Comment un article sur New York m’a attiré les foudres de millions de personnes
Un soir, il y a quelques semaines, on m’a envoyé un article. Il était environ 22 heures et j’étais sur le point d’aller me coucher, mais je l’ai lu quand même.
Il avait été écrit par un homme que je connaissais très bien. Nous étions amis depuis des dizaines d’années. Dans cet article, il me démolissait complètement et divulguait des détails insolites – et inventés – sur ma vie.
Je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit.
Le lendemain matin, en me réveillant, j’ai vu que j’avais reçu une menace de mort.
« Retourne donc dans l’Iowa. Tu n’es même pas un vrai New-Yorkais. »
Tout ça à cause d’un article que j’avais écrit quelques semaines plus tôt. Je dois admettre que c’est sans doute le seul texte que j’ai eu peur de mettre en ligne avant de cliquer sur « publier ». Dans tous mes autres articles, il y a toujours eu une lueur d’espoir ou d’optimisme. Quelque chose auquel les lecteurs pouvaient se raccrocher.
Mais pas dans celui-ci.
Heureusement, j’avais mon acte de naissance à portée de main. Je l’ai pris en photo et je l’ai envoyé au type qui m’avait agressé.
D’abord, je suis né et j’ai grandi à Manhattan. Et j’ai passé toute ma vie d’adulte à New York.
Mais de toute façon, qu’est-ce que ça peut faire ?
Dans mon article d’origine, intitulé « New York est fini pour toujours », j’ai raconté mon histoire d’amour avec cette ville. J’ai expliqué pourquoi je l’aimais tant. J’ai ensuite détaillé tous les problèmes réels qui la touchent actuellement, en m’appuyant sur des sources légitimes.
J’ai également insisté sur un point particulier : la généralisation du télétravail en raison de l’augmentation de la bande passante, ce qui va inciter les gens à déménager hors des grandes villes.
Cet article est devenu viral en une nuit. De nombreuses personnes étaient d’accord avec moi, mais j’en ai également contrarié beaucoup d’autres. Aujourd’hui, presque tout le monde sait que mon texte a particulièrement énervé l’un de mes humoristes préférés, Jerry Seinfeld. À tel point qu’il m’a répondu dans une tribune en me traitant de « couillon » et qu’il en a même parlé à la télé !
Jerry Seinfeld, sérieusement ? Mais pourquoi ? La suite de l’histoire ici…
Je fais du stand-up depuis cinq ans. Je suis copropriétaire d’un comedy club. N’importe quelle autre personne de n’importe quel autre secteur aurait probablement pu écrire une excellente tribune au vitriol à mon égard. Je suis loin d’être irréprochable.
Mais le coup de gueule de Jerry Seinfeld, le roi de l’humour, était une drôle d’attaque personnelle contre moi.
Je comprends ce qu’il veut dire quand il parle de l’énergie et de la résilience de cette ville. Il est évident qu’il adore New York, mais je me demande bien pourquoi il a tourné ses propos de cette façon.
J’ai bien conscience de la résilience de New York. Le 11 septembre 2001, je me trouvais au pied du World Trade Center. J’ai vécu sur Wall Street pendant la crise financière de 2008. J’étais à New York pendant toute la pandémie. J’ai participé aux manifestations qui se sont déroulées dans les rues.
Bizarrement, toute cette histoire est devenue « la querelle entre Jerry Seinfeld et James Altucher ».
Je ne vais pas prétendre le contraire, j’aime qu’on lise mes articles. Tous les auteurs aiment être lus. Mais je vais être clair : je n’avais pas prévu que les choses prendraient cette tournure, et cela ne me plaît pas du tout. Cette histoire m’a attiré beaucoup d’ennuis. Mes enfants ont été harcelés. Mon club a été vandalisé.
Au moins, cette situation a le mérite de m’apprendre à rester stoïque, à me blinder davantage. Je me suis mis à dos certains membres de ma famille et des amis proches. Je me suis vraiment obligé à ne pas sombrer dans la négativité.
Heureusement, c’était réconfortant de savoir que la plupart des personnes qui vivent hors de New York ne me détestent pas (apparemment).
Ce qui m’étonne, c’est que je ne suis pas le seul à m’être exprimé sur ce sujet. Beaucoup d’autres articles déplorant la disparition de la ville que nous avions connue ont été publiés un peu partout.
Alors je me demande bien pourquoi mon texte est sorti du lot.
Ce n’est pas une question rhétorique. Je voulais vraiment une réponse. Je me suis donc tourné vers Brendon Lemon, l’auteur du livre The Power Bible, qu’il a coécrit avec William Beteet (et dont j’ai écrit l’avant-propos).
Brendon et William sont des experts en « frame control« , une technique qui permet de se servir de compétences comme la persuasion et la confiance en soi pour prendre le pouvoir dans n’importe quelle situation.
J’ai demandé à Brendon si j’avais réussi à prendre, d’une manière ou d’une autre, le contrôle d’une espèce de cadre de pensée global. Voici ce qu’il m’a répondu :
Tout d’abord (ne te vexe pas), il faut garder en tête que Jerry Seinfeld jouit d’un statut bien plus important que toi.
(Sans blague ?)
Dans le monde du spectacle, il est au sommet de la pyramide. Il a créé l’une des séries télévisées les plus populaires qui soient. Il est milliardaire. Pour certaines personnes, il fait partie des cinq plus grands humoristes de tous les temps…
Sa tribune rédigée en réponse à ton article a immédiatement contribué à revaloriser ton propre statut. Imagine que Donald Trump me désigne dans un tweet. Les gens se poseraient des questions : « Pourquoi Donald Trump parle-t-il de ce type sur Twitter ? Quelles sont ses raisons ? » Il n’y a que deux possibilités : soit ce buzz améliore ton statut, soit cela nuit au sien, de manière implicite.
