Commençons cet article d’Investissements Personnels avec un extrait du Late Show with David Letterman [NDLR : talk-show américain, diffusé sur CBS entre 1993 et 2015].
Dans l’émission du 27 novembre 1995, David Letterman interroge Bill Gates au sujet d’Internet.
David Letterman : Il y a deux mois de cela, il a été annoncé qu’un match de baseball serait retransmis sur Internet. Les gens pourraient alors écouter le match sur Internet. Je me suis fait la réflexion que la radio faisait parfaitement le job pour ça…
(rires)
Bill Gates : Il y a une différence. Ce n’est pas une différence énorme.
David Letterman : Laquelle ?
Bill Gates : Vous pouvez écouter le match de baseball quand bon vous semble.
David Letterman : Oh, je vois. Le match est donc stocké dans la mémoire de l’ordinateur et vous pouvez le réécouter, disons un an plus tard…
Bill Gates : Exactement. C’est ce dont nous avons parlé un peu plus tôt, la RAM.
(pause)
David Letterman : Les magnétophones, ça vous dit quelque chose ?
David Letterman se faisait le porte-voix d’un sentiment largement partagé à l’époque. La plupart des gens ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient pas l’intérêt d’Internet. Cela n’avait aucun sens.
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Internet, cette invention étrange…
Les gens se posaient beaucoup de questions.
Qu’est-ce qu’un courriel ? Que signifie le symbole « @ » ? Que signifie « www » ? À quoi cela sert-il ?
Il suffit de regarder des extraits des reportages d’actualité de l’époque. Les grands médias étaient complètement à côté de la plaque. Ils passaient à côté de l’essentiel. Ils n’étaient pas conscients du fait qu’Internet changerait radicalement le monde.
Pendant des années, ils n’ont pas compris l’utilité d’Internet.
En 1998, Paul Krugman, lauréat de la médaille John-Bates-Clark [NDLR : après le prix Nobel d’économie, que Paul Krugman gagnera en 2008, c’est la distinction la plus prestigieuse en économie] en 1991, écrivait ceci :
La croissance d’Internet va ralentir brutalement car le défaut de la loi de Metcalfe, qui postule que le nombre potentiel de nœuds sur un réseau est proportionnel au carré du nombre de ses utilisateurs, est manifeste : la plupart des gens n’ont rien à se dire ! Lorsque viendra 2005, on se rendra compte que l’impact d’Internet sur l’économie aura été le même que celui du fax : marginal.
Le scepticisme n’a pas reflué avec le temps. Il a augmenté.
Tout comme l’engouement que suscitait Internet.
Au mieux, il s’agissait d’un gadget pour les mordus d’informatique. Au pire, c’était un outil dangereux. Pour certains, Internet était un repaire d’arnaqueurs et de pornographes. Pour d’autres, il permettait au gouvernement de surveiller et de contrôler nos vies en permanence.
Dans le même temps, le gouvernement – longtemps sceptique, puis alarmiste – a décidé d’exploiter Internet à son avantage. Il a même cru pouvoir contrôler les courriels. Certains hauts fonctionnaires ont suggéré la création d’un service de courriel monopolistique contrôlé par l’État et payant. Comment cela fonctionnerait-il ?
(Il ne serait pas surprenant que les devises numériques des banques centrales connaissent un sort similaire.)
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Face au scepticisme, les cryptos sont comme Internet à ses débuts
L’histoire se répète.
Les gens et les États éprouvent le même scepticisme à l’égard des crypto-monnaies qu’à l’époque, au sujet d’Internet. Et pour la plupart d’entre eux (mais pas tous), l’argument est le même…
C’est la même chose, mais en (bien) pire.
En cette époque d’hyper-politisation, nous avons tendance à appréhender tous les sujets sous le prisme d’un clivage gauche vs droite. Ce n’est pas pertinent en ce qui concerne les crypto-monnaies.
La haine (et l’amour) qu’elles suscitent transcende la politique. Il y a plein de gens de gauche qui détestent les crypto-monnaies. Il y a plein de gens de droite qui détestent les crypto-monnaies également.
Les crypto-monnaies comptent de nombreux défenseurs dans l’univers de la technologie, mais elles ont également leur lot de détracteurs. Malgré le côté futuriste de la chose, de nombreux futuristes détestent les crypto-monnaies.
De nombreux dirigeants d’entreprise, dans tous les secteurs, détestent les crypto-monnaies. Un grand nombre de hipsters détestent les crypto-monnaies (car, effectivement, de nombreux mordus des crypto-monnaies sont d’un ennui total). Les crypto-monnaies pourraient révolutionner le secteur du jeu vidéo, mais de nombreux fans de jeux vidéo détestent les crypto-monnaies. De nombreux hauts fonctionnaires détestent les crypto-monnaies, pour des raisons évidentes.
Les banquiers. Les mendiants. Les contrebandiers. Les baptistes.
Tout le monde déteste les crypto-monnaies.
Plus elles gagneront en popularité, plus leurs détracteurs donneront de la voix.
C’est comme ça.
Dans de prochains articles, nous vous expliquerons pourquoi les progressistes, comme les conservateurs, détestent les crypto-monnaies.
(Parfois pour des raisons différentes. Parfois pour les mêmes raisons.)
Je vous expliquerai également pourquoi certains mordus de technologie (comme Jack Dorsey) détestent le Web3. Nous verrons pourquoi le secteur du jeu vidéo déteste le métavers.
Je vous expliquerai pourquoi de nombreux artistes détestent les jetons non fongibles (les fameux « NFT »). Je vous expliquerai pourquoi certains futuristes pensent que les crypto-monnaies créeront une dystopie technologique.
Et je vous expliquerai bien sûr pourquoi les hauts fonctionnaires d’État détestent les crypto-monnaies.
Je vous expliquerai pourquoi ils ont tort et pourquoi ils pourraient avoir raison.
Affaire à suivre…
★★★
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