseux intellectuellement d’accepter ce que quelqu’un dit comme étant vrai que de rejeter ce que quelqu’un dit comme étant faux. »
Puis il m’a dit comment faire cela… C’est la leçon #4.
4. Posez des questions
« La vraie enquête scientifique consiste à sonder l’information, à savoir comment poser des questions et à apprendre quelle est la différence entre les absurdités et la vérité. »
Ce n’est pas donné à tout le monde de se sentir à l’aise en posant des questions. Peut-être que vous aurez l’air stupide. Mais j’ai appris que le seul moyen d’être intelligent, c’est d’avoir l’air stupide.
5. Vous voulez aller sur Mars
J’ai demandé à Neil : « Pourquoi voudrait-on aller sur Mars ?
– Hum, O.K. Quand vous me posez cette question, voici à quoi ça ressemble… Imaginons que nous sommes dans mon bureau, semblable à une grotte. Je me demande ce qu’il y a à l’extérieur de cette grotte et vous répondez : ʺNon ! Restons dans la grotte. Il n’y a aucune raison de vouloir quitter la grotte. Occupons-nous déjà de résoudre les problèmes que l’on a ici et maintenant.ʺ »
J’ai compris ce qu’il voulait dire. Mais j’ai riposté.
« Mais si on envoie des robots sur Mars et que je suis en mesure de voir Mars comme si j’étais le robot ?
– Vous ne pouvez pas, a répondu Neil.
– Oh, à cause de la vitesse de la lumière ?
– Oui, il y a un décalage qui rend tout bon travail quasiment impossible. »
Il a ensuite décrit l’avenir du tourisme spatial. Et qui seront les premiers milliardaires…
Quand j’ai dit à Neil qu’il ne retournerait pas dans un labo, je voulais dire : « Je ne veux pas que vous y retourniez. »
Mais ça n’a pas d’importance.
Je ne compte pas dans l’équation de l’avenir de Neil deGrasse Tyson. Et c’est pour ça qu’il a ri.
Parce qu’au fond de lui, il sait ce qu’il veut.
Et il espère y arriver.
Il a même dit : « Je contrôle mon avenir. »
Et je ne sais pas qui parle en lui, l’optimiste ou le physicien qui décortique tout.
Peut-être les deux.