Dans les deux cas, c’était étrange, parce que ton article était, je crois, une compilation pêle-mêle de réflexions et de sentiments personnels sur la situation désespérée dans laquelle se trouve New York.
L’idée que Jerry Seinfeld éprouve le besoin de te répondre suggère deux choses : soit il a pris le fait que tu appartiennes au monde du stand-up comme un affront personnel, soit ton texte a froissé sa susceptibilité, pour je ne sais quelle raison.
Cependant, voici comment tu as vraiment pris le contrôle de cette situation : non seulement il n’a nié aucun des faits que tu cites, mais il n’a pas fourni un seul argument solide lui-même.
Si les gens ont réagi avec autant de virulence à ton article, c’est parce qu’ils pensent implicitement que tu as vu juste. En s’y opposant, ils acceptent implicitement la réalité que tu décris.
Ils n’ont donc pas réagi parce que tu te trompais. Au contraire, les cadres de pensée que tu établis dans ton article ont trouvé un écho chez les lecteurs à la fois sur le plan intellectuel (ce qui veut dire que les gens ont accepté les données présentées et n’ont pas pu les réfuter) et sur le plan émotionnel (ce qui veut dire que la souffrance et les émotions qui se dégagent de ton texte sont réelles, elles aussi).
Ces deux cadres apparaissent très clairement dans ton premier article. C’est pour cela qu’il a suscité autant de réactions soudaines dans les médias. Tout le monde s’est rendu compte que tu avais raison et que si l’on aimait vraiment New York, il fallait accepter cette réalité, car il faut d’abord admettre le problème pour pouvoir le résoudre.
C’est comme si je disais : « La femme que j’aime est alcoolique » et qu’on me répondait : « Mais pourquoi tu la détestes ? »
J’adore cette comparaison. J’ai dit à Brendon que j’allais la lui piquer.
Pour être honnête, je n’ai pas eu l’impression de prendre le contrôle de quoi que ce soit. Dans ce genre de situation, on a tendance à ne prêter attention qu’à la minorité bruyante à cause de biais cognitifs. On a tous tendance à se focaliser sur les choses négatives – c’est à cela que l’humanité doit sa survie.
J’ai toujours eu la peau dure. Cela fait 18 ans que j’écris des textes qui ne font pas toujours l’unanimité. Pourtant, étrangement, cette expérience est la plus douloureuse qui me soit arrivée. J’ai dû vraiment me blinder. Il m’a fallu un jour ou deux pour parvenir à cesser de réagir à toute cette négativité.
Malheureusement, mon silence a empiré les choses. Les attaques sont devenues de plus en plus personnelles, car les gens se sentaient de plus en plus sûrs d’eux. Ils prenaient exemple sur Jerry Seinfeld et Andrew Cuomo [NLDR : le gouverneur de New York].
Malgré tout, le fait de voir les gens réagir de manière si viscérale à mon article s’est aussi révélé très gratifiant.
Comme l’expliquent Brendon et William dans The Power Bible, on sait qu’on est sur la voie du succès quand on fait face à un nombre croissant d’ennemis.
« Tu as atteint un niveau suffisamment élevé pour que le roi du stand-up tente de te mettre hors jeu », a ajouté Brendon.
J’ai écrit un autre billet en réponse à la tribune de Seinfeld. Depuis, j’ai lu plusieurs articles qui analysaient notre « querelle », phrase par phrase.
À une époque où les gens ne sont même plus capables de se concentrer sur une vidéo TikTok de 12 secondes, 30 millions de personnes débattent d’un article de 5 000 mots que j’ai écrit à propos de New York.
Certains m’ont accusé de n’être qu’un opportuniste. D’être venu à New York pour les nombreuses perspectives qu’offre la ville et de m’enfuir à la première difficulté. Tout d’abord, rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Je suis là depuis le début.
Ensuite, j’ai du mal à comprendre pourquoi le mot « opportuniste » serait péjoratif.
J’ai cinq enfants. Comme tout le monde, je nourris des espoirs, des rêves et des ambitions. Bien évidemment, je n’hésite pas à saisir les occasions qui se présentent à moi, tant que cela ne fait de mal à personne, que cela reste conforme à mes valeurs et que je reste honnête. Qui ne le ferait pas ?
D’autres pensent que je devrais rester à New York pour soutenir mes concitoyens. C’est ce que j’ai fait, soit dit en passant.
Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : les opportunistes soutiendront leur ville, car le fait de vivre au sein d’une communauté prospère est dans leur avantage.
« Parmi toutes les réactions que j’ai pu lire en réponse à ton article, aucune ne présente d’arguments vraiment convaincants. C’est la raison pour laquelle ce sont toutes des attaques personnelles. Les auteurs ne sont pas en mesure de contre-argumenter », a conclu Brendon.
Le vrai problème, il est là : à cause de la diminution des recettes fiscales, le maire de New York, Bill de Blasio, envisage de licencier 22 000 fonctionnaires. Des urgentistes, des policiers, des éboueurs, des agents des transports publics, des enseignants. Des travailleurs essentiels à la croissance de cette ville, pour nos enfants comme pour nous. Bill de Blasio a également annoncé que les restaurants ne pourraient pas accueillir de clients en salle avant un certain temps, ce qui veut dire que 95% des établissements vont faire faillite. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la communauté.
D’un autre côté, de nouvelles perspectives s’ouvriront dans le reste du pays, comme jamais auparavant.
Alors oui, je suis opportuniste. Mais en fin de compte, je suis surtout optimiste.