J’aime beaucoup vous présenter les livres les plus marquants que j’ai pu lire. Je continuerai de vous en proposer régulièrement dans de prochaines lettres, en fonction de mes inspirations et de mes lectures du moment.
Je ne crois pas qu’un seul livre ait le pouvoir de changer votre vie. Vu le nombre d’ouvrages que vous avez lus et lirez au cours de votre existence, il y en a sans doute plusieurs – et même beaucoup, j’espère – qui vous marqueront durablement. Si un livre ne laisse pas la moindre trace dans votre vie, à quoi bon le lire ?
Mastermind: How to Think Like Sherlock Holmes, de Maria Konnikova (non traduit)
Un jour, j’ai sauvé l’économie mondiale.
C’était en mars 2009. Je vivais à l’angle de Broad Street et de Wall Street, à une époque où PERSONNE ne voulait habiter sur Wall Street.
J’étais encore en plein divorce et je perdais chaque jour plus d’argent que je ne le croyais possible. Chaque fois que je jetais un oeil à mon compte en banque, j’envisageais sérieusement de sauter par la fenêtre. Tous mes amis m’avaient abandonné. Plus personne ne m’adressait la parole.
Et en plus, le marché s’était effondré : il était à son plus bas depuis 13 ans. Lorsqu’il est descendu à 666 points, j’ai cru que c’était un signe de l’apocalypse. Mais ce n’était pas tout. Globalement, les dix années précédentes avaient été difficiles. Je crois que l’ensemble du pays souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique collectif à cause des différentes catastrophes qui s’étaient enchaînées depuis dix ans : la bulle Internet, le 11-Septembre, la bulle immobilière et la crise financière qui en avait découlé…
Cela semblait interminable. Chaque matin, toutes les personnes qui venaient travailler au New York Stock Exchange faisaient une tête d’enterrement. Jamais je n’avais vu de mines plus lugubres.
Un jour, j’en ai eu marre. J’ai décidé d’arrêter de m’appesantir mes propres problèmes, et j’ai échafaudé un plan.
J’ai acheté une boîte de chocolats et je me suis posté devant les portes du NYSE. J’ai commencé à distribuer des chocolats à chaque personne qui entrait. Le cacao contient une molécule appelée phényléthylamine, la même que celle produite par l’organisme quand on tombe amoureux.
En arrivant, les gens levaient la tête ; leur visage morne s’éclairait à la vue du chocolat.
Ce jour-là, tout le monde s’est senti un peu moins déprimé que la veille, et un peu plus près du coup de foudre.
C’était un lundi. À la fin de la semaine, le S&P 500 avait progressé de près de 75 points. À la fin du mois, il avait gagné 125 points. Et il n’a jamais cessé de grimper depuis.
Tadam !
C’est ainsi que j’ai sauvé l’économie mondiale.
Ce qui est drôle, c’est que ma vie a commencé à s’améliorer dans la foulée, elle aussi.
Vous voyez ? Tout est bien qui finit bien.
Si je vous raconte cette histoire, c’est parce qu’elle illustre bien le fonctionnement de nos deux cerveaux.
D’un côté, le cerveau émotionnel, celui qui génère des réactions primaires vives. C’est également lui qui régit notre intuition et qui nous fait parfois agir en pilotage automatique (par exemple, quand vous arrivez au travail le matin et que vous n’avez aucun souvenir du trajet que vous venez de faire en voiture).
De l’autre, le cerveau cognitif, celui qui prend son temps pour analyser les choses en profondeur, et qui s’appuie sur la pensée rationnelle et la logique. C’est lui qui nous rend créatifs et nous permet de résoudre des problèmes complexes.
Mon cerveau émotionnel et intuitif voulait continuer à s’appesantir sur mes problèmes personnels comme un hamster dans sa roue, sans jamais trouver de véritable solution.
En revanche, mon cerveau cognitif a décidé de prendre du recul afin de trouver une solution simple à un problème plus global.
