En 2015, j’ai jeté presque tout ce que je possédais. Dès lors, toutes mes affaires se trouvaient dans un seul sac.
Et je suis parti.
Pendant deux ans, je m’installais dans des endroits au gré du hasard, dans des Airbnb, ou je faisais appel à des sociétés qui proposaient des chambres ou des maisons à partager.
Je n’avais pas de voiture, je n’ai même pas le permis de conduire. Je n’avais pas de livres en version papier. Je ne lisais que des livres numériques.
Je retire ce que j’ai dit. J’ai volé un livre. L’Odyssée de Pi. Je l’avais trouvé dans l’un des endroits où je m’étais installé, et comme je ne l’avais pas fini, j’ai décidé de le garder. Je ne l’ai pas encore fini car j’ai arrêté de le lire.
Je n’avais pas d’assurance maladie. Je n’avais pas été chez le médecin depuis 30 ans. Alors pourquoi payer une assurance ?
Quelqu’un m’a dit que c’était illégal. OK… Alors venez me chercher.
J’avais deux pulls. J’achetais des t-shirts ou des sous-vêtements tous les deux ou trois jours. J’avais deux pantalons. J’avais deux chemises froissées.
Parfois, mes vêtements étaient sales. Je suis un peu dégoûtant.
Quand je m’installais quelque part, c’était toujours meublé. C’est pourquoi je n’avais pas besoin de draps, de lit, de meubles. Je ne faisais qu’utiliser temporairement ce que les autres avaient accumulé.
Il m’arrivait de me faire livrer mes repas et parfois je m’achetais à manger au magasin tous les jours. Je ne suis pas adepte de la malbouffe, donc je ne consommais aucun autre aliment. En l’espace de six mois, j’avais perdu entre 5 et 7 kilos.
C’est le seul régime qui me convient. Ne mangez pas de cochonneries. Essayez de vous en tenir à deux repas. Quand je dis « régime », je ne veux pas dire « perdre du poids », il s’agit juste de manger sainement. N’encombrez pas votre estomac et vos intestins avec des rations supplémentaires.
J’écrivais à l’époque sur un petit ordinateur portable. Si je n’écrivais pas, je n’aurais pas eu d’ordinateur portable. Je me serais contenté d’utiliser mon téléphone.
Je téléphonais environ une à deux fois par jour. Je répondais parfois à des SMS.
Comme je n’avais pas d’adresse fixe, personne ne savait où j’étais.
Cette façon de vivre m’a permis d’apprendre de bonnes et de mauvaises choses.
A) LES OBJETS
Ma relation avec les objets a changé. J’observais comment les autres organisaient leur vie autour des objets qu’ils possédaient.
Leurs œuvres d’art, leurs meubles, leurs décorations. La façon dont ces personnes traitaient leurs photographies et leurs livres.
Les gens greffent leur personnalité à leurs objets. Parfois, ils greffent ce qu’ils voudraient être. Et parfois, ils greffent qui ils sont. Ou entre les deux.
Je ne faisais rien de tout ça. Je ne possédais aucun objet. J’empruntais simplement les objets et les personnalités des autres pour une courte période, puis je m’en allais.
Déménager aussi souvent signifie que je ne pouvais rien acheter de neuf. Je n’avais que de nouveaux horizons.
B) LE MINIMALISME N’EST PAS BON MARCHÉ
Les gens pensent que s’ils se lancent dans le minimalisme, ils économiseront de l’argent.
C’est peut-être vrai à long terme parce que (comme je viens de le dire) je n’achetais les mêmes choses que bon nombre de propriétaires.
Mais parfois, ça coûtait cher de déménager. Et parfois, acheter de nouvelles chemises et de la nourriture était onéreux.
Mais le coût de l’alimentation, de l’habillement et de l’entrepreneuriat a diminué au cours des 40 dernières années. Contrairement au coût de l’assurance, de l’éducation et de l’accès à la propriété.
J’achetais des expériences, voilà mes principales dépenses.
Je ne pouvais rien acheter d’autre car je ne pouvais rien transporter de plus lorsque j’allais d’un endroit à l’autre.
C) AUCUN CONTACT
Comme j’utilisais des plateformes comme Airbnb, je n’avais jamais affaire à des êtres humains. Pas de propriétaires, pas de pensions, pas de vendeurs, pas d’agents immobiliers.
Habituellement, la clé était cachée quelque part. Je la trouvais, j’emménageais, puis je la remettais où je l’avais trouvée lorsque je quittais les lieux.
D) LES AMIS SONT RÉELS
Rien dans l’endroit où j’étais à un « instant T » n’était réel. Je ne possédais aucun des objets qui se trouvaient là (il y avait une photo de Naomi Campbell nue en face de moi ; elle ne m’appartenait pas mais je la regardais).
Je n’utilisais même pas la plupart d’entre eux puisque je ne les avais pas choisis et je ne savais même pas à quoi beaucoup d’entre eux pouvaient bien servir.
