Les Bourses ont fortement progressé en début de semaine et le Dow a regagné 1 500 points depuis vendredi dernier. Le S&P 500 et le Nasdaq Composite ont suivi des trajectoires similaires.
L’épisode baissier est-il terminé ? Même pas en rêve. Mon collègue me l’a rappelé :
« Depuis le début de l’année, le S&P 500 est en train de répliquer l’épisode baissier de 2007 avec une précision de 75%. Si cette tendance se poursuit, nous assisterons à un petit rebond des marchés le mois prochain, suivi par un véritable effondrement en novembre/décembre ».
Mieux vaut en être conscient avant de se précipiter de nouveau en Bourse. Mais la Fed a bien conditionné les investisseurs.
Les investisseurs particuliers et les investisseurs institutionnels savent quoi faire lorsque les marchés s’effondrent. Acheter lorsque les cours sont au plus bas !
Il suffit d’attendre que les cours se replient à leur plus bas niveau, de faire le plein d’actions et d’attendre tranquillement jusqu’à ce que le marché reparte à la hausse.
C’est une version plus agressive de la stratégie « acheter et conserver » consistant à ne pas vendre lorsque les prix baissent, mais simplement à attendre que les cours rebondissent pour revenir à l’équilibre. À partir de ce moment-là, il est possible de réaliser de nouveaux gains.
Mais l’attente peut être longue.
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15 ans pour revenir à l’équilibre
Le Nasdaq a atteint 4 907 points le 13 mars 2000, avant de perdre 80% de sa valeur. Il a fallu attendre la fin du mois d’avril 2015 pour que l’indice atteigne de nouveau les 4 907 points. Il lui aura donc fallu attendre 15 ans pour revenir à l’équilibre. Certains investisseurs sont morts entre-temps.
Mais le fait est que les marchés se sont bel et bien rétablis ! Cela étant, les stratégies consistant à acheter quand les cours sont au plus bas et à acheter des titres pour les conserver longtemps en portefeuille reposent sur deux suppositions implicites.
La première est que les marchés progressent toujours sur des horizons temporels raisonnables. La deuxième est que la Fed est là pour assurer vos arrières. Dans les périodes de crise, la Fed fera « tout ce qu’il faut », y compris abaisser ses taux, mettre en œuvre des mesures d’assouplissement quantitatif, acheter des actifs, garantir la dette et plus encore pour maintenir les marchés à flot.
Ces hypothèses se sont révélées exactes ou presque depuis 2008. La Fed est intervenue en 2008 (taux nuls), sur la période 2009-2014 (assouplissement quantitatif) et en 2020 (pandémie de COVID) pour maintenir les marchés à flot.
Les marchés actions se sont effondrés de 30% en mars 2020, durant la première vague de la pandémie de COVID, mais ils ont effacé toutes ces pertes et atteint de nouveaux sommets en l’espace de six mois à peine. Acheter lorsque les cours sont au plus bas et maintenir sa position a porté ses fruits.
Mais ces suppositions sont-elles toujours valables ?
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La Fed n’assure pas toujours les arrières des investisseurs
Les marchés ne progressent pas toujours. De 1969 à 1982, le marché a stagné. Il a débuté cette période à 1 000 points et l’a clôturé à peu près au même niveau. Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas entre-temps ce qui a permis de gagner de l’argent, mais il y a eu une période de 13 ans au cours de laquelle les cours ont stagné (si l’on prend en compte l’inflation, les Bourses ont en fait reculé de 50% durant cette période de 13 ans).
Et il y a eu des moments où la Fed n’a pas assuré les arrières des investisseurs. Les Bourses se sont effondrées de 80% entre octobre 1929 et juin 1932 et la Fed n’a rien fait. Il a fallu attendre 1954, soit 25 ans plus tard, pour que les marchés se rétablissent à leur niveau d’antan.
Sommes-nous en train de vivre un scénario dans lequel les investisseurs qui se sont positionnés à l’achat lorsque les cours étaient au plus bas vont se retrouver sur la paille ?
Le Nasdaq a reculé de plus de 30% depuis novembre dernier. Le S&P 500 et le Dow Jones ont perdu tous les deux plus de 20% de leur valeur depuis janvier dernier. L’économie est en récession.
