L’inflation ayant atteint l’année dernière ses plus hauts niveaux depuis des décennies, j’affirmais lors d’un séminaire sur la gestion de la fortune privée à Colorado Springs que le marché haussier historique des obligations, qui s’imposait depuis 40 ans, appartenait désormais au passé.
Lors de la réception qui a suivi, un participant m’a pris à part pour me demander des précisions.
« Les obligations sont émises avec une valeur nominale de 1 000 $, a-t-il déclaré. Elles génèrent des intérêts deux fois par an, et vous récupérez vos 1 000 $ à l’échéance. Alors, comment diable un marché des obligations peut-il être haussier ou baissier ? »
Le fait qu’un investisseur expérimenté ait posé cette question est révélateur.
Personne ne l’aurait demandé en 1981, alors que les prix des obligations étaient en baisse depuis des années.
Mais je vais trop vite en besogne. Commençons avec les bases…
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Les obligations : du papier à la réalité
Hormis en cas de défaut, les obligations sont émises et remboursées à 1 000 $ chacune.
Mais les investisseurs n’achètent généralement pas d’obligations lorsqu’elles sont émises, ni ne les conservent jusqu’à la date d’échéance.
Au contraire, la plupart des investisseurs obligataires (et leurs gestionnaires de fonds) les achètent et les vendent sur le marché secondaire.
Étant donné que les obligations rapportent un taux d’intérêt fixe, leur valeur diminue lorsque les taux augmentent (puisque les obligations nouvellement émises rapportent plus).
Et inversement, la valeur marchande des obligations de type investissement augmente lorsque les taux baissent.
Si cela ne se produisait pas, il n’y aurait pas de liquidité dans les obligations.
Après tout, aucun investisseur averti n’achèterait volontairement un titre de créance d’une notation similaire et dont le rendement est inférieur au taux d’intérêt en vigueur.
Le graphique ci-dessous est intéressant en ce sens.
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La fin du marché haussier des obligations ?
Les taux d’intérêt ont fortement augmenté pendant l’hyperinflation survenue à la fin des années 1970, début des années 1980.
Les taux d’intérêt n’ont pas atteint leur summum qu’en juin 1981, lorsque le président de la Réserve fédérale, Paul Volcker, a porté le taux des fonds fédéraux à 20%.
Le taux préférentiel est alors passé à 21,5% (et l’obligation à 30 ans du département du Trésor a culminé à 15,2% en octobre de la même année.)
Bien qu’il y ait eu des fluctuations au fil du temps, de manière générale, les taux d’intérêt et l’inflation présentent une tendance à la baisse depuis 40 ans. Cela a donné naissance à ce marché haussier des obligations à long terme, qui a généralement permis aux investisseurs de vendre leurs obligations à un prix plus élevé que le prix d’achat.
Cependant, cette tendance était plutôt à la baisse l’année dernière.
Avec la relance budgétaire massive, les politiques monétaires très accommodantes, les importants blocages qui ont touché les chaînes d’approvisionnement mondiales (du fait de la pandémie) et la forte hausse des prix de l’énergie (causée par la surrèglementation, le sous-investissement et la guerre en Ukraine), nous vivons aujourd’hui l’inflation la plus élevée de ces 40 dernières années.
Je ne crois pas que nous nous dirigions vers une autre période d’hyperinflation.
Cependant, à moins d’une récession ou d’un autre événement défavorable, nous constaterons, j’en suis presque certain, des taux d’intérêt beaucoup plus élevés en 2022 et 2023.
Comme vous pouvez le voir sur le graphique ci-dessus, les taux d’intérêt ont déjà tendance à augmenter.
Le bon du Trésor à 10 ans de référence rapporte désormais 2,3%, son plus haut rendement depuis mai 2019. Il est passé au-dessus de sa ligne de tendance descendante qui remonte au cours le plus haut de 1981.
L’iShares Core U.S. Aggregate Bond ETF (US4642872265 – NYSE : AGG) a baissé de 5,8% depuis le début de l’année. Une faible baisse par rapport aux 6,3% du S&P 500.
La Réserve fédérale a promis plusieurs augmentations cette année et l’année prochaine.
Cela peut expliquer pourquoi la plupart des rendements obligataires sont négatifs depuis le début de l’année.
Et les rendements obligataires risquent bien de rester bas (voire négatifs) dans un avenir proche.
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Faut-il renoncer aux obligations ?
Cela signifie-t-il que vous devez complètement renoncer aux obligations ?
Non. Mais vous devriez procéder à quelques ajustements.
Notamment pour les obligations à long terme, qui limitent les détenteurs à un taux d’intérêt fixe particulier pendant plusieurs années… voire quelques décennies.
En effet, celles-ci ne sont pas adaptées à un environnement où le taux d’intérêt présente une tendance à la hausse. Préférez donc les échéances plus courtes.
Évitez également les obligations à coupon zéro, les pires de toutes dans un environnement de hausse des taux puisqu’elles composent à un faible taux fixe, ainsi que les fonds obligataires à effet de levier.
Un fonds obligataire à effet de levier emprunte de l’argent à court terme pour acheter d’autres émissions à plus long terme et améliorer les rendements du fonds.
Tout cela est intéressant tant que les taux demeurent stables ou bas. Mais méfiez-vous lorsque les taux grimpent (comme ce fut le cas récemment).
Il arrivera la même chose à ces fonds qu’à un portefeuille d’actifs sur marge lors d’une liquidation boursière :
Les investisseurs seront frappés par un triple coup dur :
- les prix des obligations baisseront à mesure que les taux d’intérêt augmenteront ;
- la valeur liquidative du fonds plongera, car le portefeuille est à effet de levier ;
- et pour finir, le prix du marché baissera probablement aussi, conduisant à une décote plus importante de la valeur liquidative.
Évitez donc les échéances longues, les obligations à coupon zéro et les fonds obligataires à effet de levier.
En plus d’obligations à court terme, qui sont les moins impactées par la hausse des taux et permettent aux investisseurs de profiter des rendements plus élevés au fur et à mesure qu’ils deviennent disponibles, vous devriez également posséder des « TIPS » (titres du Trésor protégés contre l’inflation, émis par le Trésor américain), des fonds à taux préférentiel et des obligations convertibles.
(Une obligation convertible est convertible en actions ordinaires par l’émetteur et peut potentiellement prendre de la valeur même si les taux d’intérêt augmentent.)
Je présenterai de manière plus détaillée chacun de ces types de titres dans de prochains articles.
En attendant, il y a certains points dont nous sommes certains.
L’inflation a atteint des sommets historiques. La Réserve fédérale a plusieurs longueurs de retard. Et pour ce qui est du marché des obligations, haussier depuis 40 ans ? C’en est fini de lui.