La psychologue Maria Konnikova s’appuie sur les personnages de Sherlock Holmes pour illustrer le fonctionnement de ces deux cerveaux, avec d’un côté le système Watson (le cerveau émotionnel, plus vif) et de l’autre le système Holmes (le cerveau plus réfléchi, plus lent).
Elle explique que la plupart d’entre nous sont contrôlés par le cerveau Watson, qui nous maintient sur notre roue de hamster.
En revanche, les capacités du cerveau Holmes et les stratégies de réflexion du célèbre détective (comme le fait de considérer le cerveau comme un grenier où on peut ranger toutes les informations importantes) peuvent nous aider à être plus créatifs, à résoudre des problèmes plus complexes, à approfondir notre réflexion, etc.
Vous ne deviendrez sans doute pas le plus grand détective du monde, mais ce livre explique bien comment nos cerveaux fonctionnent et comment faire pour renforcer leurs capacités.
Au début des années 1990, j’ai écrit quatre romans et une centaine de nouvelles qui n’ont jamais été publiés. J’envoyais peut-être 20 ou 30 lettres par jour à des éditeurs. Je n’ai jamais reçu aucune réponse positive.
À la place, j’ai trouvé un emploi chez HBO. Je leur ai fait part de mes idées et j’ai continué d’essuyer des refus. Puis j’ai fondé mon entreprise de développement de sites web. HBO fut mon premier client. J’ai vendu cette société pour des millions de dollars, et j’en ai créé plusieurs autres par la suite. J’ai écrit une vingtaine de livres. Et aujourd’hui, mon travail consiste actuellement à écrire tous les jours.
Born a Crime: Stories from a South African Childhood, de Trevor Noah (non traduit)
La naissance de l’humoriste Trevor Noah était littéralement illégale. Son existence même était un crime.
Il est né en Afrique du Sud, pendant l’apartheid. C’est, à mon avis, l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’humanité. Son père était blanc, sa mère était noire. À cette époque, les relations interraciales étaient passibles de cinq ans d’emprisonnement.
Trevor a donc passé la majeure partie de son enfance chez lui.
Les rares fois où il était autorisé à sortir, sa mère, son frère et lui couraient un danger permanent. La violence et la peur faisaient partie du quotidien.
Une histoire m’a marqué dans le livre de Trevor : celle qui concerne le système de bus. Les personnes noires n’étant pas autorisées à utiliser les bus publics, un réseau « clandestin » s’est développé. C’est plus ou moins devenu un système de crime organisé. Quelqu’un qui volait l’itinéraire ou les clients d’un autre conducteur le payait de sa vie.
Un jour, alors que Trevor, sa mère et son petit frère se trouvaient dans un de ces bus, le conducteur s’est rendu compte qu’ils appartenaient à un autre groupe ethnique. Il s’est mis à harceler la mère de Trevor, à l’insulter, à accélérer le bus pour la faire tomber, à la menacer de viol et de mort.
Dès que le bus a ralenti à l’approche d’un carrefour, la mère de Trevor a ouvert la porte. Elle l’a poussé dehors et a pris son petit frère dans les bras avant de sauter du véhicule, elle aussi. Elle a crié à Trevor de courir, car le conducteur était descendu et s’était lancé à leur poursuite.
« Si ma vie avait été différente, me faire éjecter d’un minibus lancé à toute vitesse m’aurait peut-être perturbé, écrit-il. Mais ce ne fut pas le cas. Maman m’avait dit de courir, alors j’ai couru. Comme la gazelle fuyant le lion, j’ai couru. »
Trevor, sa mère et son petit frère, tremblants et en sang, ont trouvé refuge dans une station-service. Ils ont brièvement discuté de la volonté de Dieu et estimé qu’ils auraient sans doute dû rester à la maison ce jour-là. Et enfin, ils ont tous éclaté de rire au milieu du parking, malgré le sang et la poussière.