Pourtant, la Fed est en train de resserrer sa politique monétaire au lieu de l’assouplir.
La Fed est en train de rehausser brutalement ses taux d’intérêt et sa politique monétaire au moyen d’un programme de resserrement quantitatif.
Elle a rehaussé ses taux d’intérêt de 0,25% en mars, de 0,50% en mai et de 0,75% en juin, juillet et septembre. Les taux sont ainsi passés de 0,0% à 3% en l’espace de six mois seulement. Jamais dans son histoire la Fed n’avait procédé à trois hausses consécutives de 0,75%. C’est une première.
Il faut remonter au début des années 1980 pour voir une remontée des taux aussi rapide. Les analystes estiment que la réduction de 1 000Mds$ (approximativement) par an de la masse monétaire (c’est le principe même du resserrement quantitatif) produira un effet similaire à une hausse des taux de 1,0%.
En fin de compte, nous assistons à un resserrement monétaire survitaminé. De plus, la Fed a déclaré qu’elle n’abaisserait pas ses taux avant 2024, au plus tôt.
Mais se pourrait-il que le resserrement monétaire soit plus brutal que ce que pense la Fed ?
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Un resserrement quatre fois plus brutal que ce que pense la Fed ?
Je n’ai pas l’habitude de citer le Council on Foreign Relations mais dans ce cas, je pense que leur analyse est juste. Voici un long extrait d’un article récent expliquant pourquoi la Fed sous-estime dramatiquement l’ampleur du resserrement que provoquera la réduction de son bilan :
« Jerome Powell a déclaré que l’impact monétaire de la réduction du bilan de la Fed est très incertain, qu’il existe seulement des ‘règles empiriques’. Toutefois, les membres de la Fed ont essayé de le quantifier. À l’aide d’un modèle théorique, ils ont estimé que la réduction de 2 100Mds$ du bilan de la Fed d’ici septembre 2024 engendrera une hausse de 60 points de base du taux du Trésor à 10 ans. Selon eux, cette hausse aura le même impact qu’une hausse de 56 points de base du taux directeur à court terme en termes de resserrement monétaire.
Toutefois, nous pensons que les membres de la Fed ont mal identifié cette relation. Nous ne pensons pas qu’une hausse des taux à long terme (60 points de base) ait le même impact économique qu’une hausse de même ampleur (56 points de base) du taux directeur à court terme de la Fed. Nous pensons qu’une hausse de 60 points de base du taux du Trésor à 10 ans équivaut à une hausse quatre fois plus importante du taux directeur de la Fed. Voici pourquoi.
Nous avons comparé le résultat du modèle utilisé par les membres de la Fed aux résultats empiriques réels obtenus par un ancien groupe de chercheurs de la Fed. D’après les résultats de cette enquête antérieure, il faut une hausse de 240 points de base du taux directeur pour obtenir une hausse de 60 points de base du taux à 10 ans. Si cette relation est correcte, cela signifie que la réduction de bilan prévue par la Fed produira un resserrement équivalent à une hausse de taux de 240 points de base, et non pas de 56 points de base.
L’estimation antérieure de la Fed nous semble plus crédible car elle mesure la relation entre des données historiques réelles et parce qu’elle est moins soumise à la « grande incertitude » de la seconde estimation de la Fed.
Si nous voyons juste, alors Jerome Powell, dont la réflexion est clairement guidée par l’étude la plus récente, sous-estime l’impact de la réduction du bilan de la Fed par un facteur de quatre, en termes de resserrement monétaire. »
Cette analyse me conforte dans l’idée solidement ancrée dans mon esprit que la Fed n’a pas la moindre idée de ce qu’elle fait. Malheureusement, elle pourrait provoquer des dégâts importants avant de changer de cap.
Le but de mon propos est de montrer que nous sommes peut-être en train d’entrer dans une nouvelle ère, qui ressemble davantage aux années 1930 ou 1970 qu’aux années 1990 ou 2000.
Au lieu d’acheter lorsque les cours sont au plus bas, il serait peut-être plus judicieux de vendre pendant que les marchés sont en train de rebondir.