Le 7 juin dernier au Parlement étaient discutées deux propositions de loi contre la manipulation de l’information déposées par le parti de la majorité présidentielle, La République en Marche.
Si les propositions de loi sont en effet discutables – par ailleurs, l’expression « fausses informations », trop binaire, a été remaniée en « manipulation de l’information », plus subjective – certains amendements subtilement glissés dans ces propositions interpellent sur les intentions liberticides du pouvoir en place.
Ainsi, plusieurs d’entre eux (comme celui-ci) proposent une « labellisation » ou une « certification » des médias par l’État, laissant ainsi à ce dernier toute latitude pour dénigrer un titre de presse qui ne ferait pas preuve de suffisamment d’indulgence envers son mode de gouvernance.
Très critique envers le système médiatique depuis son arrivée au pouvoir, le président Macron avait surpris tout son monde en annonçant en juillet dernier par l’intermédiaire de son porte-parole qu’En Marche ! souhaitait « se constituer comme un média« . Le parti présidentiel avait ainsi recruté des rédacteurs et des vidéastes et souhaitait « développer des contenus, de manière décentralisée ». « Si les médias n’y vont pas, on ira. »
Un tel système de notation réduirait en effet la portée des voix encore discordantes et éviterait au parti de se sacrifier sur l’autel du journalisme d’investigation.
Confronté à une levée de boucliers quasi unanime, aussi bien au sein de la classe politique que dans les médias, le gouvernement a été contraint de repousser les débats au mois de juillet.
Il y a donc peu de chances que ces amendements parfaitement propices à une propagande d’État ne voient le jour – même le jour d’un match de Coupe du monde de football. Mais les insolentes propositions de certains parlementaires doivent nous encourager à rester vigilants.
Plus préoccupants parce que plus acceptables par le grand public sont les arguments de certains frondeurs, pour qui le problème n’est pas tant la notation subjective des titres de presse que la légitimité de l’État à mener ce combat.
Qui donc aura l’outrecuidance de s’introniser maître ès objectivité ?
Le journal Le Monde s’y était risqué en février 2017, en tentant le Décodex. À la faveur de ces débats redondants sur la liberté de l’information, permettez-moi de republier cet article qui parut dans la foulée de cette initiative, et qui fait tristement écho aux desseins actuels de certains hommes de pouvoir.
Décryptage de décodeur
Dans son livre La fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie, Noam Chomsky écrit :
« Le public n’est pas souverain dans le domaine des médias. Propriétaires et gestionnaires en quête de publicité décident de l’offre sur laquelle le choix du public devra se porter. »
Difficile de trouver réflexion plus d’actualité, alors que le groupe Le Monde vient de dévoiler le 1er février dernier son « Décodex », une « boîte à outils » censée « lutter contre la diffusion des fausses informations ».
Le principe ? Vous entrez l’adresse web du site d’informations que vous souhaitez évaluer dans le moteur de recherche, et Décodex vous indique si cette source est digne de confiance, ou pas. Un système de pastilles de couleurs note leur fiabilité : gris pour les sites collectifs – type wikipédia –, rouge pour les sites « pas du tout fiables, complotistes ou trompeurs », orange pour les sites « peu fiables ou très orientés », vert pour les sites « très fiables ».
Inutile de préciser que Le Monde s’est auto-attribué cette dernière distinction.
Faut-il être à ce point sûr de son pouvoir pour s’ériger en juge de l’information alors même qu’on en est partie ? Curieuse époque tout de même que celle où les journaux mainstream – financés par l’État, tenus par les magnats de la Presse et les annonceurs – estiment dominer si fièrement les débats qu’ils se permettent de les arbitrer.
Ainsi, gare à ceux qui tenteraient de diffuser des informations discordantes, pas assez « orientées » vers leurs intérêts : ceux-ci seraient alors immédiatement décrédibilisés aux yeux du Monde.
Certes, l’intention est louable : le média Internet a bouleversé le secteur et il est nécessaire de séparer le bon grain de l’ivraie pour ne pas s’étouffer. Mais ne sommes-nous pas capables de le faire nous-mêmes ? C’est encore notre droit le plus strict ! Surtout, si Le Monde continue de se présenter comme le « quotidien de référence », il en oublie que cette définition ne fait pas l’unanimité.
Et c’est bien là le problème : détenu par Xavier Niel, Pierre Bergé et Mathieu Pigasse, le groupe de presse rassemble toute une flopée de publications que le « Décodex » n’aurait jamais égratignées. En profitant de son statut de privilégié, il distribue les bons et les mauvais points comme s’il ne faisait pas partie de la classe. On le rebaptiserait volontiers « le quotidien de déférence » si cette considération pour le reste des élèves n’était pas aussi condescendante.
À bien y réfléchir, cette initiative ressemblerait presque au baroud d’honneur d’une certaine presse d’élite qui voit son aura se déliter devant la défiance des citoyens.
Bien tenté ! Mais vous et moi continuerons de décoder l’information avec curiosité et vigilance, selon notre propre grille de lecture.