Nous avons arrêté l’économie à cause des experts. Dans un premier temps, les modèles mathématiques ont calculé qu’il pourrait y avoir jusqu’à 140 millions de morts à travers le monde.
Puis, ils ont dit moins, encore moins, et encore moins, et nous avons arrêté l’économie, et encore moins, et ils se sont trompés sur l’effet de l’arrêt, et encore moins…
Il n’y a rien de tel qu’un expert.
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Mais tout d’abord, deux petites histoires.
En 1799, George Washington attrapa la grippe. Il toussait et avait la fièvre.
Cela fut considéré comme une urgence. L’Américain le plus important était malade !
Durant les 2 000 ans qui ont précédé, le sang avait été considéré comme la force dominante dans le corps. Par conséquent, si quelqu’un était malade, c’est que quelque chose dans le sang avait besoin d’être purgé.
D’où les saignées. Je ne sais pas si on a utilisé des sangsues pour George Washington.
Mais il mourut le lendemain. Pas de la grippe, mais du choc. Trop de sang perdu.
En 1981, il y a seulement 33 ans, Bill Gates déclarait : « Tout le monde n’a pas besoin d’avoir un ordinateur chez lui. »
Personne ne sait de quoi est composé 97% de l’univers (les physiciens appellent cela « énergie noire » ou « matière noire », mais il n’existe pas la moindre théorie sur ce dont il s’agit et qui puisse être vérifiée).
Voici une histoire qui intéressera les investisseurs. Il y a environ une dizaine d’années, une entreprise appelée Odeo fut fondée afin de construire une plateforme de podcast.
Deux des programmeurs élaborèrent un projet annexe. Ce dernier connut un succès plus que limité ; 10 000 personnes s’inscrivirent.
Le PDG était de plus en plus déçu par la plateforme de podcast. Personne ne s’inscrivait.
Il fit donc une offre à tous les investisseurs. Ces derniers étaient parmi les plus prestigieux et les plus sophistiqués de la Silicon Valley et le PDG était un professionnel chevronné.
Il déclara qu’ils allaient se concentrer sur le projet annexe, MAIS que si quelqu’un voulait récupérer son argent, il rachèterait personnellement son investissement au prix coûtant. Personne ne gagnerait d’argent mais personne n’en perdrait non plus.
La totalité des investisseurs professionnels demandèrent à récupérer leur argent.
Puis le PDG renomma son entreprise, qui devint Twitter.
Larry Page et Sergey Brin voulaient s’engager dans une voie universitaire. Ils essayèrent de vendre leur entreprise à Yahoo! pour un million de dollars. Ils essuyèrent un refus. Puis ils essayèrent de la vendre à Excite pour un million de dollars. Refus là aussi. Ils abaissèrent leur prix à 750 000 dollars. En vain.
Ils décidèrent alors de continuer l’aventure.
En 2001, j’eus l’opportunité d’acheter la moitié d’une entreprise appelée Oingo. Elle était à court de liquidités et ma société de capital-risque s’y intéressait. Quelqu’un entra dans mon bureau et me dit : « Nous pouvons sans doute acheter cette société pour une bouchée de pain. »
Oingo était grosso modo un système d’enchères pour des gens qui achètent des mots sur des moteurs de recherche.
Je répondis : « Vous plaisantez ? Tout le business des moteurs de recherche est mort. »
J’étais un expert. Je possédais une société de capital-risque de 120 millions de dollars. J’ai depuis écrit des dizaines de livres « d’expert ».
Oingo changea de nom pour Applied Semantics. Google paya 1% de l’entreprise pour l’acheter et Applied Semantics devint AdSense. Elle représente aujourd’hui 99% du CA de Google. La moitié de l’entreprise vaut actuellement environ 500 millions de dollars, si ce n’est plus.
Par le passé, j’ai créé quelques sites web. Je voulais construire une entreprise à partir de chacun d’entre eux. J’en ai montré un à ma fille de 6 ans. J’étais enthousiasmé par ce site. Pourtant ma fille me dit ceci : « Je ne sais pas. Cela me semble un peu mesquin vis-à-vis des gens. »
Elle avait raison. Personne ne s’y intéressa. Personne ne s’inscrivit. En fait, personne n’avait jamais voulu s’inscrire à aucun des sites web que j’avais créés.
Je décidais d’en tenter un dernier, malgré mes doutes. Ce coup-ci, des millions de personnes s’y inscrivirent et je le vendis huit mois plus tard pour 10 millions de dollars.
S’il fallait diviser le monde entre les experts et les non-experts, qui seraient les experts qui décident ? Qui surveille ceux qui surveillent ?
Le monde universitaire ne peut pas être le critère. Sans recul, qui pourrait dire que vous n’avez pas pris aujourd’hui des décisions, équivalentes aux saignées de George Washington il y a 200 ans ou aux désistements de Twitter ?
L’expérience professionnelle ne peut pas non plus être un critère. Bernie Madoff présida le Nasdaq pendant quelques années et fut un gestionnaire de hedge fund « couronné de succès » pendant des décennies. Enron, Worldcom et AIG étaient des entreprises parmi les plus respectées au monde avant de faire faillite.
La valeur nette fait-elle de quelqu’un un expert ? C’est anecdotique, mais je suis certain que dans chaque domaine possible de la vie, on trouve des gens qui sont des experts qui n’ont pas nécessairement beaucoup d’argent mais sont passionnés par leur domaine.
Un exemple remarquable est celui de Bill James. Il a principalement utilisé les statistiques pour créer une équipe de baseball de renommée mondiale. Ou encore celui de Nate Silver, qui a prédit le résultat des élections dans chaque district congressionnel malgré le fait qu’il n’avait quasiment aucune expérience politique et en dépit de tous les spécialistes qui étaient en désaccord avec lui.
Cela signifie-t-il que nous sommes des idiots ? Je ne sais pas. Je ne suis pas assez intelligent pour répondre à cette question.
En revanche, ce que cela signifie, c’est que chacun de nous a son mot à dire.
Et donc chacun peut choisir d’écouter.