Mais quand j’invitais des amis, je vivais quelque chose de réel. On était tous dans un nouvel endroit. Nous pouvions parler.
Au cours de ces années, j’ai rencontré mes amis dans différents endroits et j’ai donc vécu diverses expériences. J’ai loué une pièce dans une librairie et j’y ai passé du temps avec certains amis. J’ai invité des amis pour Thanksgiving, Noël et le Nouvel An.
J’ai peur de l’avion mais j’ai tout de même rendu visite à des amis.
Je vivais de plus en plus de choses, mais j’avais de moins en moins d’objets. Je faisais vivre à mes amis ce que je vivais moi-même.
E) EXPLORER
J’aime me sentir perdu. J’aime sentir que c’est mon premier jour sur cette planète.
Quand j’étais dans un nouvel endroit, j’explorais la vie des gens qui y vivaient. Je voyais leurs livres, les ordures qu’ils laissaient traîner. Les photos des trente dernières années qu’ils avaient vécues. Ou l’absence de tout cela, tout aussi révélatrice.
Quand je déambulais dans les rues, c’était un nouveau paysage. Une nouvelle série d’endroits. De nouvelles personnes qui se promenaient. Je respirais à fond. Je pouvais explorer comme quand j’étais petit.
Je me promenais et tout était nouveau.
F) MA MAROTTE
Tout le monde trouve sa marotte. Ҫa peut être à quel point on a besoin de prendre sa retraite. Ou de vivre. Ou de dire à son patron d’aller se faire voir.
Je ne sais pas quelle est ma marotte. Mais elle me préoccupait moins que tous ceux que je connais. Parce que je ne voulais rien. Je ne voulais rien de nouveau, à part le style de vie que j’avais.
Si j’avais voulu revoir mon niveau de vie à la baisse, j’aurais pu le faire sans aucun problème. Si j’avais voulu monter en puissance, j’aurais aussi pu le faire sans problème. Mais je ne voulais pas.
Je ne serai jamais propriétaire d’une maison. Je ne veux pas envoyer mes enfants à l’université pour toutes les raisons dont j’ai déjà parlé. Dans le monde actuel où l’esprit d’entreprise est vif, je pense que l’entrepreneuriat devrait être gratuit. (C’est d’ailleurs pour moi l’une des meilleurs alternatives aux études supérieures.)
Quel que soit l’endroit où je me trouve, je peux écrire, travailler, vivre et aimer. Chaque jour, j’essaie de tendre la main à des personnes afin de vivre de nouvelles expériences. Mais c’est tout.
Si je jette un coup d’œil à ces deux années, je constate que mes dépenses ont exclusivement été consacrées aux expériences que j’ai vécues et à la nourriture que j’ai avalée. Les expériences sont toujours plus précieuses que les objets.
Les gens n’accordent quasiment aucune valeur aux expériences et beaucoup trop aux objets. En fait, quand les expériences sont les seules choses qui ont de la valeur, l’importance accordée aux objets s’estompe et ils finissent par devenir indésirables et ennuyeux.
Une expérience est une histoire. Un objet devient un souvenir oublié.
C’est pourquoi j’aime acheter bon marché et vendre cher.
G) LES RACINES
Je n’avais pas de racines. Aucun endroit n’était réellement « chez moi ».
Je ne sais pas dans quelle mesure c’est bien ou non.
En 2017, j’ai donc décidé de changer radicalement. Pourquoi pas ?
J’ai trouvé un endroit qui me plaisait. Pour moi, une nouvelle expérience consistait à vivre dans un endroit pendant quelques semaines au moins.
La propriétaire est une musicienne bien connue. Elle déménageait à Nashville pour y exercer son art et laissait derrière elle son appartement totalement meublé. Trois pianos.
J’ai dû me reconnecter au monde.
J’ai dû obtenir deux références personnelles. Deux références professionnelles. Une référence d’un ancien propriétaire. Deux ans de déclarations d’impôts. Deux relevés bancaires. Une lettre de mon comptable.
J’ai dû verser non seulement deux mois de loyer d’avance, mais aussi deux mois de dépôt de garantie car mon dossier n’était pas bon.
J’ai dû écrire une lettre expliquant pourquoi j’aimais cet endroit. J’ai dû écrire une autre lettre pour expliquer pourquoi je n’avais jamais eu de carte de crédit. J’ai dû rencontrer les autres personnes de l’immeuble (elles étaient toutes gentilles, donc j’étais heureux).
Et au moment de franchir le cap, j’avais peur. J’avais peur de m’engager à rester dans un endroit pour un an.
D’avoir un domicile. De commencer à acheter des choses pour le meubler. Peut-être même des livres. Peut-être plus de vêtements. Peut-être que j’allais trop m’identifier au quartier et que j’allais avoir trop peur de le quitter ensuite.
Je ne savais pas. Chaque fois que je me suis « enraciné », toute ma vie a changé. Pour être honnête, j’étais terrifié. J’ai toujours éprouvé une forte angoisse lorsque j’ai emménagé dans un endroit pendant plus d’une semaine.