« Rire ensemble malgré la souffrance, sous les néons d’une station-service. »
Est-ce en raison de son histoire personnelle que Trevor Noah est devenu un excellent humoriste ?
Je ne sais pas. Peut-être. Peut-être pas. Peut-être que pour supporter une enfance marquée par la peur, la violence et l’oppression, il a dû trouver un moyen de rire en dépit de la souffrance, comme il le dit. Ou peut-être qu’il est né avec des talents d’humoriste, tout simplement.
Quoi qu’il en soit, son autobiographie est fascinante. Dans son livre, Trevor Noah réussit à trouver la juste dose d’émotion, d’esprit et d’humour, et à nous faire rire malgré une histoire des plus sombres.
Lexicon, de Max Barry
Je ne recommande presque jamais de romans. Il en existe des centaines de genres différents, il est donc impossible de trouver un livre susceptible de plaire à tout le monde.
Toutefois, je m’autorise à faire une exception lorsque je tombe sur un roman dont le message est universel.
C’est le cas de Lexicon. Je vais d’abord vous en résumer l’histoire en deux mots, puis je vous parlerai du message de ce livre.
C’est un thriller de science-fiction à propos d’une école secrète où les élèves apprennent l’art de la persuasion.
Plus précisément, on leur apprend à décrypter les gens, à comprendre leur psychologie et à utiliser le langage et les mots d’une façon bien particulière pour manipuler et contrôler leur esprit.
Les élèves les plus doués de l’établissement sont élevés au grade de « poètes » et intègrent une organisation secrète. Les poètes prennent une fausse identité, car leur vrai nom peut être utilisé contre eux. Ils refoulent leurs émotions, car elles aussi peuvent servir d’armes.
Ils ne peuvent donc pas développer de relations intimes avec les autres… ni tomber amoureux.
On suit l’histoire de deux personnages principaux.
Le premier est une jeune orpheline qui intègre l’école après avoir été repérée dans la rue, où elle vivait du bonneteau, une escroquerie qu’elle maîtrise à la perfection. Elle devient l’un des prodiges les plus talentueux de l’établissement… jusqu’à ce qu’elle commette une grave erreur.
Le deuxième personnage est un jeune homme, qui est un jour piégé dans des toilettes publiques. Il apprend que sa vie entière est un mensonge et qu’il est au centre d’une rivalité entre deux groupes de poètes. Il doit s’enfuir pour échapper à ses poursuivants, tout en essayant de découvrir qui il est réellement.
Ce roman très intense est vraiment intéressant. Je ne sais pas s’il vous plaira. Il ne sera peut-être pas à votre goût, et ce n’est pas grave.
Ce qui compte le plus, c’est son message : le pouvoir de la persuasion. C’est un sujet sur lequel j’écris beaucoup.
La persuasion est une compétence importante. Les mots sont puissants ; lorsqu’ils sont bien choisis, ils peuvent assurément permettre de convaincre qui que ce soit.
Donald Trump est un très bon exemple. Presque personne ne pensait qu’il réussirait à convaincre les électeurs avec ses discours, mais il a tout de même persuadé les États-Unis de voter pour lui. (Cela dit, cette technique n’a pas marché la seconde fois.)
J’ai mis au point mes propres stratégies de persuasion. Je les ai beaucoup mises en pratique, avec succès : j’ai probablement abordé plus de 3 000 personnes de but en blanc pour leur présenter mes idées dans le cadre d’un « elevator pitch« .
Un semestre avant la remise des diplômes, à l’université, j’ai également réussi à persuader le gestionnaire administratif de ne pas me renvoyer, alors que je n’avais pas la moyenne requise.
En bref, je pense que ce livre utilise très bien tous les outils de la fiction (intrigue, développement des personnages, etc.) pour illustrer le pouvoir de la persuasion. Les mots sont plus qu’un moyen de communication. Lorsqu’on les associe et qu’on les utilise correctement, ils sont en mesure de convaincre presque n’importe qui de n’importe quoi.